Mettre en œuvre les nouvelles obligations de libre accès aux données publiques
Article paru dans l’hebdomadaire La Gazette des Communes du 9 octobre 2017.
Nouvelle loi : La loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique (PRN) marque une nouvelle étape dans l’ouverture des données publiques en France.
Publication automatique : Elle crée une obligation de publication en ligne de certaines informations publiques.
Réutilisation libre : Elle consacre le principe de libre réutilisation des données publiques.
01 – Appliquer un droit de communication étendu
Le droit de communication est d’abord ouvert à de nouveaux bénéficiaires. Les personnes publiques jouissent désormais du droit d’accéder aux documents administratifs d’autres administrations, dans les mêmes conditions que les particuliers et les entreprises. Ce qui devrait favoriser les échanges entre administrations jusqu’ici pénalisés par des pratiques hétérogènes (Ex : signatures de conventions, paiement de redevances).
Le droit à communication est ensuite élargi à de nouveaux documents. Sont dorénavant considérés comme des documents administratifs au sens de la loi du 17 juillet 1978 les documents relatifs à la gestion du domaine privé de l’Etat et des collectivités territoriales (art. L.300-3 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA)), à l’exception notable des actes notariés. Par ailleurs, relèvent désormais expressément des documents communicables les codes sources des logiciels utilisés par les administrations. L’obligation de communication est, encore, étendue, au bénéfice de l’usager qui a fait l’objet d’une décision individuelle prise sur le fondement d’un traitement algorithmique (Ex : Admission Post-Bac). L’usager peut accéder aux règles définissant l’algorithme, ainsi qu’aux principales caractéristiques de sa mise en œuvre (art. L.311-3-1 CRPA), ce qui implique de créer un document administratif regroupant des informations listées par décret (art. R.311-3-2-1). Devra en outre figurer sur toute décision individuelle prise sur le fondement d’un traitement algorithmique une mention explicite, prochainement définie à l’article R.311-3-1-1 CRPA, informant la personne concernée de ce droit de communication.
Le droit de communication connaît une nouvelle modalité : outre la consultation sur place, la copie matérielle et l’envoi par mail, l’administré peut solliciter la publication en ligne d’un document (art. L.311-1 et L.311-9 CRPA), sauf s’il n’est communicable qu’à lui, ou s’il n’est pas dans les possibilités techniques de l’administration d’y procéder. La loi PRN prévoit enfin, à la charge des gestionnaires du domaine public routier de plus de 3500 habitants, l’obligation de communication électronique au ministre chargé de la sécurité routière des informations relatives à la vitesse maximum autorisée sur leurs réseaux.
02 – Respecter les nouvelles limites du droit de communication
L’extension du champ de la communication imposait en parallèle de nouvelles protections : aux secrets et intérêts publics du 2° de l’article L.311-5 CRPA ont ainsi été ajoutés la sécurité des systèmes d’information des administrations et le bon déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou opérations préliminaires.
La loi PRN a en outre codifié le contenu du secret en matière commerciale et industrielle. Ne sont communicables qu’à la personne intéressée des documents dont la communication porterait atteinte : au secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles. Ces secrets doivent être appréciés en tenant compte du fait que la mission de service public en cause est ou non soumise à la concurrence (art. L.311-6 1° CRPA). L’application de cette exception reste délicate : elle requiert une analyse fine du contexte et des conséquences qu’aurait la communication sur l’environnement concurrentiel, qui pourra être réalisée sur la base des avis déjà rendus par la CADA. En cas de doute, il est préférable de saisir la CADA pour avis.
Enfin dans l’hypothèse de demande d’un chercheur d’accéder, à titre dérogatoire, à des archives non communicables avant un certain délai, il est désormais possible aux administrations de solliciter l’avis du comité du secret statistique (art. L.213-2 s. du C. du patrimoine ; art. L.311-8 et R.311-8-1 s. CRPA).
03.- Procéder aux publications en ligne requises par le CRPA
La loi PRN instaure –tout en prévoyant d’importantes exonérations ou interdictions (v. 4/) – l’obligation de publier gratuitement en ligne 4 types de documents (art. L.312-1-1 CRPA). La mise en œuvre de l’obligation a été conçue de manière progressive : les documents communiqués sur demande d’un administré et leurs versions mises à jour avant le 7/04/2017, les documents figurant dans le répertoire imposé par l’article L.322-6 CRPA avant le 7/10/2017, les bases de données, mises à jour, produites ou reçues, et non publiées par ailleurs et les données mises à jour, dont la publication présente un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental avant une date limite qui doit être précisée par décret (au plus tard le 7/10/2018). Ce dernier aspect sera le plus complexe à mettre en œuvre : la définition des bases de données concernées, et la protection des données sensibles qu’elle contiennent, supposeront un réel effort de la part des administrations.
