Répertoire numérique des représentants d’intérêts : quelles conséquences pour les collectivités territoriales ?
La loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 », constituait dans l’esprit de ses auteurs une étape majeure dans la mise en place de nouvelles règles visant à établir et à promouvoir des pratiques déontologiques renouvelées dans la sphère publique. On sait depuis les dernières élections législatives qu’une nouvelle étape sera franchie, avec les deux projets de loi, l’un ordinaire, l’autre organique, visant à rétablir la « confiance dans la vie publique ». Des lois, aussi lourdes de conséquences que délicates à mettre en œuvre se succèdent ainsi, rendant « coup pour coup » aux révélations médiatiques et affaires politico-financières qui s’en suivent, que le terme générique de « transparence », expression saturée de significations différentes, ne permet de synthétiser que très imparfaitement.
La mise en œuvre d’un répertoire numérique des représentants d’intérêts participe de cette démarche. Destinée à favoriser la « transparence des rapports entre les représentants d’intérêts et les pouvoirs publics », la mise en place du répertoire numérique des représentants d’intérêts intéresse au premier chef les représentants d’intérêts eux-mêmes et leurs employeurs ou commanditaires. Pour autant, il ne faudrait pas penser, dans les collectivités territoriales, que ces personnes interviennent seulement dans les ministères et les antichambres des assemblées parlementaires. Le poids du secteur public local est tel qu’il est un lieu de lobbying évident. En cela, l’article 18-1 de la loi du 11 octobre 2013, tel qu’il résulte de la loi Sapin 2, rappelle que « le répertoire numérique assure l’information des citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les pouvoirs publics », en rendant publiques – par l’intermédiaire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) – les informations qu’il contient. Dans cette optique, l’étude d’impact énonce les quatre objectifs que le Gouvernement s’est assignés en la matière, s’inspirant fortement du rapport de janvier 2015 du président de la HATVP, Jean-Louis Nadal. Il s’agit tout à la fois d’identifier les représentants d’intérêts, de réguler leurs interventions, de déterminer un corpus d’obligations déontologiques s’imposant à eux, et de contribuer ainsi à la transparence des processus décisionnels publics.
C’est pour l’ensemble des ces motifs que les collectivités territoriales et leurs responsables (élus et administration) doivent être parfaitement conscients des dispositions combinées de la loi du 11 octobre 2013 et du décret du 9 mai 2017 qui les concernent.
L’encadrement juridique de la représentation d’intérêts
Le dispositif mis en place vise à combler un vide juridique. Aucune disposition générale ne venait encadrer la définition et les conditions d’exercice de la représentation d’intérêts. Le Législateur définit désormais l’activité de représentant d’intérêts, en fixe les obligations d’information vis-à-vis de HATVP et arrête un régime de sanction en cas de non respect de ces dernières.
Une définition suffisamment précise ?
Le parti pris par le Législateur a été celui de définir largement la notion de représentant d’intérêts, afin de ne pas limiter celui-ci dans un rôle de promotion des seuls intérêts économiques.
• Des représentants d’intérêts potentiellement multiples. Sont définis, en premier lieu, comme des représentants d’intérêts les personnes morales de droit privé, les établissements publics ou groupements publics exerçant une activité industrielle et commerciale, les différentes chambres de commerce et d’industrie et les chambres des métiers et de l’artisanat, dont un dirigeant, un employé ou un membre a « pour activité principale ou régulière d’influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d’une loi ou d’un acte réglementaire en entrant en communication » avec un responsable public.
En second lieu, sont également des représentants d’intérêts les personnes physiques qui ne sont pas employées par l’une des personnes morales précédemment mentionnées, et qui exercent à titre individuel une activité d’influence répondant aux mêmes conditions.
Ainsi donc, outre leur détermination organique, c’est la question de la nature de l’activité de représentation d’intérêts qui interroge. Pour être qualifiée de représentant d’intérêts, trois critères sont à remplir par la personne – physique ou morale.
