Cass, 1ère civ., 16 novembre 2016, pourvoi n° 16-14152
L’article L. 600-7 du Code de l’urbanisme, issu de l’ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, est l’une des dispositions issues des recommandations du groupe de travail présidé par le Président Labetoulle (« Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre » disponible sur :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/134000300.pdf).
On rappellera que cet article prévoit que :
« Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel ».
Autrement posé, cet article permet expressément au défendeur à l’instance, par ailleurs bénéficiaire d’une autorisation d’urbanisme, de présenter des conclusions reconventionnelles à caractère indemnitaire devant le Juge administratif (de première instance, ou d’appel), appelé à statuer sur la légalité de son autorisation. En quoi cet article rompt avec la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE, Sect., 24 novembre 1967, Sieur Noble, rec. p. 443).
Si la disposition est de plus en plus fréquemment invoquée par les bénéficiaires de permis, force est de reconnaitre que les applications positives sont très peu nombreuses. Généralement, les juridictions estiment que les deux conditions posées par le texte ne sont pas remplies (voir pour des illustrations récentes : CAA Lyon, 12 juillet 2016, n° 15LY01582 ; CAA Nantes, 21 juin 2016, n° 14NT00887). Il semble que deux décisions seulement auraient fait une application positive de cet article (TA Lyon, 17 novembre 2015, n° 1303301 : condamnation à verser une somme de 82700 euros ; ce jugement est frappé d’appel ; un jugement du Tribunal administratif de Bordeaux condamnant le requérant à verser la somme de 4000 euros au titre de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme a été annulé : CAA Bordeaux, 31 mai 2016, n° 15BX02051).
C’est bien pour autant que certains constructeurs préfèrent se tourner, comme avant, vers le Juge judiciaire (Tribunal de grande instance) en engageant la responsabilité civile des requérants, sur le fondement de l’abus d’ester en justice (Cass. Civ. 3ème, 5 juin 2012, pourvoi n°11-17919 ; Cass. Civ., 5 février 2015, n°14-11169 ; Cass. civ., 5 mars 2015, pourvoi n° 14-13491).
La question s’est posée de savoir si le nouveau dispositif institué par l’ordonnance du 18 juillet 2013 permettait encore de saisir le Juge judiciaire ou si, eu égard au fait que cette disposition a été introduite expressément pour dissuader les recours abusifs, seul le juge administratif était désormais compétent pour connaître de la demande de réparation pour abus du droit de former un recours pour excès de pouvoir, à l’exclusion du juge judiciaire.
La Cour de cassation a refusé, ainsi qu’on pouvait s’y attendre, de créer un « bloc de compétence » au profit du Juge administratif : par un arrêt en date du 16 novembre 2016 – publié au Bulletin (Cass, 1ère civ., 16 novembre 2016, pourvoi n° 16-14152) – , la Cour de cassation a approuvé les Juges de la Cour d’appel de POITIERS qui avaient jugé que « par dérogation au principe selon lequel des conclusions reconventionnelles tendant à ce que le demandeur soit condamné au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive ne sont pas recevables dans une instance en annulation pour excès de pouvoir, l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme permet au bénéficiaire d’un permis de construire de solliciter, devant le juge administratif saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre ce permis, des dommages-intérêts contre l’auteur du recours, une telle faculté n’étant cependant ouverte que dans des conditions strictement définies par ce texte ; que la cour d’appel a décidé, à bon droit, que cette disposition légale n’avait ni pour objet ni pour effet d’écarter la compétence de droit commun du juge judiciaire pour indemniser, sur le fondement de l’article 1382, devenu 1240 du code civil, le préjudice subi du fait d’un recours abusif ».
Le constructeur dont l’autorisation d’urbanisme est attaqué de manière déloyale disposera donc d’une alternative : former des conclusions reconventionnelles devant le Juge administratif saisi de la légalité de son autorisation ou, plus classiquement, assigner devant le Tribunal de grande instance le requérant.
Philippe PEYNET