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En matière d’expropriation, l’indemnité versée aux expropriés ne doit (toujours pas) tenir compte de la plus value qui sera réalisée par l’expropriant

En matière d’expropriation, l’indemnité versée aux expropriés ne doit (toujours pas) tenir compte de la plus value qui sera réalisée par l’expropriant

A l’occasion d’un litige relatif à l’expropriation de plusieurs parcelles en ZAC, les requérants ont soulevé la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

« L’article L. 322-2 [anciennement L13-15 I] du code de l’expropriation porte-t-il une atteinte injustifiée au droit de propriété, garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789, et qui exige une juste et préalable indemnisation de l’exproprié, en tant qu’il ne permet pas le bénéfice d’une indemnité accessoire, dans l’hypothèse de l’expropriation d’un bien, qui serait indivisible de sa revente ultérieure par l’expropriant ? »

Cet article dispose en effet, dans sa rédaction résultant de la loi du 23 novembre 2018 applicable au litige, en ce qui concerne l’estimation de la valeur des biens expropriés, et dont il est constant qu’elle est réalisée « à la date de la décision de première instance », qu’ :

« est seul pris en considération l’usage effectif des immeubles et droits réels immobiliers un an avant l’ouverture de l’enquête prévue à l’article L. 1 ou, dans le cas prévu à l’article L. 122-4, un an avant la déclaration d’utilité publique ou, dans le cas des projets ou programmes soumis au débat public prévu par l’article L. 121-8 du code de l’environnement ou par l’article 3 de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, au jour de la mise à disposition du public du dossier de ce débat ou, lorsque le bien est situé à l’intérieur du périmètre d’une zone d’aménagement concerté mentionnée à l’article L. 311-1 du code de l’urbanisme, à la date de publication de l’acte créant la zone, si elle est antérieure d’au moins un an à la date d’ouverture de l’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique.
Il est tenu compte des servitudes et des restrictions administratives affectant de façon permanente l’utilisation ou l’exploitation des biens à la date correspondante pour chacun des cas prévus au deuxième alinéa, sauf si leur institution révèle, de la part de l’expropriant, une intention dolosive.
Quelle que soit la nature des biens, il ne peut être tenu compte, même lorsqu’ils sont constatés par des actes de vente, des changements de valeur subis depuis cette date de référence, s’ils ont été provoqués par l’annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d’utilité publique est demandée, par la perspective de modifications des règles d’utilisation des sols ou par la réalisation dans les trois années précédant l’enquête publique de travaux publics dans l’agglomération où est situé l’immeuble 
».

Les requérants s’interrogeaient, à ce titre, sur la constitutionnalité de la partie de la disposition relative au changement – plus précisément à l’augmentation – de la valeur du bien exproprié provoqué « par l’annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d’utilité publique est demandée » (pour protéger l’expropriant de la spéculation foncière) au regard du droit à la propriété protégé par l’article 17 de la Déclaration de 1789.

A grands traits, les requérants reprochaient à l’expropriant d’acquérir dans le cadre de procédure de ZAC le foncier à bas prix et de revendre dans la foulée le ou les biens expropriés au prix du marché et, ainsi, de « capter » de manière illicite la plus value réalisée. C’est ce schéma d’expropriation, parfois qualifié – improprement – d’ « expropriation pour revente » qui était spécialement critiqué dans lequel la hausse prévisible de la valeur vénale du bien exproprié n’est pas prise en compte dans le calcul de l’indemnité due à l’exproprié, alors même que l’expropriant entend céder le bien à un prix déjà déterminé et incluant cette hausse.

La Cour de cassation a estimé que la question comportait un caractère sérieux et l’a transmise, en date du 2 avril 2021, au Conseil constitutionnel.

L’on précisera qu’une question prioritaire de constitutionnalité avait déjà été formulée sur les modalités de calcul de l’indemnité d’expropriation, plus particulièrement sur l’appréciation de la valeur d’un terrain en nu, « en comparaison » avec la valeur moyenne de biens voisins au regard de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, qui avait alors fait l’objet d’un refus de transmission par la Cour de cassation (Civ. 3e, 14 mars 2013, n° 12-24.995).

Mais à l’égard des dispositions des alinéas 2 et 4 de l’article L. 322-2 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, la Cour de cassation a cette fois considéré que « la règle d’évaluation des biens expropriés selon leur usage effectif à la date de référence et sans prise en compte des changements de valeur intervenus depuis cette date, lorsqu’elle est appliquée à l’évaluation d’un bien destiné à être revendu par l’expropriant dans des conditions déjà déterminées et lui permettant de bénéficier d’une plus-value certaine, est de nature à créer un déséquilibre entre les intérêts de l’exproprié et ceux de l’expropriant, celui-ci étant protégé de la spéculation foncière qui aurait pu bénéficier à l’exproprié, tout en étant assuré d’en tirer lui-même profit. Ces dispositions sont donc susceptibles, dans une telle hypothèse, de porter atteinte à l’exigence selon laquelle nul ne peut être privé de sa propriété que sous la condition d’une juste et préalable indemnité » (Civ. 3e, 1er avril 2021, n° 20-17.134).

Par une décision en date du 11 juin 2021 (Décision n° 2021-915/916 QPC), le Conseil constitutionnel a répondu que « les dispositions contestées ne portent pas atteinte à l’exigence selon laquelle nul ne peut être privé de sa propriété que sous la condition d’une juste et préalable indemnité ».

Pour ce faire, il a procédé en une analyse articulée en deux temps.

D’abord, il est rappelé que l’expropriation ne peut être prononcée qu’à la condition qu’elle réponde à une utilité publique. Et il est en coutre précisé que les dispositions contestées ont pour objectif de protéger l’expropriant « contre la hausse de la valeur vénale du bien résultant des perspectives ouvertes par ces travaux ou opérations » ; pour le Conseil constitutionnel, « le législateur a ainsi entendu éviter que la réalisation d’un projet d’utilité publique soit compromise par une telle hausse de la valeur vénale du bien exproprié, au détriment du bon usage des derniers publics« . Ce faisant, le législateur a poursuivi, selon la décision commentée, un objectif d’intérêt général (§ 15 à 17).

Ensuite, la décision rappelle qu le Juge de l’expropriation, dans son estimation de la valeur du bien exproprié à la date de sa décision, peut tenir compte des changements de valeurs subis par le bien exproprié depuis la date de référence (sauf si ces changements sont liés au projet « public ») tels que l’évolution du marché immobilier.

Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel conclut que, dans ces conditions, il n’est pas porté atteinte au principe selon lequel « nul ne peut être privé de sa propriété que sous condition d’une juste et préalable indemnité » et qu’en conséquence les dispositions de l’article L. 322-2 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ne méconnaissent pas le droit à la propriété de l’article 17 de la Déclaration de 1789.

La solution rassurera assurément les expropriants et aménageurs de ZAC !

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