• Trois critères à remplir. D’une part, l’activité de lobbying doit être « principale ou régulière ». Le critère de l’activité principale s’entend clairement. Le représentant d’intérêts doit majoritairement exercer une telle activité d’influence. Ainsi que l’indique le Conseil d’Etat, ce critère est indispensable, car « à défaut, toute association, personne ou entreprise s’apprêtant à entrer en contact, à son initiative, ou à celle de ses interlocuteurs avec (un responsable public) serait de fait susceptible de devoir préalablement se soumettre » aux obligations fixées par la loi. Autrement posé, le caractère principal de l’activité était suffisamment discriminant pour prendre en compte les véritables lobbyistes, sans toutefois étendre exagérément le champ de l’obligation d’inscription sur le registre numérique. Différenciation indispensable donc, poursuit le Conseil d’Etat, car si une définition trop large devait être donnée de la notion de représentant d’intérêts, les dispositions de la loi Sapin 2 « seraient difficilement applicables, en raison du nombre de personnes concernées, comparé aux capacités de contrôle de la HATVP ». Or, le critère de l’activité « régulière » est de nature à étendre considérablement le champ rationae personae de l’obligation d’inscription sur le registre numérique. Pour ne prendre qu’un exemple, devant la réduction des marges de manœuvre financières des collectivités territoriales, nombreuses – c’est un euphémisme – sont les associations, tous secteurs confondus, qui interviennent régulièrement auprès des décideurs territoriaux, élus et agents, pour influer sur les projets à conduire et les allocations budgétaires afférentes. S’il n’est pas dans ce propos de considérer qu’une telle activité n’est pas influence, il n’en reste pas moins que cette notion d’activité régulière risque de conduire à une extension considérable des personnes et/ou structures devant se soumettre aux formalités prévues, d’autant que la liste des situations exclues de l’application du dispositif ne le cantonnent pas non plus dans des proportions raisonnables.
D’autre part, cette activité doit viser à influer sur la décision publique, notamment le contenu d’une loi ou d’un acte réglementaire. Comme cela sera dit plus loi, l’adverbe « notamment » ouvre un champ des possibles considérable, que le décret du 9 mai 2017 essaie de cadrer. Les responsables territoriaux ne doivent surtout pas se considérer épargnés…
Enfin, cette activité principale ou régulière visant à influer sur la décision publique doit se traduire par une « entrée en communication » du représentant d’intérêts avec un ou plusieurs responsables publics. L’article 1er du décret du 9 mai 2017 vient définir, par la négative, cette notion en indiquant que n’est pas une entrée en communication le fait de solliciter, en application de dispositions législatives ou règlementaires, « la délivrance d’une autorisation ou le bénéfice d’un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir, ainsi que le fait de présenter un recours administratif ou d’effectuer une démarche dont la réalisation est, en vertu du droit applicable, nécessaire à la délivrance d’une autorisation, à l’exercice d’un droit ou à l’octroi d’un avantage ». Autrement posé, dès lors que la personne physique ou morale inscrit sa demande ou son contact avec un responsable public dans un régime juridique préexistant, visant à ce qu’un droit, une autorisation ou une voie de recours lui soit reconnu, elle ne peut être considérée comme un représentant d’intérêts. Malgré cette précision, le champ des décisions « influençables » apparaît très large.
• Des situations exclues de la représentation d’intérêts. Le Législateur a pris soin d’écarter de la qualification de représentation d’intérêts un certain nombre de situations fréquentes dans la vie publique qu’il aurait été trop artificiel de soumettre au dispositif déclaratif auprès de la HATVP.
Ainsi, les dispositions relatives à la représentation d’intérêts ne s’appliquent pas :
– aux élus, dans l’exercice de leur mandat ;
– aux partis et groupements politiques, dans le cadre de leur mission prévue à l’article 4 de la Constitution ;
– aux organisations syndicales de fonctionnaires et, dans le cadre de la négociation sur les projets de réforme présentés par le Gouvernement au titre de l’article L. 1 du code du travail, les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs ;
– aux associations à objet cultuel, dans leurs seules relations avec le ministre et les services ministériels chargés des cultes ;
– aux associations représentatives d’élus dans l’exercice de leurs missions statutaires.
Ces exceptions sont bien évidemment à interpréter strictement, et il ne s’agit donc pas d’un blanc-seing donné aux structures visées. Pour autant, dans certaines situations, la différenciation se révèlera délicate. A titre d’illustration, ainsi que l’indique l’étude d’impact, « un élu représentant sa collectivité n’entrerait pas dans le champ du répertoire. A l’inverse, un élu, agissant comme tel, mais sur des thématiques étrangères à son mandat pourrait légitimement être regardé comme un représentant d’intérêts »… Claires sur la forme, on peut douter de la facilité de mise en œuvre de ces dispositions dans la vie « réelle ».
