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Avoir les bons réflexes pour évaluer les indemnités d’expropriation

Avoir les bons réflexes pour évaluer les indemnités d’expropriation

Dans la Gazette des Communes publiée le 18 février 2019, Jérémie Sadoun, du Pôle Expropriation, a publié une fiche méthode sur l’évaluation des indemnités d’expropriation, retranscrite ci-après :

1) Déterminer les dates d’évaluation des biens expropriés

Les biens expropriés doivent, en premier lieu, être évalués selon leur consistance à la date de l’ordonnance d’expropriation. A défaut d’ordonnance, l’indemnité sera fixée au regard de la consistance du bien au jour où le premier juge statue (1). On précisera que la consistance s’apprécie aussi bien sous un angle matériel que juridique, cette notion recouvrant tant les caractéristiques physiques, que la situation locative du bien exproprié. La valeur d’un immeuble dépend, en second lieu, de son usage effectif, qui s’entend de l’affectation volontairement donnée à celui-ci par l’exproprié (2), mais aussi des possibilités légales et effectives de construction. Ces éléments sont appréciés un an avant l’ouverture de l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique (DUP), à moins que l’immeuble ne soit inclus dans le périmètre d’un emplacement réservé, d’un espace naturel sensible soumis au droit de préemption, ou d’une zone assujettie au droit de préemption urbain. Dans ces trois cas, sera seul pris en considération l’usage effectif du bien au jour où l’acte le plus récent, approuvant, révisant ou modifiant le plan local d’urbanisme (PLU) délimitant le secteur de zone dans lequel il est situé, a été rendu opposable (3). Si le droit de préemption a été institué après le prononcé de l’ordonnance d’expropriation, la valeur des biens sera déterminée d’après l’usage qui était le leur un an avant l’ouverture de l’enquête préalable à la DUP. Enfin, en cas d’expropriation d’un bien situé dans une zone d’aménagement différé, l’expropriant se réfèrera aux dispositions de l’article L. 213-4 du Code de l’urbanisme, qui détaille les règles de fixation de la date de référence applicables en la matière.

2) Se préserver des comportements frauduleux et des phénomènes spéculatifs

Un bénéfice évident pourra être retiré de l’application scrupuleuse des règles énoncées au point précédant. Etant tenu d’évaluer le bien au regard de sa consistance à la date de l’ordonnance d’expropriation, l’expropriant ne saurait indemniser les modifications qui lui sont apportées postérieurement à cette date, lorsqu’il apparaît qu’elles ont été faites dans le but d’obtenir une indemnité plus élevée. On comprend immédiatement que ce principe, dont la Cour de cassation a rappelé qu’il pouvait, en cas de fraude manifeste, recevoir application à des faits antérieurs au prononcé de l’ordonnance, vise à protéger l’expropriant d’une hausse artificielle de la valeur des biens situés dans le périmètre de l’opération projetée. Il a, à cet égard, été jugé qu’une fraude pouvait s’inférer de l’attitude de l’exproprié, qui entreprend, postérieurement à l’ouverture de l’enquête préalable à la DUP, des travaux substantiels sur un bien qu’il avait laissé à l’abandon pendant des décennies. Obéissant à une logique similaire, le principe d’estimation du bien selon son usage effectif à la date de référence, interdit à l’exproprié de solliciter le versement d’une indemnité tenant compte de la plus-value que confère au bien perdu, la réalisation du projet déclaré d’utilité publique. En somme, la valeur de l’immeuble exproprié ne peut être fonction de sa destination future.

3) S’en tenir au préjudice direct

L’expropriant veillera encore à circonscrire le périmètre de son offre d’indemnisation au préjudice résultant directement de l’expropriation. Il est, à cet égard, utile de rappeler que les préjudices nés de l’exécution, de l’existence ou du fonctionnement de travaux ou d’ouvrages publics, ne sont pas directement causés par l’expropriation. C’est en ce sens que la dépréciation d’un immeuble consécutive à l’édification d’un ouvrage public, les préjudices nés de l’obligation de désenclaver un bien ou de la perte d’un droit à construire, ne peuvent être indemnisés par le Juge de l’expropriation.

4) S’en tenir au préjudice certain

L’expropriant s’attachera, par ailleurs, à ne pas faire droit à une demande d’indemnisation d’un préjudice éventuel. Revêt un tel caractère, le préjudice résultant de l’impossibilité de mener à bien un projet immobilier, lorsque les parcelles comprises dans l’emprise du projet n’ont pas la qualité de terrain à bâtir, ou encore la perte du revenu qui aurait résulté d’un hypothétique projet de surélévation de l’immeuble exproprié. Dans le même sens, l’expropriant aura avantage, lorsque les expropriés sollicitent la réparation d’un dommage dont ils pouvaient anticiper la réalisation, à invoquer l’exception du risque accepté. Tel est le cas du préjudice allégué de dépréciation du surplus, dès lors qu’il apparaît que les expropriés avaient connaissance, au jour de l’acquisition de leur propriété, de l’ouverture de l’enquête préalable à la D.U.P. du projet susceptible d’en affecter la valeur.

