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Ouverture à la concurrence du TER et détermination du nombre d’ETP à transférer : la Cour d’appel de Paris apporte des précisions sur la méthodologie à suivre et sanctionne la rétention d’informations de SNCF Voyageurs

Ouverture à la concurrence du TER et détermination du nombre d’ETP à transférer : la Cour d’appel de Paris apporte des précisions sur la méthodologie à suivre et sanctionne la rétention d’informations de SNCF Voyageurs

La Cour d’appel de Paris a rendu, ce 6 mai 2021, un arrêt qui risque de faire jurisprudence en matière de détermination du nombre d’ETP transférables dans le cadre d’un éventuel changement d’opérateur suite à mise en concurrence du service TER (RG 20/05166) . Une décision qui fournit un nouveau « mode d’emploi » aux Régions, souvent démunies face à un opérateur historique qui ne leur transmet pas toutes les données nécessaires à l’exercice de leur pouvoir de contrôle.

 

Rappel du cadre juridique

Les régions disposent depuis le 3 décembre 2019 de la faculté d’ouvrir à la concurrence les services de transport ferroviaire de voyageurs d’intérêt régional (TER), actuellement tous exploités par la société SNCF Voyageurs. Dans ce cadre elles sont tenues de publier un certain nombre d’informations pour que les concurrents potentiels puissent formuler leur offre, parmi lesquelles figurent celles relatives au nombre de salariés concernés par catégories d’emplois susceptibles d’être transférés en cas de changement d’opérateur.

L’article L.2121-22 du code des transports prévoit que la fixation du nombre des salariés dont le contrat de travail se poursuit auprès du nouvel employeur doit intervenir d’un commun accord entre le cédant et l’autorité organisatrice et le décret n° 2018-1242 du 26 décembre 2018 relatif au transfert des contrats de travail des salariés en cas de changement d’attributaire d’un contrat de service public de transport ferroviaire de voyageurs instaure une méthodologie de calcul précise.

Cependant, aucune décision judiciaire n’avait encore été rendue au sujet des conditions d’applications concrètes de ces dispositions. En cet état les Régions pouvaient se trouver confrontées à un opérateur historique lui soumettant des chiffres qu’il lui était impossible de vérifier en raison de l’absence de transmission d’un certain nombre de données nécessaires à l’application de la méthode prévue par le décret n°2018-1242 précité.

 

Le différend entre la Région-Provence-Alpes-Côte d’Azur (Sud) et SNCF Voyageurs porté devant l’ART puis la CA de Paris

C’est précisément la situation à laquelle a été confrontée la Région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, qui a refusé d’avaliser sans contrôle les chiffres soumis par SNCF Voyageurs dans le cadre de la mise en concurrence de deux lots de transport ferroviaire de voyageurs. L’autorité organisatrice de transport a pris la décision de reconstituer elle-même, avec l’aide d’un assistant à maitrise d’ouvrage, le nombre d’ETP nécessaires à l’exploitation des lots en cause. Ce qui l’a conduit à un résultat inférieur d’environ 40% à celui de SNCF Voyageurs.

Le différend a été porté devant l’Autorité de régulation des Transports qui, dans une décision n° 2020-019 du 28 février 2020 a :

– estimé que c’est à la date de la publication de l’avis de pré-information que doit être évalué le nombre d’ETP, sur la base de l’organisation existante

– dit qu’il appartient à SNCF Voyageurs de transmettre les données permettant de calculer le nombre d’ETP selon une méthodologie conforme au Décret et considéré que ces données n’ont pas été fournies par le cédant ;

– estimé que la méthodologie retenue par SNCF Voyageurs pour fixer le nombre d’emplois concourant directement à la production est contraire au Décret dans la mesure où elle ne repose pas sur une addition des temps d’affectation des salariés concernés à chaque lot transféré, et elle a observé que cette méthode aboutissait à des résultats contraires à ceux auxquels devait aboutir la mise en oeuvre des dispositions du Décret ;

– considéré que faute de transmission par SNCF Voyageurs des données nécessaires à l’application de la méthodologie prévue au Décret, il convenait, pour trancher le différend dans le délai imparti, de se fonder sur les chiffrages de la Région en redressant ceux qu’elle a considéré comme manifestement erronés.