Des obligations sanctionnées pour le représentant d’intérêts.
Il faut ici rapidement indiquer les obligations d’information pesant sur les représentants d’intérêts.
• Des obligations contraignantes. Deux catégories d’obligations pèsent sur le représentant d’intérêts. D’une part, il s’agit d’obligations déontologiques, visant à encadrer les comportements et les pratiques (voir ci-dessous). D’autre part, pèse sur le lobbyiste une obligation d’information. Ainsi, toute personne remplissant les conditions précédemment indiquées doit communiquer à la HATVP :
– son identité, lorsqu’il s’agit d’une personne physique, ou celle de ses dirigeants et des personnes physiques chargées des activités de représentation d’intérêts en son sein, lorsqu’il s’agit d’une personne morale ;
– le champ de ses activités de représentation d’intérêts ;
– les actions relevant du champ de la représentation d’intérêts menées auprès des responsables publics, en précisant le montant des dépenses liées à ces actions durant l’année précédente ;
– le nombre de personnes qu’il emploie dans l’accomplissement de sa mission de représentation d’intérêts et, le cas échéant, son chiffre d’affaires de l’année précédente ;
– ainsi que les organisations professionnelles ou syndicales ou les associations en lien avec les intérêts représentés auxquelles il appartient.
Au surplus, toute personne exerçant, pour le compte de tiers, une activité de représentation d’intérêts doit communiquer à la Haute Autorité l’identité de ces tiers.
En particulier, l’article 3 du décret du 9 mai 2017 détaille précisément ces différentes catégories de renseignements, en définissant notamment ce que sont les dépenses consacrées aux actions de représentation d’intérêts, ainsi que le montant du chiffre d’affaires lié à l’activité de lobbying, qui doivent être déclarés à la HATVP, selon un système de fourchettes de dépenses fixées par l’arrêté du 4 juillet 2017.
• Des sanctions dissuasives ? Sans préjudice des infractions pénales « générales », susceptibles d’être constituées conséquemment à une entrée en communication avec un responsable public, telles que par exemple les délits de « favoritisme », de concussion, ou encore de prise illégale d’intérêts – et en lieu et place des sanctions administratives initialement prévues mais rejetées par le Sénat – le Législateur a créé deux incriminations spécifiques, destinées à réprimer les manquements des représentants d’intérêts à leurs obligations vis-à-vis de la HATVP.
En premier lieu, est sanctionné d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait pour un représentant d’intérêts, de ne pas communiquer, de sa propre initiative ou à la demande de la Haute Autorité, les informations qu’il est tenu de communiquer à cette dernière.
En second lieu, est puni des mêmes sanctions le fait, pour un représentant d’intérêts auquel la Haute Autorité a préalablement adressé une mise en demeure de respecter ses obligations déontologiques, de méconnaître à nouveau, dans les trois années suivantes, la même obligation.
Une vigilance impérative pour les responsables territoriaux
Loin de toute velléité exagérément ou volontairement alarmiste, les responsables territoriaux doivent être sensibilisés sur le dispositif mis en place, car ils constituent une « cible » privilégié de la représentation d’intérêts. A tel point que le Conseil d’Etat s’était ému, dans son avis sur le projet de loi, de l’absence de disposition expresse les concernant. Il avait en effet estimé que « l’absence de disposition relative aux interventions des représentants d’intérêts auprès des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux n’était pas justifiée (…) eu égard à l’importance des enjeux existants dans le domaine des investissements et de la commande publique des collectivités territoriales ». Toutefois, et faute de temps, le Conseil d’Etat n’avait pas été en mesure de rédiger les dispositions particulières devant s’appliquer aux responsables territoriaux, mais avait conseillé au Législateur d’adapter ces dernières « à l’importance des collectivités et aux fonctions des élus et fonctionnaires, ce qui implique un important travail préparatoire et des consultations adéquates ».
Savoir identifier les zones de risque
Dans une dimension très concrète, il s’agit de déterminer qui est un responsable territorial, quelles catégories de décisions peuvent être concernées par la représentation d’intérêts, et enfin quels types d’actions peuvent constituer une représentation d’intérêts.
• Les responsables territoriaux. L’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013 détermine les responsables publics pouvant faire l’objet d’une entrée en communication par un représentant d’intérêts. Pour la sphère locale, et en référence aux élus et agents soumis à des obligations déclaratives de leurs intérêts et/ou de leur situation patrimoniale, quatre catégories de personnes sont concernées.
