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Le Conseil d’État précise les modalités de contestation du jugement avant dire droit rendu en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme

Le Conseil d’État précise les modalités de contestation du jugement avant dire droit rendu en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme

Article publié dans la revue Actualité Juridique des Collectivités Territoriales (AJCT) du mois d’octobre 2017.

Conseil d’État, 10 juin 2017, nº 394677 – Syndicat des copropriétaires de la résidence Butte Stendhal

Solution : Un jugement avant dire droit rendu en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme peut faire l’objet d’un recours au motif, d’une part, qu’il a écarté comme non fondés certains moyens et, d’autre part, qu’il a mis en œuvre la procédure de sursis. Mais l’intervention du permis modificatif en vue de régulariser le vice relevé conduira au non-lieu sur les conclusions dirigées contre ce jugement, en tant qu’il met en œuvre la procédure de sursis à statuer.

« Lorsqu’un tribunal administratif, après avoir écarté comme non fondés des moyens de la requête, a cependant retenu l’existence d’un vice entachant la légalité du permis de construire, de démolir ou d’aménager dont l’annulation lui était demandée et a alors décidé de surseoir à statuer en faisant usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme pour inviter l’administration à régulariser ce vice, l’auteur du recours formé contre ce jugement avant dire droit peut contester le jugement en tant qu’il a écarté comme non fondés les moyens dirigés contre l’autorisation initiale d’urbanisme et également en tant qu’il a fait application de ces dispositions de l’article L 600-5-1. Toutefois, à compter de la délivrance du permis modificatif en vue de régulariser le vice relevé, dans le cadre du sursis à statuer prononcé par le jugement avant dire droit, les conclusions dirigées contre ce jugement en tant qu’il met en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme sont privées d’objet. »

Observations : Le mécanisme de régularisation des permis de construire de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme est rédigé de manière volontairement souple. Ainsi que le rappelait le groupe de travail présidé par le président Labetoulle, « par la rédaction qu’il a retenue à cette fin, le groupe de travail n’a pas prétendu régler à l’avance toutes les questions – elles sont nombreuses – qui ne manqueront pas de se poser dans l’application de cette disposition (faudra-t-il, par exemple, admettre l’appel contre le jugement avant dire droit ou, comme cela paraît souhaitable, reporter la contestation des motifs pour lesquels ont été écartés les autres moyens jusqu’à l’intervention du jugement comportant le dispositif final ?). Il lui a semblé que la voie jurisprudentielle était la plus appropriée pour couvrir, progressive-ment, l’ensemble des hypothèses. » (Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre, mai 2013, p. 12). La décision commentée tend à éclairer la mise en œuvre du dispositif, en tranchant la question – cruciale pour les praticiens – des modalités de contestation du jugement avant dire droit et du jugement mettant fi n à l’instance.

S’agissant, d’abord, du jugement avant dire droit, l’on rappellera qu’il s’articule en deux temps : il doit nécessairement écarter, dans un premier temps, les moyens non fondés avant, dans un second temps, d’identifi er l’illégalité commise et de décider de sur-soir à statuer pour inviter l’administration à régula-riser le vice décelé. Ce jugement est susceptible de recours (appel ou pourvoi en cassation selon la date du permis et la situation du lieu de l’immeuble, en zone tendue ou non, v. CJA, art. R. 811-1-1). Contrairement à ce que préconisait le groupe de travail Labetoulle, le Conseil d’État autorise de le contester directement, sans même attendre le jugement mettant fin au litige.

Ce jugement pourra être critiqué, en premier lieu, en tant qu’il a écarté comme non fondés les moyens dirigés contre l’autorisation d’urbanisme initiale. Il pourra, en second lieu, être contesté en tant qu’il a fait application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme : si le texte ne limite pas les hypothèses de régularisation à des vices n’affectant qu’une partie du projet (comme l’art. L. 600-5 C. urb.), pour autant, certaines illégalités ne peuvent, par principe, être régularisées (v., par ex., en cas de projet situé en zone inondable : CAA Bordeaux, 13 juin 2017, n o16BX02761 ; ou encore en cas de modifications de nature à altérer la conception générale du projet : CAA Lyon, 30 mai 2017, n o15LY04104).

Cependant, et c’est l’un des apports de la décision commentée, à compter de la délivrance du permis modificatif en vue de régulariser le vice relevé par la juridiction, les conclusions dirigées contre le jugement avant dire droit, en tant qu’il met en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme sont privées d’objet. En conséquence, le juge saisi du jugement avant dire droit devra constater le non-lieu à statuer sur les conclusions dont il est saisi, en tant qu’elles sont dirigées contre la décision de mettre en œuvre la procédure de sursis. Seule restera à juger, pour autant que des conclusions aient été développées en ce sens, la question du sort réservé aux moyens écartés par le jugement avant dire droit.

Il appartiendra au requérant de s’interroger sur l’opportunité de critiquer ce jugement (qui supposera d’ailleurs de saisir obligatoi-rement un avocat à la cour ou aux conseils et donc d’engager des frais…). Majoritairement, les invitations à régulariser sont effectivement suivies d’effet. De sorte que l’intérêt de former un recours à l’encontre du jugement avant dire droit sera, notamment quand le permis modificatif sera rapidement délivré, avant même l’expiration du délai d’appel, très souvent limité, sauf à disposer d’arguments solides pour démontrer que les premiers juges se sont trompés dans l’analyse des moyens écartés.

Le Conseil d’État précise aussi les modalités de contestation du jugement mettant fi n à l’instance, quand le juge prend acte de l’in-tervention – efficace – du permis modificatif.

Derechef, un recours pourra être formé à l’encontre de ce jugement : l’auteur d’un recours contre ce jugement pourra contester la légalité du permis de construire modificatif par des moyens propres (incompétence de l’auteur, modifications apportées au projet irrégulières…) et au motif que le permis initial n’était pas régularisable. En revanche, les moyens écartés par le jugement avant dire droit seront considérés comme inopérants pour contester le jugement mettant fi n à l’instance (dès lors que ces moyens étaient dirigés contre le permis de construire initial, et non contre le permis modificatif).

Philippe PEYNET – avocat associé

 

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