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Lois pour la confiance dans la vie publique et les collectivités territoriales : premier regard

Lois pour la confiance dans la vie publique et les collectivités territoriales : premier regard

Article publié dans la revue AJCT du mois de Septembre 2017

Après quelques atermoiements quant à l’appellation même des projets de loi et le rappel bienvenu que la morale devait encore rester – dans notre République – de l’ordre de la sphère privée, le législateur a donc adopté deux textes, une loi ordinaire et une loi organique, visant à (r)établir la confiance dans la vie politique, passés au tamis du contrôle de constitutionnalité (décis. nos 2017-752 DC [loi ordinaire] et 2017-753 DC [loi organique] du 8 sept. 2017). Nous reviendrons plus en détail dans ces colonnes sur ces deux textes, mais quelques observations peuvent d’ores-et-déjà être formulées sur les dispositions les plus emblématiques ou impactantes pour les collectivités territoriales, leurs élus et agents.

Peine complémentaire d’inéligibilité – Par son article 1er, la loi ordinaire établit une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité, à l’encontre de toute personne coupable de l’un des délits qu’il énumère ou d’un crime. Cette peine doit figurer au bulletin n° 2 du casier judiciaire. Toutefois, la loi prévoit que la juridiction répressive saisie peut, par une décision spécialement motivée, ne pas prononcer cette peine complémentaire, « en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ». Il s’agissait pour le légis-lateur de renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus, ainsi que la confi ance des électeurs dans leurs représentants. Saisi de la constitutionnalité de cet article, le Conseil constitutionnel a, sur le principe, validé l’essentiel du dispositif (n° 2017-752 DC, consid. 4 à 10).

Il a, d’une part, indiqué que la détermination des sanctions attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, limitant ainsi son contrôle à l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue. D’autre part, il constate que la peine d’inéligibilité, pour obligatoire qu’elle est, « doit être prononcée expressément par le juge, à qui il revient d’en moduler la durée ». Au surplus, le juge pénal peut, « en considération des circonstances de l’infraction et de la personna-lité de son auteur, décider de ne pas [la] prononcer ». Le Conseil constitutionnel en déduit, à ce niveau, que le principe d’individualisation des peines a été respecté. Pour mémoire, saisi au titre d’une question prioritaire de constitutionnalité (n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010), le juge constitutionnel avait déclaré contraire à la Constitution l’ancien article L. 7 du code électoral qui prévoyait une interdiction d’inscription sur les listes électorales pour les personnes condamnées sur le fondement de l’une des infractions relatives au manquement au devoir de probité. Il avait alors jugé que ce dispositif était contraire à la Constitution au double motif que le juge n’avait pas à la prononcer expressément et qu’il ne pouvait pas davantage en faire varier la durée. Le législateur de 2017 s’est donc inscrit dans ce sillon. Pour autant, d’un point de vue pratique, ce dispositif rendra souvent délicate la défense pénale des personnes mises en cause, surtout lorsqu’elle consistera à plaider la relaxe.

En revanche, le Conseil constitutionnel a prononcé une réserve d’importance et a censuré une partie du dispositif. Par son considérant 11, le Conseil constitution-nel vient encadrer les effets de l’application de la peine complémentaire par une réserve d’interprétation. Il a en effet jugé que les dispositions entraînant l’inéligi-bilité de la personne condamnée ne sauraient être interprétées comme entraînant de plein droit, en matière délictuelle, l’interdiction ou l’incapacité d’exercer toute fonction publique. De plus, il a censuré, dans l’énumération des infractions au titre desquelles la peine complémentaire est prononcée, les délits de presse qui y fi gu-raient. Après avoir rappelé que « la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés » (consid. 12), il censure la disposition de la loi ordinaire qui visait les délits prévus aux articles 24, 24 bis, 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881. En effet, même si ces dispositions répriment, par exemple, l’apologie de crimes contre l’Humanité ou l’incitation à la haine raciale, à côté de la diffamation ou de l’injure, le juge constitutionnel a estimé que la liberté d’expression revêt une telle importance dans le débat politique et dans les cam-pagnes électorales que, « pour condamnables que soient les abus dans la liberté d’expression visés par ces dispositions, en prévoyant l’inéligibilité obligatoire de leur auteur, le législateur a porté à la liberté d’expression une atteinte disproportionnée » (consid. 13).

Renforcement de la prévention des conflits d’intérêts – S’agissant de la sphère territoriale, deux aspects appellent commentaire. En premier lieu, la loi ordinaire modifi e notamment l’article 11-II de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique et l’article 25 quinquies, II, de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonc-tionnaires pour fi xer à un an, et non plus six mois, le délai au-delà duquel une nouvelle déclaration de situation patrimoniale est exigée si la personne qui y a procédé doit en fournir une pour un nouveau motif (nouveau mandat, nouvelle responsabilité exécutive, nomination dans une fonction requérant le dépôt d’une déclaration de situation patrimoniale…).