En premier lieu, sont des responsables territoriaux au sens des dispositions commentées les titulaires d’une fonction de président de collectivités territoriales, de maire d’une commune de plus de 20 000 habitants ou de président d’un EPCI à fiscalité propre dont la population excède 20 000 habitants ou dont le montant des recettes totales de fonctionnement figurant au dernier compte administratif est supérieur à 5 millions d’euros ainsi que les présidents des autres EPCI dont le montant des recettes totales de fonctionnement figurant au dernier compte administratif est supérieur à 5 millions d’euros.
En second lieu, sont visés les conseillers élus de ces collectivités et établissements publics, lorsqu’ils sont titulaires d’une délégation de fonction ou de signature de leur exécutif, ainsi que les adjoints aux maires des communes de plus de 100 000 habitants et les vice-présidents du conseil de la métropole de Lyon et des EPCI à fiscalité propre de plus de 100 000 habitants23.
En troisième lieu, sont également impactés les directeurs, directeurs adjoints et chefs de cabinet des autorités territoriales des structures territoriales citées au 2° de l’article 11 de la loi du 11 octobre 2013.
En quatrième et dernier lieu, est concerné tout agent public – notamment territorial – occupant un emploi mentionné par le décret n°2016-1968 du 28 décembre 2016 relatif à l’obligation de transmission d’une déclaration de situation patrimoniale prévue à l’article 25 quinquies de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
On constate ici une volonté de cohérence de la part du Législateur, qui a aligné la liste des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux pouvant faire l’objet d’une entrée en communication par un représentant d’intérêts sur celle des élus et agents soumis aux obligations déclaratives.
• Les décision publiques sujettes à influence. L’annexe 1 du décret du 9 mai 2017 vient illustrer la catégorie générique « décision publique » visée à l’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013. Une majorité d’entre elles peut potentiellement concerner les collectivités territoriales et leurs établissements publics.
A titre d’exemples, il convient de citer :
– les contrats relevant de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, ainsi que ceux relevant de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, lorsque la valeur estimée hors taxe du besoin est égale ou supérieure aux seuils européens,
– les contrats mentionnés aux articles L. 2122-6 du code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) et L. 1311-5 du CGCT concernant la délivrance sur leur domaine public d’autorisations d’occupation temporaire constitutives de droits réels,
– les contrats mentionnés à l’article L. 1311-2 du CGCT relatif au bail emphytéotique administratif,
– les contrats mentionnés au CGPPP relatifs à la cession des immeubles ou des droits réels immobiliers des collectivités territoriales,
– les délibérations approuvant la constitution d’une société d’économie mixte à opération unique prévue à l’article L. 1541-1 du CGCT.
Par ailleurs, cette énumération n’est pas exhaustive car une dernière catégorie figure dans cette annexe 1, « Autres décisions publiques ». Il revient donc aux responsables territoriaux d’être vigilants sur toutes les décisions (délibération, arrêté, contrat…) pour lesquelles ils pourraient faire l’objet d’une entrée en communication. Ce qui renvoie, in fine, aux actions pouvant constituer une telle action.
• Les actions constitutives d’une représentation d’intérêts. C’est l’annexe 2 du même décret qui illustre cette catégorie. Il ressort de l’analyse que ce sont des situations très fréquentes – que certains responsables considèreront comme banales…– qui sont potentiellement constitutives d’une représentation d’intérêts. A titre d’illustration, il convient de citer :
– l’organisation de discussions informelles ou de réunions en tête-à-tête,
– des invitations ou l’organisation d’évènements, de rencontres ou d’activités promotionnelles,
– l’envoi de pétitions, lettres ouvertes, tracts,
– la transmission de suggestions afin d’influencer la rédaction d’une décision publique,
– la transmission aux décideurs publics d’informations, expertises dans un objectif de conviction…
A l’évidence, certaines des actions citées vont immanquablement interroger des pratiques anciennes et bien établies. Mais d’autres dispositifs plus récents seront également à « passer au tamis » de la représentation d’intérêts. Pour n’en citer qu’un, il est permis de s’interroger sur l’articulation de ces dispositions avec la mise en œuvre du sourcing.
Maîtriser les obligations du représentant d’intérêts
Outre l’obligation d’information de la HATVP, le représentant d’intérêts se voit imposer des obligations de nature déontologique, consistant essentiellement en des obligations d’abstention. Le lobbyiste doit ainsi éviter tout comportement, attitude ou action de nature à porter atteinte à ses obligations de probité et d’intégrité. Ici aussi, quelques illustrations méritent d’être citées pour éclairer la compréhension des responsables locaux.