L’ART a ainsi abouti à un nombre d’ETP inférieur d’environ 30 % à celui de SNCF Voyageurs.

SNCF a formé un recours contre cette décision, que la Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 6 mai 2021, a rejeté pour l’essentiel.

Cette décision (RG 20/05166) valide en effet la quasi-totalité de la décision n° 2020-019 de l’Autorité de régulation des transports en date du 28 février 2020, et rejette l’ensemble des demandes de SNCF, à l’exception de celle portant sur une unique catégorie d’emploi, le chiffre finalement retenu étant celui évalué par la Région au regard de la situation des effectifs au jour de la publication de l’avis de pré-information (et non celui, prévisionnel, issu de l’application d’une trajectoire de diminution des effectifs d’ici la date d’un éventuel transfert).

 

Les apports de l’arrêt du 6 mai 2021

La consécration du rôle des AOT dans la fixation du nombre d’ETP à transférer en l’état de la carence de SNCF Voyageurs.

Il s’agit d’un arrêt d’importance, d’abord parce que la Cour d’appel valide pleinement la possibilité pour les autorités organisatrices de transport, dans le cadre de la fixation du nombre d’ETP à transférer, de reconstituer certaines données avec l’aide d’un assistant à maîtrise d’ouvrage, faute d’avoir obtenu toutes les données utiles détenues par SNCF Voyageurs.

Plus précisément la Cour a jugé que « l’ART était fondée, dans le délai imparti à l’article L.1263-1 du code des transports précité, à trancher le différend sur la base des éléments qui lui ont été fournis, et en particulier la méthodologie et les chiffrages présentés par la Région, sans qu’il puisse être reproché à cette dernière d’avoir reconstitué certaines données avec l’aide d’un assistant à maîtrise d’ouvrage, faute d’avoir obtenu toutes les données utiles détenues par SNCF Voyageurs« .

Naturellement, si les chiffres proposés par la Région ont pu servir de base au règlement du différend, c’est aussi parce que l’ART puis la Cour ont constaté qu’ils résultaient d’une méthode de calcul conforme aux prévisions des textes.

La Cour indique en ce sens que « la méthode employée par la Région a consisté à déterminer les agents concourant concrètement à l’exploitation des deux lots, afin de procéder, à défaut de disposer des éléments lui permettant de fixer le nombre d’ETP à transférer sur la base des effectifs existants, au chiffrage des effectifs nécessaires au fonctionnement du service transféré dans la configuration qui était la sienne au jour de la mise en concurrence. Comme l’indique à juste titre l’ART dans ses écritures, elle a dû surmonter l’impossibilité de déterminer les effectifs réels, et donc ce qui relèverait d’un sureffectif, en se fondant sur les effectifs nécessaires présentés par la Région, base sur laquelle elle a exercé son contrôle.« .

Les chiffres de la Région ont encore été retenus parce qu’ils n’ont pas été utilement remis en cause par SNCF Voyageurs, ni devant l’ART, ni devant la Cour d’appel.

La Cour relève ainsi que « SNCF Voyageurs n’a produit aucun élément établissant que les effectifs nécessaires au fonctionnement des services transférés correspondaient, in concreto, à un nombre supérieur à celui proposé par la Région, étant observé que la construction des journées de service ne peut être reconstituée dans toute sa complexité que par le cédant, qui seul dispose des informations nécessaires. Force est de constater que le dialogue sur les corrections à apporter aux calculs de la Région n’a été nourri, y compris devant la Cour, que par les échanges entre cette dernière et l’ART, SNCF Voyageurs se bornant à invoquer les chiffres issus de sa méthodologie. ».

