Comment mettre en œuvre la réforme du CGP3 ?
Article publié dans l’hebdomadaire La Gazette des Communes du 28 août 2017.
Réforme : La récente réforme du Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) a été adoptée par ordonnance du Gouvernement sur habilitation du Parlement
Obligation de mise en concurrence : L’ordonnance du 19 avril 2017 introduit dans le CG3P une obligation générale de publicité et de mise en concurrence pour la délivrance des titres d’occupation domaniale
Cession sans déclassement préalable : L’ordonnance autorise, sous certaines conditions, les opérations de cession portant sur des biens immobiliers du domaine public avant leur déclassement
1 – La soumission des titres d’occupation domaniale à procédure de mise en concurrence
Sous l’influence du droit communautaire (Décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne « Promoimpresa Srl » du 14 juillet 2016) et sur habilitation du Parlement (article 34 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin II ») le Gouvernement a modifié en profondeur le CG3P afin d’accroître l’efficacité de la gestion domaniale.
En particulier, la récente ordonnance n°2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques est venue ajouter plusieurs articles au sein du CG3P afin de soumettre à une procédure de sélection des candidats potentiels et à une obligation de publicité préalable les autorisations d’occupation du domaine public (AOT) délivrées en vue d’une exploitation économique (article 3 de l’ordonnance venant ajouter un nouvel article L. 2122-1-1 au CG3P).
En d’autres termes, depuis le 1er juillet 2017, les autorisations d’occupation du domaine public ne peuvent plus, par principe, être accordées de gré à gré, contrairement à ce qu’avait considéré le Conseil d’État dans sa décision remarquée Jean Bouin (CE, 3 décembre 2010, Ville de Paris et Association Paris Jean Bouin, req. n°338272 et 338527).
2 – Connaître les dérogations au principe de mise en concurrence des AOT
L’ordonnance du 19 avril 2017 prévoit toutefois plusieurs exceptions à cette obligation de mise en concurrence préalable à l’octroi d’autorisations d’occupation du domaine (AOT). D’abord, fort logiquement, l’ordonnance écarte l’obligation de publicité et de mise en concurrence pour les titres d’occupation qui accompagnent un contrat de la commande publique ayant lui-même donné lieu à une procédure préalable de sélection (article 3 de l’ordonnance venant ajouter un nouvel article L. 2122-1-2 au CG3P).
Une dérogation s’applique également aux occupations de courte durée ou aux autorisations domaniales non exclusives (on imagine, par exemple, les titres délivrés quotidiennement par les personnes publiques pour des manifestations artistiques et culturelles, des manifestations d’intérêt local ou des privatisations temporaires de locaux) (nouvel article L. 2122-1-1 du CG3P).
Pour ces autorisations de courte durée ou non exclusives, une publicité préalable fixant les conditions générales d’attribution, certes moins contraignante, demeure néanmoins nécessaire.
L’ordonnance offre enfin la possibilité de délivrer des titres à l’amiable lorsque les obligations procédurales nouvelles s’avèrent impossibles à mettre en œuvre ou non justifiées. Tel est le cas lorsqu’une seule personne est susceptible d’occuper la dépendance en cause, notamment en raison de droits d’exclusivité ou des raisons artistiques (ce qui n’est pas sans rappeler les justifications nécessaires en droit de la commande publique pour passer un marché public de gré à gré). Tel est également le cas lorsque certains impératifs supposent de s’adresser à un opérateur déterminé : caractéristiques de la dépendance, conditions particulières d’occupation, ou impératifs de sécurité (article 3 de l’ordonnance venant ajouter un nouvel article L. 2122-1-3 au CGP3).
En pratique, si elle s’inscrit dans l’une de ces dérogations, il faudra veiller à suffisamment motiver l’absence de soumission à publicité et mise en concurrence de l’AOT délivrée.
A noter : Les obligations de mise en concurrence ne s’imposent que lorsque le titre d’occupation domaniale permet à son titulaire d’occuper le domaine en vue d’une exploitation économique.
3 – Quelles procédures de publicité et de mise en concurrence mettre en œuvre ?
Le texte de l’ordonnance du 19 avril 2017 est muet quant au choix de la procédure de sélection des candidats et de publicité que le gestionnaire du domaine public devra respecter avant de délivrer un titre d’occupation domaniale. Au demeurant, l’emploi de l’adverbe « librement » inséré au nouvel article L. 2122-1-1 du Code général de la propriété des personnes publiques renvoie incidemment à la procédure adaptée prévue pour les marchés publics par l’article 27 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016.
En l’état, à défaut de règles formelles et de décisions jurisprudentielles déjà rendues, on est en droit de penser que la mise en œuvre pour les autorisations d’occupation du domaine public d’une procédure de passation similaire à la procédure adaptée devrait permettre remplir les exigences de l’article L. 2122-1-1 du CG3P.