5) Indemniser le préjudice, rien que le préjudice

Il incombe à l’autorité expropriante d’étudier, avec une vigilance particulière, les demandes indemnitaires susceptibles de dissimuler un préjudice inexistant, en dépit de leur caractère apparemment bien fondé. Celles-ci forment un panorama hétéroclite qu’il convient ici de brosser. L’expropriant s’opposera ainsi à toute demande d’indemnité de remploi, lorsque les biens étaient notoirement destinés à la vente, ou mis en vente par le propriétaire exproprié au cours de la période de six mois ayant précédé la DUP (4). Très souvent formée, la demande de versement d’une indemnité principale équivalente au coût d’une reconstruction du bien perdu ne peut, compte tenu du principe d’indemnisation de la seule valeur vénale de l’immeuble exproprié, être agréé par l’autorité expropriante (5). Il en va également ainsi d’une demande d’indemnisation de la végétation plantée sur un terrain à bâtir, eu égard à la plus-value que lui confère déjà cette qualification juridique (6). De manière plus évidente enfin, l’expropriant refusera de verser une indemnité d’éviction à l’occupant précaire, par essence privé de tout droit au renouvellement.

6) Utiliser les bons outils

Il se peut que l’autorité expropriante doive, dans le cadre d’un contentieux, faire la démonstration de l’exactitude de l’estimation retenue. Elle ne doit donc pas ignorer les éléments de preuve, jugés pertinents par les juridictions de l’expropriation. Il importe en particulier, dans le cadre d’un recours à la méthode d’évaluation par comparaison – laquelle a les faveurs de la jurisprudence – de produire des références afférentes à des mutations effectives, anciennes de moins de cinq ans à la date à laquelle le juge de première instance statue (7). Sont, en effet, jugés dénués de pertinence des chiffres théoriques issus d’une revue professionnelle, une simple promesse de vente, une attestation de valeur immobilière établie en termes très généraux, des expertises ne mentionnant aucun terme de comparaison, ou encore une valeur assise sur une simple consultation des annonces immobilières. Il sera, par conséquent, préférable de se référer aux accords amiables éventuellement conclus, et de puiser des termes de comparaison rigoureusement choisis dans la base de données Patrim. Enfin, l’expropriant ne doit pas craindre de solliciter le rejet des devis qui lui sont opposés, lorsque ceux-ci font apparaître un écart de prix important avec des estimations précédentes.

7) Envisager des modes de calcul alternatifs des indemnités

La diversité des solutions jurisprudentielles applicables en matière de fixation des indemnités accessoires, ouvrent aux parties la faculté d’envisager des modes alternatifs de calcul. C’est pour autant, par exemple, que la végétation d’agrément pourra aussi bien être évaluée au regard de la plus-value qu’elle apporte au terrain, qu’à la lumière de devis, permettant d’en apprécier la valeur marchande. Par ailleurs, s’il revient à l’autorité expropriante d’indemniser le coût de remplacement de l’accessoire supprimé, aucun principe ne s’oppose à ce qu’elle propose une simple indemnité de déplacement, dès lors que le bien situé dans l’emprise du projet peut être récupéré. La jurisprudence afférente à l’indemnisation des difficultés d’accès au site d’une entreprise exerçant une activité industrielle, commerciale ou artisanale, sur un terrain partiellement exproprié, illustre une fois encore la liberté dont jouit l’expropriant pour choisir le mode de calcul des indemnités qui lui semble le plus approprié. Il peut, à et égard, proposer d’indemniser le coût des travaux de réaménagement du complexe, ou bien la perte de chiffre d’affaires occasionnée par les difficultés d’accès au site. On citera enfin le cas des commerces privés d’une partie de leur surface, dont le préjudice peut aussi bien être réparé par le versement d’une somme équivalente au chiffre d’affaires perdu sur plusieurs années au prorata de la surface commerciale amputée, que par une indemnité équivalente à la valeur du fonds de commerce, affectée d’un simple abattement.

8) Appliquer des abattements

L’expropriant ne doit pas hésiter à appliquer des abattements lorsque les circonstances le permettent. Il est ainsi constant que l’occupation d’un bien immobilier justifie l’application d’un coefficient de moins-value sur le montant de l’indemnité d’expropriation, dans la mesure où la valeur vénale d’un immeuble occupé est inférieure à celle d’un bien libre. Le raisonnement est évidemment transposable aux immeubles vétustes, qui pourront, par exemple, se voir appliquer un abattement d’environ 50% en cas d’insalubrité et d’abandon. L’expropriant sera également libre de calculer la surface des immeubles bâtis selon la méthode dite de la « surface pondérée hors œuvre », qui consiste à affecter la surface hors œuvre de chaque niveau, d’un coefficient de pondération tenant compte de l’utilité relative de cet espace et de ses conditions d’habitabilité (niveau habitable, cave, grenier…).

(1) Cass., 3ème Civ., 11 octobre 1977, n°76-70.306
(2) Cass., 3ème Civ., 3 décembre 2008, n°08-11.213
(3) Cass., 3ème Civ., 11 octobre 2006, n°05-13.053
(4) Article R. 322-5 du code de l’expropriation
(5) Cass., 3ème Civ., 31 mai 1995, n° 94-70.139
(6) Cass., 3ème Civ, 7 mai 1997, n°96-70.078
(7) Cass., 3ème Civ., 14 janvier 2014, n°12-27.704

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