CE, 5 décembre 2016, Association Sauvegarde du Trégor et autres, Commune de Lannion, n° 394592 et 394617
La question des évolutions d’un projet après une enquête publique est une problématique récurrente, souvent difficile à aborder tant pour les services opérationnels que pour les juristes. Jusqu’où est-il possible de modifier le document, même pour tenir compte des observations du public et du Commissaire enquêteur, sans dénaturer le projet ?
Notamment, si les « ajouts » sont de nature à caractériser une modification substantielle du projet, de nature à justifier une nouvelle enquête, qu’en est-il lorsque la consistance du projet est finalement « réduite« , après l’enquête ?
Le Conseil d’Etat apporte, dans une décision mentionnée aux tables du Recueil Lebon, une précision intéressante dans une affaire où il était saisi de la question de la légalité du décret du 14 septembre 2015 accordant la concession de sables calcaires coquilliers dite « concession de la Pointe d’Armor » à la Compagnie armoricaine de navigation (CE, 5 décembre 2016, Association Sauvegarde du Trégor et autres, Commune de Lannion, n° 394592 et 394617).
Pour bien comprendre la solution retenue, on précisera que l’article 123-14 du Code de l’environnement prévoit, pour permettre à la personne responsable d’un projet, d’un plan ou d’un programme de tenir compte des conclusions du Commissaire enquêteur qui modifient l’économie générale du document sans avoir à refaire toute une enquête publique, la possibilité d’une enquête qualifiée de « complémentaire« . Cette enquête complémentaire portera alors sur les avantages et inconvénients de ces modifications pour le projet et pour l’environnement.
Dans un premier temps, la Haute assemblée rappelle sa grille d’analyse de la légalité des modifications apportées à un projet après une enquête publique : « il résulte de ces dispositions qu’il était loisible au Gouvernement de modifier les caractéristiques de la concession de la Pointe d’Armor à l’issue de l’enquête publique, sous réserve, d’une part, que ne soit pas remise en cause l’économie générale du projet et, d’autre part, que cette modification procède de l’enquête ; que doivent être regardées comme procédant de l’enquête les modifications destinées à tenir compte des réserves et recommandations de la commission d’enquête, des observations du public et des avis émis par les collectivités et instances consultées et joints au dossier de l’enquête« .
En l’espèce, le Conseil d’Etat relève que « afin de prendre en compte les observations et de limiter ces incidences, le périmètre annuel d’exploitation a été réduit par rapport au projet initial de 4 à 1,5 km2, les volumes annuels d’extraction de 400 000 à 250 000 m3 au plus, la durée de la concession de 20 à 15 ans et la période annuelle d’exploitation ramenée de l’année entière à une période comprise entre les mois de septembre et d’avril ; qu’ainsi, ces modifications, qui procèdent d’une enquête publique préalable à des travaux susceptibles d’affecter l’environnement et ont pour objet d’en réduire les effets sur ce dernier, ne peuvent, pour substantielles qu’elles soient, être regardées comme constituant une remise en cause de l’économie générale du projet de concession impliquant l’ouverture d’une enquête complémentaire au sens et pour l’application des dispositions précitées de l’article L. 123-14 du code de l’environnement« .
En conséquence, « la commune de Lannion n’est pas fondée à soutenir que le décret attaqué aurait nécessité, à peine d’irrégularité de la procédure, une nouvelle enquête publique« .
L’on retiendra de cette décision le fait que des modifications post-enquête publique, pourtant qualifiées de « substantielles« , ne constituent pas une remise en cause de l’économie générale du projet soumis à enquête lorsqu’elles ont pour effet de réduire ses effets.