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« Secret des affaires » et caractère communicable d’un document administratif

« Secret des affaires » et caractère communicable d’un document administratif

Quelles sont les conséquences concrètes de la loi relative à la protection du « secret des affaires » du 30 juillet 2018 en matière de communication de documents administratifs ? La substitution de cette notion au « secret industriel et commercial » a-t-elle des conséquences en termes de détermination du caractère communicable d’un document administratif ?

Plusieurs avis rendus récemment par la CADA apportent un éclairage utile sur ces questions, et permettent d’ébaucher une nouvelle marche à suivre face aux demandes des Administrés (2).

Revenons cependant, avant d’évoquer ces avis, sur l’état du droit avant la loi du 30 juillet 2018 (1).

 

(1) Rappel de l’état du droit avant la loi du 30 juillet 2018

La loi informatique et liberté protège, depuis l’origine le « secret industriel et commercial » en excluant du droit à communication tout document administratif de nature à révéler des informations relevant dudit secret à des tiers. Par tiers, la loi entend toute personne autre que la « personne intéressée », c’est-à-dire le dépositaire légitime de ce secret.

Ce principe connaît toutefois une atténuation importante : la Commission d’accès aux documents administratifs, puis la loi, ont toujours permis la pratique dite du « batonnage », consistant à rendre communicables à tous des documents administratifs dont les mentions couvertes par le secret ont été occultées.

Dans ce cadre, les avis et conseils de la CADA ont permis de préciser, au fil des ans, les types d’informations couvertes par le secret industriel et commercial, et d’édicter une définition générale de ce dernier, reprise en 2016 à l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) :

« [il] comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence »

Cette définition se caractérise par la prise en compte, d’une part, d’un contenu (« le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles ») et, d’autre part du contexte concret de concurrence ou non dans le secteur de l’activité économique en cause (« du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence »)

Plus largement, la doctrine de la CNIL révélait déjà, avant la consécration du « secret des affaires », une prise en compte des circonstances de chaque espèce, allant jusqu’à l’anticipation des conséquences concrètes d’une éventuelle divulgation des informations en cause auprès des concurrents (Ex : Avis n°20163396 du 22 septembre 2016).

Cette appréciation in concreto du caractère communicable des documents au regard de ce secret est, ainsi qu’on va le voir, encore renforcée depuis l’entrée en vigueur de la Loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires.

 

(2) Les nouvelles exigences de la CADA au regard du secret des affaires

A première vue, l’intervention de la loi de 2018 ne bouleverse pas le droit de communication.

Elle a certes substitué la notion de « secret des affaires » à celle de « secret industriel et commercial » au sein de l’article L. 311-6 du CRPA ; mais ce changement de terminologie n’a pas de conséquence sur le contenu même du secret tel qu’il résulte de cet article (« au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles »). De la même manière, la prise en considération du contexte, et notamment de la concurrence, demeure obligatoire.

Un examen plus attentif des autres dispositions de la loi laissait cependant présager certains ajustements en matière de communication des documents administratifs.

En effet, la loi de 2018 définit pour la première fois, à l’article L. 151-1 du Code du commerce, le « secret des affaires », ou plutôt les informations protégées à son titre :

« Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants:

1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;

2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;

3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. »

Cette définition exclut clairement de la protection due au titre du secret des affaires certaines informations qui auraient pu y prétendre au regard du seul article L. 311-6 CRPA (ex : description de procédés, de l’état financier d’une entreprise agissant dans un cadre concurrentiel…), mais ne remplissant pas les trois critères supplémentaires édictés par le Code du commerce.

Autrement posé, la loi de 2018 semble, si l’on ose dire, limiter l’efficacité de l’invocation du secret des affaires pour se soustraire à une demande de communication.