A noter : L’administration doit sélectionner les données « dont la publication présente un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental » (article L312-1-1 CRPA).
A noter également, deux nouvelles obligations de publication électronique annexes : celle des données essentielles des conventions de subvention dépassant un certain seuil pour les collectivités de plus de 3500 habitants et leurs établissements publics, et celle des règles définissant les principaux traitements algorithmiques qui fondent des décisions individuelles prises dans l’exercice de leurs missions par les administrations dont le nombre d’agents ou de salariés est supérieur à 50 ETP (art. L.312-1-3 CRPA).
Toutes ces publications électroniques doivent intervenir dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé (art. L.300-4 CRPA).
04 – Connaître les exonérations et interdictions de publication en ligne
L’obligation de publication ne s’applique pas de manière totale et indistincte. Toutes les personnes soumises à l’obligation de communication de documents administratifs ne sont, d’abord, pas concernées par l’obligation de publication en ligne de l’article L.312-1-1 CRPA. En sont exonérées les collectivités territoriales de moins de 3500 habitants, et les personnes morales chargées d’une mission de service public comptant moins de 50 agents ou salariés en ETP. En effet, si l’on peut attendre de la communication spontanée qu’elle soulage les grosses collectivités de nombreuses demandes individuelles, la publication en ligne peut, pour des entités plus modestes, paraître au contraire contreproductive.
De plus, les documents n’existant pas sous forme électronique n’ont pas à être publiés ; et, pour épargner aux collectivités le risque que soit considérée comme obligatoire par la CADA la publication des archives historiques numérisées, l’article L.312-1-2 in fine du CRPA précise que les administrations n’y sont pas tenues. L’obligation de diffusion est au demeurant assortie d’un certain nombre d’interdictions : comme en matière de communication sur demande, les limitations posées par les articles L.311-5 et L.311-6 CRPA s’appliquent. Les mentions non communicables doivent être occultées avant toute publication en ligne (art. L.312-1-2 CRPA). Ce qui supposera, en amont, un choix parfois délicat et, en aval, un travail significatif.
La loi PRN vient également rappeler que, sauf disposition législative contraire, ou si les personnes concernées ont donné leur accord, les documents qui comportent des données personnelles doivent être expurgés de toute mention permettant l’identification. Toutefois, il est prévu qu’intervienne un décret fixant la liste des catégories de documents pouvant être rendus publics sans avoir fait l’objet de ce traitement (art. L.312-1-2 CRPA). Dans l’attente, la CADA considère que le nom des personnes physiques pétitionnaires doit être retiré des listes d’autorisations individuelles d’urbanisme publiées sur le site internet d’une commune. Elle estime cependant que l’obligation d’occultation préalable ne s’étend pas aux données qui, par nature, n’ont pas à être occultées ou à faire l’objet d’un tel traitement comme c’est le cas des noms des élus ayant participé aux discussions de l’assemblée délibérante, des prénom, nom et qualité des auteurs des actes ou des bénéficiaires de délégations de signature ou des personnes désignées par un acte administratif lorsque leur publication est nécessaire pour faire courir le délai de recours contentieux ou rendre l’acte opposable aux tiers.
Références :
- Titre 1er de la loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, dite « PRN » ou« Lemaire » et ses décrets d’application
- Articles L.300-1 à L326-1 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA)
05 – Respecter la liberté de réutilisation des données publiques tout en l’encadrant
La possibilité pour les administrations de faire obstacle à la réutilisation des données publiques est encore réduite par la loi PRN : les informations publiques contenues dans les bases de données publiées par les administrations exerçant une mission de service public à caractère industriel et commercial (SPIC) sont désormais réutilisables, à l’exception notable des bases produites ou reçues dans l’exercice d’un SPIC soumis à concurrence (art. L.321-3 CRPA).
On signalera ensuite que le pouvoir d’encadrement de la réutilisation des données est circonscrit : si l’administration souhaite soumettre la réutilisation à titre gratuit des données qu’elle détient à licence, cette dernière doit en principe être choisie parmi celles figurant sur une liste à l’article D.323-2-1 du CRPA. Si elle souhaite recourir à une autre licence, elle devra obtenir son homologation préalable par l’Etat (art. D.323-2-2 CRPA).
Elisa CORAZZA – avocat collaborateur