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Une décision prise pour l’exécution d’une ordonnance de référé revêt un caractère provisoire

Une décision prise pour l’exécution d’une ordonnance de référé revêt un caractère provisoire

Conseil d’État, 7 octobre 2016, no 395211 – Commune de Bordeaux

Solution : Condamné par le juge des référés à réinstruire une demande de permis de construire, le maire de la ville de Bordeaux a délivré le permis sollicité. Mais dès lors que le pétitionnaire s’est ultérieurement désisté de son recours en annulation, le maire a décidé d’abroger le permis de construire délivré en exécution de l’ordonnance du juge des référés. Ce dernier, de nouveau saisi par le pétitionnaire, a suspendu cette décision. À tort selon le Conseil d’État qui rappelle que :

 » une décision intervenue pour l’exécution de l’ordonnance par laquelle le juge des référés d’un tribunal administratif a suspendu l’exécution d’un acte administratif revêt, par sa nature même, un caractère provisoire jusqu’à ce qu’il soit statué sur le recours en annulation présenté parallèlement à la demande en référé; qu’il en est notamment ainsi lorsque l’administration décide, à l’issue du réexamen faisant suite à la décision de suspension d’un refus prise par le juge des référés, de faire droit à la demande  » ,

et qui précise :

 » qu’eu égard à son caractère provisoire, une telle décision peut être remise en cause par l’autorité administrative « .

Observations : Dans son importante décision de section du 7 octobre 2016, le Conseil d’État a précisé, de manière prétorienne, le régime de la décision administrative délivrée à titre provisoire en exécution d’une ordonnance de référé ayant suspendu l’exécution de la décision de rejet initialement opposée à la demande de l’administré. La portée de la solution retenue est donc très large (v. not. la rédaction des consid. 2 à 61 même si, en l’espèce, la décision ren-due à titre provisoire était un permis de construire (consid. 7 et 8).

On rappellera, d’abord, que si, eu égard à leur caractère provisoire, les décisions du juge des référés n’ont pas, au principal, l’autorité de la chose jugée, elles sont néanmoins exécutoires et, en vertu de l’autorité qui s’attache aux décisions de justice, obligatoires (CE 5 nov. 2003, n o 259339, Convention Vie nature pour une écologie radicale, Lebon avec concl.; AJDA 2003. 2253, chron. F. Donnat et Casas ; RFDA 2004. 601, concl. F. Lamy). Il s’en confère que lorsque le juge des référés a prononcé la suspension d’une décision administrative, l’administration ne saurait, tant qu’il n’a pas été mis fin à cette suspension – dans le cadre d’une voie de recours, par l’intervention d’une décision au fond ou l’initiative du juge des référés en application de article L. 521-4 du CJA – , reprendre la même décision sans qu’il ait été remédié au vice pris en considération pour prononcer la suspension. Ce principe s’applique bien évidemment en cas de suspension d’une décision de rejet : l’administration qui doit procéder au réexamen de la demande (sur injonction du juge des référés ou à la demande de l’administré) ne saurait, sans méconnaître frontalement la force obligatoire de l’ordonnance de suspension, rejeter de nouveau la demande en se fondant sur le ou les motifs censurés par le juge des référés. De sorte que si l’administration n’a pas d’autres motifs de refus à opposer à la demande, elle sera dès lors contrainte de délivrer l’autorisation sollicitée.

Ceci posé, il est tout aussi constant que la décision de l’administration intervenue pour l’exécution de l’ordonnance par laquelle le juge des référés a suspendu l’exécution d’un acte administratif revêt par sa nature même un caractère provisoire jusqu’à ce qu’il soit statué sur le recours en annulation présenté parallèlement à la demande de référé-suspension (pour une illustration, CE 28 févr. 2001, n o 230112, Philippart et Lesage, Lebon ; D. 2002. 2225, obs. R. Vandermeeren; RFDA 2001. 390, concl. D. Chauvaux). Cela est Lié à l’office du juge des référés qui ne peut, sans excéder sa compétence, ordonner une mesure qui aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l’exécution par l’administration d’un jugement d’annulation. Dans la décision commentée (consid. 51, le Conseil d’État en tire toutes les conséquences en précisant, pour la première fois, «qu’eu égard à son caractère provisoire, une telle décision peut être remise en cause par l’autorité administrative».