Ainsi, le représentant d’intérêts doit notamment s’abstenir de proposer ou de remettre à ces responsables des présents, dons ou avantages quelconques d’une valeur significative, s’abstenir de toute démarche auprès de ces personnes en vue d’obtenir des informations ou des décisions par des moyens frauduleux, ou encore s’abstenir d’organiser des colloques, manifestations ou réunions, dans lesquels les modalités de prise de parole par des responsables locaux sont liées au versement d’une rémunération, quelle qu’en soit la forme. Ici aussi, certaines situations désormais interdites au lobbyiste sont très fréquentes, portant peu aujourd’hui à interrogation déontologique (on pense aux colloques par exemple), et l’évolution des mentalités et des pratiques s’annonce longue…
Une autre situation visée à l’article 18-5 appelle commentaire. Les représentants d’intérêts doivent aussi s’attacher à respecter l’ensemble des règles déontologiques prévues à l’article 18-5 « dans leurs rapports avec l’entourage direct » des responsables territoriaux exerçant les fonctions mentionnées aux 6° et 7° de l’article 18-2. Autrement posé, à côté des personnes directement influençables, la loi vise également à protéger les personnes qui, collaborant avec ces dernières, pourraient indirectement influer sur leur élu de référence, leur employeur ou leur supérieur hiérarchique. Toutefois, une interrogation demeure, rendant l’opérationnalité de la disposition aléatoire. Comment définir la notion d’« entourage direct » ?… A quel degré fixer ce caractère « direct » ? S’agit-il d’une approche formelle, seulement fondée sur l’organisation et donc, l’organigramme des structures visées ? S’agit-il d’une approche fonctionnelle, et à tout dire, plus réaliste, mettant en lumière les véritables relations de travail, mais induisant une marge d’appréciation considérable ?
Mobiliser les voies de droit existantes
Deux modalités distinctes sont prévues.
• La saisine de la Haute Autorité. L’article 18-6 organise la saisine de la HATVP par l’un des responsables publics visés en son article 18-2, ce qui comprend bien entendu les responsables territoriaux. Cette saisine, par un exécutif territorial par exemple, a pour finalité la vérification par la HATVP du respect par un représentant d’intérêts de ses obligations d’information et impératifs déontologiques29. Pour cela, la personne qui saisit doit formuler « par écrit les éléments nécessaires à l’analyse de la situation »30. Par ailleurs, la Haute Autorité peut se faire communiquer, sur pièce, par les représentants d’intérêts, toute information ou tout document nécessaire à l’exercice de sa mission, sans que le secret professionnel puisse lui être opposé. Elle peut également procéder à des vérifications sur place dans leurs locaux professionnels, sur autorisation du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris31.
• Le signalement à la Haute Autorité. Témoignant d’une volonté différente, un signalement peut être transmis à la Haute Autorité par ces mêmes personnes, en application de l’article 18-7 de la loi du 11 octobre 2013. La personne qui saisit doit indiquer « par écrit, en apportant toutes précisions utiles, les faits qu’elle invoque au soutien de son signalement »32. Il s’agit donc, selon cette seconde modalité, de dénoncer un comportement ou des pratiques potentiellement contraires aux règles fixées aux articles 18-3 et 18-5. La HATVP va notifier au représentant d’intérêts le ou les manquements aux obligations lui incombant, avant de le mettre en situation de présenter ses observations, au titre du respect du contradictoire33. A l’issue de cette procédure, la HATVP délivre une mise en demeure – qui peut être rendue publique – de respecter les obligations auxquelles il est assujetti. Par ailleurs, la Haute Autorité avise le responsable territorial qui aurait répondu favorablement à une sollicitation effectuée par un représentant d’intérêts qui aurait manqué à ces obligations et, le cas échéant, lui adresse des observations, sans toutefois les rendre publiques.
Se voyant imposer davantage d’attention et de prudence dans les pratiques et les relations avec les représentants d’intérêts que de véritables obligations juridiques les concernant, les responsables territoriaux ont jusqu’au 1er juillet 2018 – date d’entrée en vigueur de ce dispositif pour la sphère locale – pour en appréhender les conséquences concrètes.
Samuel DYENS – avocat associé