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Faire une place aux entreprises locales dans les marchés publics

Faire une place aux entreprises locales dans les marchés publics

Article paru dans l’hebdomadaire La Gazette des communes du 11 septembre dernier. 

Audit : Avant d’engager une stratégie d’achat local, il faut mesurer objectivement les capacités du tissu économique local en réponse aux besoins du pouvoir adjudicateur.

Simplification : L’acheteur doit veiller à lever les obstacles purement matériels, d’ordre administratif le plus souvent, susceptibles de décourager les opérateurs locaux.

Allotissement : Un allotissement fin et adapté à l’offre locale est un atout pour permettre aux opérateurs locaux d’accéder à la commande publique.

1 – Exclure la préférence locale comme motif de choix d’une offre

Dans la logique communautaire, l’accès à la commande publique ne peut évidemment pas dépendre du lieu d’implantation d’un opérateur économique. Les mesures de transposition adoptées en droit français respectent cette logique : les critères de choix de l’offre économiquement la plus avantageuse ainsi que les conditions d’exécution du marché public ne sauraient avoir pour objet ou effet de mettre en œuvre une stratégie de préférence locale au détriment des opérateurs non locaux.

Déterminer son choix au profit d’un opérateur local simplement parce qu’il est local expose à différents risques contentieux. Un risque administratif d’abord qui peut se matérialiser de différentes manières. La pratique constitutive d’une restriction d’accès à la commande publique et d’une rupture d’égalité de traitement entre les candidats peut être sanctionnée dans le cadre d’un référé précontractuel (article L.551-1 du Code de justice administrative) introduit par un opérateur « non local » lésé. Un recours en contestation de validité du marché peut également être introduit (recours dit Tarn-et-Garonne), le cas échéant complété par une demande indemnitaire en lien avec le préjudice subi par l’opérateur lésé. Surtout, au-delà du risque administratif, les acteurs de la procédure de consultation litigieuse s’exposent tous (élus, agents mais aussi l’attributaire au titre du recel) à un risque de nature pénale sur le délit d’octroi d’avantage injustifié (délit de favoritisme) prévu et sanctionné à l’article 432-14 du Code pénal.

Ceci exposé, rien n’interdit aux pouvoirs adjudicateurs de conclure des marchés avec des opérateurs locaux s’ils ont été désignés au terme d’une procédure de consultation régulièrement déterminée et conduite.


A noter : Recourir à un circuit court de production pour limiter le nombre d’intermédiaires ne profite pas  aux seuls locaux mais à tout opérateur même éloigné.


2 – Dresser un bilan des besoins et de la place de l’offre locale dans la commande publique

Ce travail devrait se dérouler en deux étapes. D’abord, il peut être instructif de s’interroger sur la place des opérateurs locaux dans l’ensemble des marchés passés par le pouvoir adjudicateur. L’idée est de dresser une cartographie des besoins, d’identifier qui répond aux procédures de consultation et qui les emporte afin de dresser un bilan de l’existant pour cerner les marges de manœuvre éventuelles en matière d’achat local.

En parallèle, l’acheteur doit également s’interroger sur la composition de l’offre locale et sur ce que celle-ci peut lui apporter (besoins nouveaux, procédés innovants, savoir faire en crise…). A titre d’illustration, il peut recenser les gammes de produits disponibles, les modes de conditionnements, les prix pratiqués…

L’objectif de ce travail en amont est d’établir des liens entre les besoins de l’acheteur et les opérateurs locaux susceptibles d’y répondre. Il permettra de mettre en lumière les éléments qui ont pu inciter, ou au contraire freiner, les candidatures locales. Enfin, des besoins nouveaux pourront émerger avec une véritable « carte à jouer » de la part des opérateurs locaux.

La seconde étape est plus ciblée et propre à chaque consultation : pour chaque marché, la question peut se poser des potentialités offertes par les opérateurs locaux parmi l’intégralité de l’offre disponible au niveau national voir internationale. Cette recherche peut être conduite dans le cadre du sourçing prévu à l’article 4 du décret du 25 mars 2016. L’acheteur devra alors veiller à élaborer et respecter des règles strictes en vue de respecter l’égalité de traitement entre les candidats.

3 – Simplifier les exigences administratives de la procédure

Les opérateurs locaux ne sont pas, le plus souvent, les mieux armés pour répondre aux procédures de passation des marchés publics. La composition d’un dossier de candidature et d’offre n’a rien d’évident pour un non initié et l’accomplissement des formalités est chronophage au détriment des activités normales de la structure. Clairement, le formalisme attaché à la réponse aux procédures de consultation peut freiner l’émergence des candidatures locales. Une simplification des tâches administratives en lien avec la soumission constitue une piste intéressante d’incitation.  En ce sens, depuis la réforme de 2016, il n’est plus requis d’exiger des soumissionnaires la signature actes de la procédure (DC1, DC2, acte d’engagement, bordereau des prix unitaires, détail quantitatif estimatif…) au stade du dépôt des candidatures et offres.