S’agissant plus spécialement d’un permis de construire délivré à la suite du réexamen ordonné en conséquence d’une mesure de suspension, le Conseil d’État indique « qu’un tel permis peut être retiré à la suite du jugement rendu au principal sur le recours pour excès de pouvoir formé contre la décision initiale de refus sous réserve que les motifs de ce jugement ne fassent pas par eux-mêmes obstacle à ce que l’administration reprenne une décision de refus » (consid. 7). Ainsi, l’administration n’est pas tenue de procéder au retrait du permis provisoire ; c’est une possibilité qui lui est offerte. L’autorité administrative pourra alors faire disparaître les droits conférés par le permis provisoire délivré pour respecter une ordonnance de référé dont le caractère bien-fondé n’est finalement pas avéré. Pour cette raison, le motif de retrait du permis provisoire n’est pas lié à son éventuelle illégalité mais résulte du sort réservé par le tribunal à la requête en annulation dirigée contre la décision de refus initialement opposée par l’administration. Si le jugement rejette le recours, cela signifie qu’au moins un des motifs de refus était fondé ; c’est ce motif qui justifiera l’anéantissement du permis provisoire. Mais il arrivera aussi que la décision de refus soit censurée pour un vice de forme ou de procédure alors qu’au fond les motifs de refus opposés par l’administration n’ont pas été jugés illégaux ; le retrait sera également possible. Le Conseil d’État précise en effet que l’administration devra statuer au regard des motifs du jugement (et non pas au regard du seul sens de ce jugement). Autrement dit, le retrait du permis provisoire sera envisageable dans le cas où il ressort du jugement au principal que l’administration pouvait légalement s’opposer à la demande de permis.

Concernant les modalités pratiques de ce retrait, le Conseil d’État précise qu’il doit intervenir « dans un délai raisonnable qui ne peut, eu égard à l’objet et aux caractéristiques du permis de construire, excéder trois mois à compter de la notification à l’administration du jugement intervenu au fond» (consid. 7). Ce délai. fixé de manière prétorienne, est donc identique au délai de retrait prévu par l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme. Il courra à compter de la notification du jugement ou, le cas échéant, de l’or-donnance prenant acte du désistement du recours en annulation, ou de la décision du juge des référés décidant de mettre fin à la mesure de suspension précédemment ordonnée (CJA, art. L. 521 -LI ou de la décision rendue par le Conseil d’État en qualité de juge de cassation de l’ordonnance de référé. Dans tous les cas, le retrait ne pourra intervenir «qu’après que le pétitionnaire a été mis à même de présenter ses observations » [consid. 7). Les modalités de retrait du permis provisoire sont donc proches de celles applicables aux autorisations d’urbanisme de droit commun.

En conclusion, les collectivités doivent garder à l’esprit que la délivrance d’un permis de construire, pour tenir compte d’une ordonnance du juge des référés, n’est plus irréversible. La commune aura tout intérêt, malgré une première décision défavorable, à poursuivre ses efforts pour pouvoir procéder, en cas de succès contentieux, au retrait du permis provisoire délivré.

 

Philippe PEYNET – avocat associé

 

Rappel pratique : La solution dégagée par le Conseil d’Etat ne s’applique qu’aux seules décisions provisoires prises en exécution d’une ordonnance de suspension d’une décision de rejet. Il conviendra donc pour l’autorité en charge de délivrer les autorisations d’urbanisme de bien le préciser dans les visas du permis provisoire délivré. À défaut, cette autorisation relèvera du régime juridique, plus strict, posé par l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme (retrait possible pour un motif d’illégalité seulement).

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