In fine, la Cour n’a rectifié le chiffrage que d’une seule catégorie d’emploi, au motif que « l’ART avait retenu le chiffrage de la Région dans sa version tenant compte de la trajectoire RH, alors qu’elle avait précédemment indiqué que seule la situation des effectifs au jour de l’avis de préinformation pouvait être prise en compte« .

Il faut souligner qu’au global, le chiffrage des ETP reste à l’issue de l’arrêt inférieur de plus de 25% à celui proposé par SNCF Voyageurs.

Des précisions sur la méthodologie de calcul des ETP transférables

S’agissant précisément de la méthodologie, la Cour d’appel pose des règles claires, qui sont pour l’essentiel celles qui ont été suivies par la Région en l’espèce.

La Cour d’appel considère d’abord, à l’instar de l’ART et de la Région, que la détermination du nombre d’emplois transférés à l’opérateur alternatif « passe (…) par une analyse de l’existant, salarié par salarié en procédant à un décompte individuel du temps d’affectation au service ou d’une reconstitution de celui-ci sur une base nécessairement individuelle« .

Elle en déduit au regard des textes que « lors de la phase du calcul des ETP à transférer, il revient au cédant de calculer, sur la base de l’existant, le temps d’affectation de « chaque salarié » au service transféré. Il s’en déduit qu’il s’agit d’un préalable obligatoire. Le cédant ne peut donc procéder à ce calcul en partant d’un temps d’affectation moyen théorique de l’ensemble des salariés, par application d’une quote-part théorique. Ce nombre correspond ainsi, pour chacun des lots définis par la Région, au temps de travail cumulé, effectivement passé par les salariés du cédant au sein du service ayant fait l’objet d’une ouverture à la concurrence. »

La Cour précise cependant que « Cette méthode n’exclut pas de recourir à toute quote-part pour les postes mutualisés par nature que sont les postes de vente de billets de train aux guichets, certains services en gare et la maintenance courante du matériel roulant, sous réserve que la reconstitution du temps affecté au service transféré s’opère, dans la configuration qui était la sienne à la date de publication de l’avis de pré-information, sur une base individuelle et appropriée qui traduise fidèlement la réalité des missions du personnel de la catégorie concerné. »

Elle ajoute que « Cette obligation résulte du Décret, sans que soit imposé d’outil particulier pour y parvenir (…) » pour ensuite critiquer fermement l’absence de diligences de SNCF Voyageurs dans les termes suivants : « Comme l’ont justement relevé l’ART et la Région, les difficultés nées de l’organisation actuelle des services de SNCF Voyageurs ne sont pas insurmontables. Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2018-515 du 27 juin 2018, cette dernière pouvait en effet mettre en place, par exemple, un système déclaratif recensant auprès des salariés affectés à plusieurs services la répartition de leur temps de travail ou se doter de tout autre outil, à sa convenance, lui permettant de mesurer le temps de travail effectivement passé par les salariés sur les lots en question. »

Autrement posé, la juridiction rejette l’argumentation de SNCF Voyageurs qui consiste à prétendre de pas disposer des informations prévues pour le calcul des ETP pour ensuite tenter d’imposer une méthode de calcul « alternative » fondée sur les seules données dont elle disposerait en l’état de son organisation actuelle.

La charge de la preuve repose bien sur SNCF Voyageurs, qui devra désormais mettre en place les outils nécessaires à une information, complète, claire et transparente indispensable à la réussite de l’ouverture à la concurrence du secteur du transport ferroviaire de voyageurs.

On retiendra enfin que, de façon plus anecdotique, la Cour d’appel précise que la direction générale TER constitue une direction centrale au sens des dispositions de l’article 2 III du décret n°2018-1242 ; ce dont il s’infère que ses effectifs doivent être exclus des salariés dont le contrat de travail doit être transféré en application de l’article L.2121-22 du code des transports et donc de l’assiette du calcul des ETP à transférer.

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