PLU et prise illégale d’intérêt : une nouvelle illustration
C. Cass. Crim., 22 février 2017, 16-82039
L’élaboration des documents d’urbanisme peut poser, dans certaines communes, des difficultés quand les élus en charge de « piloter » la procédure sont également propriétaires fonciers. Si le zonage de leurs terrains évolue favorablement (classement en zone constructible, assouplissement des contraintes), le risque d’illégalité administrative existe, tiré de la méconnaissance de l’article L. 2131-11 du Code général des collectivités territoriales (qui dispose que « Sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l’affaire qui en fait l’objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires »).
Traditionnellement, le Conseil d’Etat considère qu’est illégale la délibération intervenue en raison de l’« influence effective » – qui doit ressortir des pièces du dossier – d’un conseiller intéressé (CE, 30 décembre 2002, Association « Expression Village », n°229099, mentionné aux Tables ; pour un arrêt rappelant que « s’il est constant qu’un conseiller municipal et l’adjointe à l’environnement et à l’urbanisme sont propriétaires de parcelles ayant été classées en zone constructible par le document d’urbanisme en litige, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces derniers aient exercé une influence sur le vote du conseil municipal, lequel s’est prononcé à la majorité de vingt-quatre voix sur vingt-neuf, en faveur de l’approbation de ce plan local d’urbanisme » : CAA Bordeaux, 18 avril 2013, Commune de Biganos, n° 12BX01967). S’agissant de l’intérêt personnel, la Jurisprudence le définit négativement : c’est l’intérêt distinct de celui « de la généralité des habitants » ou de ceux de la Commune elle-même (CE 26 octobre 2012, Commune de Voegtlinshoffen, n°351234 ; CE, 15 avril 2016, SCI SM, n°390113).
Dans une décision récente, le Conseil d’Etat a rappelé que « la participation au vote permettant l’adoption d’une délibération d’un conseiller municipal intéressé à l’affaire qui fait l’objet de cette délibération, c’est-à-dire y ayant un intérêt qui ne se confond pas avec ceux de la généralité des habitants de la commune, est de nature à en entraîner l’illégalité ; que, de même, sa participation aux travaux préparatoires et aux débats précédant l’adoption d’une telle délibération est susceptible de vicier sa légalité, alors même que cette participation préalable ne serait pas suivie d’une participation à son vote, si le conseiller municipal intéressé a été en mesure d’exercer une influence sur la délibération ; que, cependant, s’agissant d’une délibération déterminant des prévisions et règles d’urbanisme applicables dans l’ensemble d’une commune, la circonstance qu’un conseiller municipal intéressé au classement d’une parcelle ait participé aux travaux préparatoires et aux débats précédant son adoption ou à son vote n’est de nature à entraîner son illégalité que s’il ressort des pièces du dossier que, du fait de l’influence que ce conseiller a exercée, la délibération prend en compte son intérêt personnel » (CE, 12 octobre 2016, M. A. B., n°387308).
Un autre risque existe, bien plus redoutable : le délit de prise illégale d’intérêt prévu par l’article 432-12 du Code pénal (« le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction« ).
Un arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 22 février 2017 (qui ne sera pas publié au Bulletin, ce qui signifie qu’il n’apporte rien à la Jurisprudence) illustre la dangerosité de cette incrimination, qui n’exige notamment pas que l’intérêt pris par le prévenu soit en contradiction avec l’intérêt communal :
« Attendu qu’en l’état de ces énonciations, et dès lors que, d’une part, la participation, serait-elle exclusive de tout vote, d’un adjoint au maire d’une commune à un organe délibérant de celle-ci, lorsque la délibération porte sur une affaire dans laquelle il a un intérêt, vaut surveillance ou administration de l’opération au sens de l’article 432-12 du code pénal, d’autre part, l’article 432-12 du code pénal n’exige pas que l’intérêt pris par le prévenu soit en contradiction avec l’intérêt communal, enfin, la participation de M. Y… aux réunions de la commission d’urbanisme fait partie intégrante de ses fonctions d’adjoint au maire, visées par la prévention, la cour d’appel, qui a caractérisé en tous ses éléments le délit de prise illégale d’intérêt, a justifié sa décision » ( C. Cass. Crim., 22 février 2017, 16-82039).
Plus que jamais, l’attention des élus doit être attirée, en début de procédure sur les risques liés à « piloter » une procédure d’évolution du document d’urbanisme qui pourrait conduire à une évolution favorable de la constructibilité de leurs terrains.
Philippe PEYNET – avocat associé
Etienne MASCRE – avocat collaborateur