En second lieu, l’article 9 de la loi déférée donnait la possibilité à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) d’exercer le droit à communi-cation de certains documents ou renseignement, nor-malement reconnu à l’administration fi scale, afi n de recueillir toutes informations utiles à l’accomplissement de sa mission de contrôle des déclarations. À ce titre, la HATVP aurait pu se faire communiquer les données de connexion détenues par les opérateurs de communica-tions électroniques, les fournisseurs d’accès ou héber-geurs de tels services. Le juge constitutionnel a censuré l’article 9 dans son ensemble, car il a estimé que, faute pour le législateur d’avoir assorti ce droit à communication d’une procédure fi xant des garanties suffi santes, ce dispositif porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée des personnes contrôlées.

Encadrement des emplois familiaux – Assurément, il s’agissait de l’une des mesures emblématiques des premiers projets de loi, directement « inspirées » des affaires ayant émaillées les campagnes présidentielle et législatives. Le Conseil constitutionnel a rejeté les griefs formulés à l’endroit de ce dispositif (en particulier, pour la sphère territoriale, les articles 15, 16 et 17), notamment les atteintes aux principes d’égalité devant la loi et dans l’accès aux emplois publics, et a validé pour l’essentiel le dispositif voté. Ainsi, dès la promulgation de la loi, il sera, d’une part, interdit à l’autorité territoriale de compter parmi les membres de son cabinet un membre de son « premier cercle familial », c’est-à-dire : – son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de soli-darité ou concubin ; – ses parents ou les parents de son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin ; – ses enfants ou les enfants de son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin. La méconnaissance de cette interdiction entraînera la cessation de plein droit du contrat, le remboursement par l’autorité territoriale des sommes versées au collaborateur et éventuellement la mise en cause pénale de l’autorité territoriale qui encourt à cette occasion une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.

D’autre part, si elles sont soumises aux obligations déclaratives de l’article 11 de la loi du 11 octobre 2013 précitée, les autorités territoriales devront informer sans délai la HATVP de la présence au sein de leur cabinet d’un membre ou ancien membre de leur famille, en particulier les frères et sœurs, beaux-frères et belles-sœurs, neveux et nièces, ex-conjoints, enfant des ex-conjoints. À ce titre, la loi déférée avait confié à la HATVP le pouvoir de pro-noncer une injonction pour faire cesser la situation de confl it d’intérêts qu’elle aurait pu constater, et l’obligation de rendre publique cette injonction. Les Sages censurent cette disposition, au motif qu’elle est de nature à porter atteinte à la séparation des pouvoirs. Désormais, pour les situations d’emplois familiaux devant être communiquées à la HATVP, cette dernière ne pourra « que » se prononcer sur l’existence ou pas d’une situation de confl it d’intérêts résultant de cette situation. Enfi n, l’application des régimes d’interdiction pour les premiers et de déclaration obligatoire des seconds n’exonère pas les autorités territoriales de l’application éven-tuelle des articles 432-10 à 432-13 et 432-15 du code pénal (délits de concussion, corruption passive et trafic d’influence, prise illégale d’intérêts, délit de « pantouflage » et sous-traction et détournement de biens).

Fin de la « réserve parlementaire » – La pratique de la « réserve parlementaire » consistait en l’ouverture de crédits en loi de finances par l’adoption d’amendements du gouvernement reprenant des pro-positions de membres du Parlement en vue du financement d’opéra-tions déterminées. Critiquée de manière récurrente pour son opacité et sa dimension parfois clientéliste, cette question a fait l’objet de débats animés, en particulier au Sénat. Conformément aux disposi-tions de l’article 14 de la loi organique, la suppression de la pratique de la « réserve parlementaire » a été entérinée par le Conseil constitutionnel. Et le dispositif de remplacement envisagé par le Sénat – la création d’un fonds d’investissement orienté vers les petites collectivités territoriales – n’a pas été retenu par l’Assemblée nationale, malgré l’avis initialement favorable du gouvernement. La nouvelle étape que constitue le vote des lois pour la confi ance dans la vie politique dans l’édification d’une action publique tou-jours plus transparente et exemplaire s’ajoute aux très nom-breuses normes produites depuis 2013, et ne sera probablement pas la dernière du quinquennat. Mais peut-être faudra-t-il, malgré tout, laisser un peu de temps aux collectivités territoriales, à leurs élus et à leurs agents pour intégrer et s’approprier pleine-ment ces nouveaux impératifs et nouvelles contraintes dans leur culture et pratique de leurs responsabilités.

Samuel DYENS – avocat associé

 

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