La Cour administrative d’appel de Versailles a récemment annulé le jugement du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui annulait l’abrogation par le Ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement du permis exclusif de recherches de pétrole et de gaz de schiste pour la zone Sud-Est du territoire national, dit « permis de Montélimar« , aux termes d’une analyse poussée de la loi Jacob à travers le prisme de l’intention du législateur.
Pour rappel, la loi n°2011-835 du 13 juillet 2011, dite loi Jacob, vise à interdire l’exploration et l’exploitation des gisements d’hydrocarbures (gaz de schiste et pétrole) par fracturation hydraulique sur l’ensemble du territoire national.
Le premier article de cette loi prévoit en effet qu’ « en application de la Charte de l’environnement de 2004 et du principe d’action préventive et de correction prévu à l’article L. 110-1 du code de l’environnement, l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche sont interdites sur le territoire national« .
L’article 3 de la même loi traite de la question des permis délivrés antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi. Il dispose que :
« I. ― Dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la présente loi, les titulaires de permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux remettent à l’autorité administrative qui a délivré les permis un rapport précisant les techniques employées ou envisagées dans le cadre de leurs activités de recherches. L’autorité administrative rend ce rapport public.
II. ― Si les titulaires des permis n’ont pas remis le rapport prescrit au I ou si le rapport mentionne le recours, effectif ou éventuel, à des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche, les permis exclusifs de recherches concernés sont abrogés« .
Ainsi prévoit-il un double mécanisme de contrôle pour les permis en vigueur.
Dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la loi les titulaires de permis exclusifs de recherches devaient remettre un rapport à l’administration précisant les techniques employées ou envisagées dans le cadre de leurs activités de recherches (§ I).
Si ce rapport faisait état d’un recours « effectif ou éventuel » à des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche, le permis correspondant était abrogé par l’administration (§ II). Aussi surprenant soit-il, la loi ne prévoyait pas explicitement d’abrogation dans l’hypothèse où le titulaire d’un permis aurait remis un rapport incomplet concernant les techniques employées ou envisagées pour mettre en œuvre le permis.
C’est dans ce contexte que les sociétés Total Gaz Shale Europe et Total Exploration et Production France, titulaires du « permis de Montélimar« , avaient remis un rapport dans lequel elles s’engageaient à ne pas utiliser la technique de la fracturation hydraulique mais ne précisaient pas les techniques de substitutions qu’elles envisageaient d’employer.
Le Ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement avait alors considéré que ce rapport ne répondait pas aux exigences de l’article 3 de la loi du 13 juillet 2011 et avait, en conséquence, abrogé le « permis de Montélimar« .
Le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi par les sociétés Total Gaz Shale Europe et Total Exploration et Production France, avait considéré que le seul engagement des sociétés de ne pas utiliser la technique de fracturation hydraulique suffisait à satisfaire aux conditions posées par le II de l’article 3 de la loi. Par conséquent, il avait annulé l’arrêté interministériel du 12 octobre 2011 abrogeant le permis exclusif de recherches d’hydrocarbures délivré aux deux sociétés.
Saisie en appel par le Ministre, la Cour administrative d’appel de Versailles s’est livrée à une interprétation intéressante, et plus audacieuse, de la loi n°2011-835 du 13 juillet 2011 .
Suivant les conclusions de son Rapporteur public, la Juridiction d’appel a considéré qu’ :
« il résulte des dispositions combinées des articles 1 et 3 de la loi du 13 juillet 2011, qui visent à protéger l’environnement par l’interdiction du recours à la fracturation hydraulique de la roche pour extraire les gaz de schiste, que l’administration est tenue d’abroger les permis exclusifs de recherches qu’elle a accordés si elle constate que les titulaires des permis confirment le recours à la fracturation hydraulique ou se sont abstenus de remettre le rapport prescrit ou si, après avoir apprécié tant la complétude du rapport que la réalité du recours à des techniques de substitution, elle estime que l’interdiction sur le territoire national de l’exploration et de l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche n’est pas respectée« .
Autrement posé, la Cour a donc considéré que l’intention du législateur lors de l’adoption de la loi du 13 juillet 2011 était d’interdire de manière effective le recours à la fracturation hydraulique pour des raisons de protection de l’environnement.
Afin de garantir l’absence de recours à la technique de fracturation hydraulique, l’administration devait être mise en mesure, dans le cadre du contrôle prévu à l’article 3 de la loi du 13 juillet 2011, de vérifier que les techniques de substitutions prévues par les titulaires des permis étaient bien réelles. Ainsi que l’avait souligné le Rapporteur public, à défaut d’un tel contrôle de l’administration, l’on pouvait craindre, soit, que certains permis restent en vigueur alors qu’ils ne sont plus que des « coquilles vides » impossibles à mettre en œuvre, soit plus grave, que certains titulaires de permis ne contournent l’interdiction du recours à la technique de la fracturation hydraulique.
Concrètement, si le titulaire ne précisait pas les techniques qui étaient prévues pour la mise en œuvre du permis, son rapport était incomplet et, de fait, ne satisfaisait pas aux dispositions de l’article 3 de la loi du 13 juillet 2011.
Dans ces conditions, l’administration pouvait légalement abroger son permis exclusif de recherches en application du II de l’article 3 de ladite loi.
Pour cette raison, la Cour administrative d’appel de Versailles a considéré que le Tribunal avait jugé, à tort, que le rapport remis (qui ne présentait pas les techniques de substitutions mises en œuvre) par les sociétés Total Gaz Shale Europe et Total Exploration et Production France répondait aux exigences posées par la loi du 13 juillet 2011.
Partant, elle a annulé la décision du Tribunal administratif ; l’abrogation du permis de Montélimar par le Ministre est donc (sous réserve de l’absence de pourvoi en cassation) confirmée.
Le pôle urbanisme du cabinet
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