En pratique, la publicité pourrait être effectuée sur le site internet de la personne publique, dans un journal local et/ou dans un journal d’annonces légales. Attention cependant, la publicité devra être adaptée à la dépendance objet de la procédure ; schématiquement, plus l’autorisation est susceptible d’intéresser un nombre important d’opérateur économique, plus elle devra être étendue géographiquement mais également dans ses modalités de diffusion. Dans la forme, l’avis de publicité pourrait s’apparenter à un avis d’appel public à la concurrence nationale.
S’agissant ensuite de la mise en concurrence, il ne faut pas perdre de vue que la procédure doit avant tout permettre de garantir à la fois l’égalité de traitement entre les candidats et la transparence de la procédure. Le respect de ces principes suppose donc, d’une part, de déterminer un ou plusieurs critères de sélection des offres (montant de la redevance, qualité du projet envisagé, valorisation du domaine public…) pondérées et, d’autre part, d’énoncer les règles de sélection avant analyse des offres au moyen, par exemple, d’un règlement de la consultation.
En fin de procédure, dans un souci de transparence, il paraît opportun d’envisager d’informer les candidats non retenus du rejet de leur offre, ce qui permettrait en outre d’enfermer un éventuel recours dans des délais contentieux maîtrisés par la personne publique.
4 – Identifier les hypothèses de cession sans déclassement préalable
L’ordonnance du 19 avril 2017 simplifie par ailleurs les opérations de cession des biens immobiliers, en permettant à l’ensemble des personnes publiques de recourir, dans la perspective d’une cession de biens appartenant au domaine public, à un déclassement par anticipation du bien « alors même que les nécessités du service public ou de l’usage direct du public justifient que cette désaffectation ne prenne effet que dans un délai fixé par l’acte de déclassement ». Ce délai ne serait être supérieur, selon le cas, à trois ou six ans (article 9 de l’ordonnance venant modifier l’article L. 2141-2 du CG3P).
Est aussi consacrée par l’ordonnance la possibilité pour les personnes publiques de conclure des promesses de vente portant sur des biens du domaine public, sous condition suspensive de déclassement. Dans cette hypothèse, la promesse de vente devra, à peine de nullité, « comporter des clauses précisant que l’engagement de la personne publique propriétaire reste subordonnée à l’absence, postérieurement à la formation de la promesse, d’un motif tiré de la continuité des services publics ou de la protection des libertés auxquels le domaine est affecté qui imposerait le maintien du bien dans le domaine public » (article 10 de l’ordonnance venant ajouter un nouvel article L. 3112-4 au CG3P).
Références :
- Ordonnance n°2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques
- Loi « Sapin 2 » n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contrat la corruption et à la modernisation de la vie économique
- Décision de la CJUE 14 juillet 2016 Promoimpresa Srl, aff. C-458/14 – Mario Melis e.a., aff. C-67/15.
5 – Ne pas ignorer la nouvelle exception au caractère onéreux de l’occupation domaniale
Parmi ses nombreux autres apports, l’ordonnance précise que lorsque l’occupation du domaine public est autorisée par un contrat de la commande publique (marché de partenariat ou concession) ou qu’un titre d’occupation est nécessaire à l’exécution d’un tel contrat, les modalités de détermination du montant de la redevance seront fonction de l’économie générale du contrat.
Plus encore, lorsque ce contrat de la commande publique s’exécute au seul profit de la personne publique, l’autorisation d’occupation domaniale pourra être délivrée gratuitement. Cette nouvelle exception, qui s’applique aux contrats de la commande publique qui s’accompagnent nécessairement d’une occupation du domaine de l’acheteur public, vient donc s’ajouter à la liste, de plus en plus longue, des dérogations au caractère onéreux de l’occupation domaniale (article 7 de l’ordonnance venant modifier l’article L. 2125-1 du CGPPP).
6 – Appréhender la portée limitée de la réforme sur la gestion du domaine privé des personnes publiques
L’ordonnance du 19 avril 2017 n’ignore pas l’existence du domaine privé des personnes publiques. Elle prévoit en effet que la personne publique peut désormais, depuis le 1er juillet 2017, délivrer, sous conditions, un titre d’occupation domanial (AOT de l’article L. 2122-1 du CG3P) pour l’occupation ou l’utilisation d’une dépendance de son domaine privé lorsque cette dépendance est destinée, dans un délai qui ne peut être supérieur à six mois, à incorporer le domaine public (article 2 de l’ordonnance venant modifier l’article L. 2122-1 du CGPPP).
En revanche l’ordonnance, tout comme d’ailleurs la loi d’habilitation du Gouvernent, est silencieuse sur la question de la mise en concurrence des contrats d’occupation du domaine privé des collectivités territoriales et de leurs établissements.
Au reste, même si l’article 34 de la loi Sapin II l’y habilite expressément, le Gouvernement n’est pas non plus encore intervenu pour imposer le respect d’une publicité et d’une mise en concurrence préalable aux opérations de cession des biens immobiliers du domaine privé des personnes publiques. Ceci étant, rien ne permet de penser qu’il ne reviendra pas sur cette question par une nouvelle ordonnance, édictée avant l’expiration de l’habilitation que lui a donnée sur ce point le Parlement, soit avant le 9 décembre 2017.
Sophie BANEL, Eve-Line BERNARDI – Avocats associés