On observera que les critères de l’article L. 151-1 du Code du commerce, cumulatifs, tiennent, non à l’objet des informations (ex: procédés, stratégie commerciale, etc…), mais à des caractéristiques dont la combinaison permet de conclure que la communication porterait concrètement atteinte au secret protégé

Il s’agit, en résumé :

– du caractère non public/ inaccessible, de l’information

– de sa valeur commerciale

– des mesures de protection prises par le détenteur légitime (sorte d’équivalent de l’animus domini du propriétaire)

On le voit, l’application de ces critères suppose un examen in concreto de la situation, similaire à celui déjà effectué par la CADA pour apprécier la communicabilité des documents administratifs.

Il n’est donc pas étonnant que la CADA se les soit rapidement appropriés, les ajoutant à ceux de l’article L. 311-6 CRPA.

Dans un avis en date du 28 février 2019, elle indique en ce sens très clairement :

« lorsque le 1° de l’article L311-6 de ce code est applicable dans sa version résultant de la loi du 30 juillet 2018, revêtent un caractère secret les mentions qui dans leur globalité ou dans la configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, ne sont pas généralement connues des personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles et ont une valeur commerciale effective ou potentielle de ce fait. Ces données doivent, enfin, répondre à un troisième et dernier critère, tenant à ce que les informations aient « fait l’objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à les garder secrètes ».

Lorsqu’[l’Administration] invoque un tel secret au regard des actes formels qu’elle a émis, elle doit donc être en mesure de justifier également la prise en compte de ces critères. Lorsque ces conditions ne sont pas réunies, la commission souligne qu’il n’y a pas lieu d’effectuer, sur ce fondement, des occultations préalablement à la communication d’un document administratif ». (Avis 20183968 du 28/02/2019 ARS IDF).

La CADA prend même la peine, dans un de ses derniers avis publiés, de justifier juridiquement la prise en compte, dans le cadre de son contrôle, de la définition du secret des affaires figurant au code de commerce :

« Si le secret des affaires au sens du 1° de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration et de l’article L151-5 du code de commerce, auquel il y a lieu de se reporter pour apprécier cette notion eu égard aux travaux préparatoires de l’article 4 de la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires, requiert également un critère subjectif, tenant aux dispositions raisonnables prises pour conserver secrètes les informations en cause, la commission considère qu’il inclut les trois composantes du secret en matière commerciale et industrielle, qui en constituent les critères objectifs, en ce sens que de telles informations, dans leur globalité ou dans la configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, ne sont pas généralement connues des personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles et ont une valeur commerciale effective ou potentielle de ce fait.

Les mentions occultées au titre du 1° de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration doivent (…) être susceptibles de révéler le secret des procédés ou la stratégie commerciale de l’intéressé et d’avoir une valeur commerciale effective ou potentielle pour les concurrents actuels ou potentiels à la date du refus.

Or, certaines mentions occultées ont perdu leur confidentialité, à l’initiative de la société X elle-même, qui a révélé, dès 2014, le calendrier prévisionnel de déploiement 2014-2017, » (Avis 20183478 – Séance du 21/03/2019)

A ce stade de la prise en compte de la loi par la CADA, on peut donc conclure que l’examen du caractère communicable ou non d’un document administratif (ou l’occultation de certaines mentions y figurant), en raison de la présence d’informations susceptibles d’être couvertes par le secret des affaires, est plus contraint qu’il ne l’était avant la loi du 30 juillet 2018.

Il est désormais impératif, pour l’Administration qui souhaite opposer le secret des affaires à une demande de communication, d’établir, outre le contexte concurrentiel, l’existence de chacun des trois critères posés par l’article L. 151-1 du Code du commerce. Elle ne pourra donc plus opposer lapidairement, comme cela a pu être le cas, que tel type de document est systématiquement considéré comme non communicable par la CADA, mais devra se livrer systématiquement à une analyse in concreto de la situation.

La démonstration du critère dit « subjectif », soit le fait pour le détenteur légitime de l’information d’avoir pris les mesures d’un « bon père de famille », ou plutôt d’un « bon entrepreneur », pour éviter qu’elle ne soit divulguée, sera particulièrement malaisée.

Les futurs avis ou conseils de la CADA permettront certainement de déterminer la conception par cette dernière du comportement attendu.

 

La suite, donc, au prochain épisode …

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