De la même manière, joindre au dossier de consultation des entreprises l’ensemble des documents requis (les formulaires DC notamment) et imposer le recours à un cadre de mémoire technique simplifié ne laissant que peu de place à la rédaction permettent de faciliter la tâche des candidats et de limiter le risque d’erreur susceptible de conduire à des mesures d’éviction.

En somme, le mouvement de simplification de la réforme de 2016 permet de s’en tenir à l’essentiel en termes d’information et de pièces demandées aux candidats au soutien de leur dossier de candidature et d’offre. Trop souvent, la liste des pièces de candidatures et d’offres résulte d’un copier/coller avec en son sein des informations ou des pièces peu pertinentes en termes de sélection. L’idée est donc ici relativement simple : avant de « privilégier » l’achat local, le pouvoir adjudicateur doit éliminer de ses pratiques tout ce qui peut constituer un frein à l’accès des entreprises à locale à ses marchés publics.


Références : Ordonnance n°2015-360 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ; Décret n°2016-899 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics.


4 – Mettre à profit les libertés laissées en termes d’allotissement et de multi-attribution des marchés

A l’instar du Code des marchés publics de 2006, l’ordonnance du 23 juillet 2015, à son article 32 érige l’allotissement des prestations en principe. Cette obligation peut être mise à profit afin de susciter un intérêt des opérateurs locaux pour la commande publique. S’il est fait obligation  à l’acheteur d’allotir les prestations et si le juge administratif censure assez facilement une absence totale et injustifiée d’allotissement, il est en revanche constant que les marges sont confortables en termes de définition du périmètre et du nombre de lot.

De même, l’acheteur peut régulièrement décider de limiter le nombre de lot susceptibles de donner lieu à candidature ou à attribution à un même soumissionnaire. Le recours à cette technique peut permettre au local en concurrence avec une offre nationale de disposer de chances plus sérieuse d’accéder à la commande publique. En outre, conformément à l’article 22 du décret, les lots de moins de 80.000 euros HT représentant au total moins de 20% des besoins, sont susceptibles d’être attribués selon une procédure adaptée, permettant ainsi le recours à la négociation avec les soumissionnaires.

En combinaison le cas échéant avec un allotissement des besoins, il ne faut pas perdre de vue non plus que les acheteurs, pour les travaux, fournitures et services récurrents, peuvent recourir aux accords-cadres multi-attributaires. La multi-attribution, en cas de concurrence entre l’offre locale et l’offre nationale ou internationale, est de nature à laisser à la première une possibilité d’accès à la commande publique.

5 – Affiner des critères de sélection des offres et leur pondération

Les critères d’attribution du marché public doivent être en lien avec son objet et/ou ses conditions d’exécution. L’implantation locale peut être une condition d’exécution du marché  et, le cas échéant, un critère d’attribution seulement si cette implantation locale s’impose au vu des contraintes de service public. En dehors cette hypothèse, s’il n’est pas interdit de valoriser l’offre d’un candidat en raison de son implantation locale par les critères de jugement des offres, le respect du principe de l’égalité de traitement entre les candidats ne doit pas, à l’inverse, conduire, au travers de la méthode de notation, à dévaloriser l’offre de ceux qui ne sont pas implantés localement.

A titre d’exemple, si la fixation d’un délai maximum d’exécution trop bref au regard des contraintes objectives de service, il n’est en revanche pas interdit au pouvoir adjudicateur de juger de la crédibilité des engagements pris par un soumissionnaire pour respecter un délai sur lequel il s’engage. Dans ce contexte, il est loisible à tous les opérateurs, locaux comme nationaux, d’avancer leurs moyens en la matière éventuellement en lien avec leur localisation.

Par ailleurs, dans le respect de l’article 62 du décret, l’acheteur peut prendre en compte la qualité des produits au titre des critères de jugement des offres. Dans ce cadre, il peut juger de la fraîcheur de denrées alimentaires, de l’esthétisme des matériaux locaux utilisés pour l’architecture locale, la connaissance économique du territoire pour un service… L’article 30 permet aussi de recourir à des « objectifs de développement durable ». En revanche, la mise en œuvre d’un critère de performance environnementale n’est pas une mince affaire. L’attention de l’acheteur doit être focalisée sur le mode d’emploi, la grille d’analyse du critère et un effort tout particulier devra être fourni pour établir les modalités de mise en œuvre du critère.

Enfin, l’article 62 du décret laisse aux acheteurs non seulement la liberté de choisir les critères d’attribution du marché mais également d’en déterminer leur pondération, pour autant qu’ils permettent une évaluation synthétique des critères retenus afin d’identifier l’offre économiquement la plus avantageuse (CJCE, 4 décembre 2003, EVN AG et Wienstrom, aff. C-448/01). S’il est constant que l’offre locale à un niveau de qualité identique ou supérieur souffre d’un coût de production (et donc de prix) plus important que l’offre nationale ou internationale, l’acheteur public sera bien avisé d’adapter la pondération des critères de jugement des offres en conséquence en ne faisant pas du « prix » l’élément déterminant de choix.

 

Bastien DAVID – avocat collaborateur

 

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