Un permis modificatif délivré en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme doit être contesté dans le cadre de l’instance relative au permis de construire initial
- 6 novembre 2017
- Revue de Presse, Selection de Jurisprudence
- Administrateur - Cabinet Goutal Alibert & Associés
Article publié dans l’Actualité Juridique des Collectivités Territoriales (AJCT) du mois d’octobre 2017.
Conseil d’État, 19 juin 2017, nº 398531 – Syndicat des copropriétaires de la résidence Butte Stendhal
Solution : Le Conseil d’État pose en principe que les parties à l’instance dans laquelle le juge a, en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, sursis à statuer pour permettre la régularisation d’un permis de construire ne sont pas recevables à introduire une nouvelle requête tendant à l’annula-tion du permis modificatif.
« Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le permis de construire modificatif attaqué a été autorisé par le maire de Paris en exécution du jugement avant dire droit du 8 juillet 2015 du tribunal administratif de Paris qui avait fait application des dispositions citées au point 5 de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme. Il appartenait ainsi aux requérants, dès lors qu’ils étaient parties à l’instance ayant donné lieu à ce jugement, de contester la légalité de cet acte dans le cadre de cette même instance, conformément à l’invitation qui leur en avait été faite par le tribunal. En revanche, ils n’étaient pas recevables à présenter une nouvelle requête tendant à l’annulation de ce permis de construire modifi catif. Dès lors, le tribunal administratif était tenu, pour ce motif, qui est d’ordre public, de rejeter leur requête […] ».
Observations : L’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme est un dispositif de régularisation des permis de construire institué par l’ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, reprenant une proposition du groupe de travail présidé par le président Labetoulle (Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre, mai 2013, p. 12). Il prévoit que « le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, sur-seoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modifi catif est notifi é dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations ».
Ce mécanisme est original dès lors qu’il permet au juge de prendre lui-même l’initiative d’une régularisation, qui n’aurait pas été spon-tanément effectuée par le pétitionnaire dans le cadre d’un permis de construire modificatif (v. sur la possibilité de modifier un projet en partie irrégulier : CE 9 déc. 1994, n° 116447, SARL Séri, Lebon ; sur la correction des vices de forme ou de procédure : CE 2 févr. 2004, n° 238315, Sté La Fontaine de Villiers, AJDA 2004. 1103 ; D. 2005. 35 ; ibid. 26, obs. P.-L. Frier ; RDI 2004. 213, obs. P. Soler-Couteaux). Il est encore original dans sa mise en œuvre : si le juge estime que le permis de construire dont il est saisi est affecté d’une illégalité régularisable (étant précisé que la régularisation ne concerne pas, à la différence de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme, que les vices n’affectant qu’une partie du projet), il en informera les parties, qui pourront alors discuter du principe de la mise en œuvre de l’article L. 600-5-1. Un premier jugement, avant dire droit, identifiera, après avoir constaté préalablement qu’aucun des autres moyens de la requête n’est fondé (CE 18 juin 2014, n° 376760, Sté BATIMALO, Lebon avec les concl. ; AJDA 2014. 1292 ; AJCT 2014. 566, obs. M.-C. Mehl-Schouder ; ibid. 2015. 388, étude R. Bonnefont ; pour un exemple de censure d’un jugement irrégulier sur ce point : CAA Bordeaux, 9 juill. 2015, n° 15BX00442, RDI 2016. 56, obs. R. Bonne-font), le vice susceptible d’être régularisé par un permis modifi catif qui devra être notifi é à la juridiction dans un délai donné (généralement entre deux et quatre mois en fonction de l’importance de la modification à apporter au projet). Un second jugement mettra fin au litige : la requête sera accueillie si le pétitionnaire n’a pas réagi à l’invitation de la juridiction ou si le permis modifi catif est lui-même irrégulier ; elle sera rejetée si le juge estime que le vice a bien été purgé par le permis modificatif.
En d’autres termes, la régularisation intervient en cours de litige, après un jugement avant dire droit (v., à cet égard, la décision ren-due le même jour : CE 19 juin 2017, n° 394677, Syndicat des copropriétaires de la résidence Butte Stendhal, Lebon ; AJDA 2017. 1254 ; AJCT 2017.530, obs. Peynet ; RDI 2017. 422, obs. P. Soler-Couteaux), sans annulation du permis concerné (à la différence donc du mécanisme de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme qui offre une possibilité d’annulation partielle).
La question du juge compétent pour statuer sur la légalité de cette autorisation modificative se pose alors. La réponse découle, en grande partie, de l’esprit de l’article L. 600-5-1 du code de l’urba-nisme : vider le litige (c’est bien pour autant que le juge doit d’abord préalablement constater qu’aucun des autres moyens de la requête n’est fondé) et permettre au pétitionnaire de réaliser son projet. La lettre du texte semble claire également : « si un tel permis modi-fi catif est notifi é dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations ». Autrement posé, le débat sur la légalité du permis modifi catif doit intervenir devant le juge qui a mis en œuvre la procédure de régularisation prévue par l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.
Ainsi le Conseil d’État a-t-il jugé, dans un premier temps, « qu’il appartient au juge d’appel, lorsqu’il a sursis à statuer en applica-tion de ces dispositions, de se prononcer directement sur la légalité du permis de construire modificatif délivré à fin de régularisation » (CE 22 févr. 2017, n° 392998, Lebon ; AJDA 2017. 438 ; RDI 2017. 252, obs. M. Revert ; AJCT 2017. 409, obs. R. Bonnefont ; sur le fait que cette solution ne méconnait pas le principe du double degré de juri-diction, v. CAA Bordeaux, 16 mai 2017, n o16BX01594).
La décision commentée s’inscrit dans cette veine jurispruden-tielle. Par un jugement avant dire droit du 8 juillet 2015, le tribu-nal administratif de Paris avait sursis à statuer dans l’attente de la notifi cation par la ville de Paris d’une régularisation du permis de construire attaqué. Un permis de construire modifi catif a été délivré le 4 septembre 2015 puis notifi é au tribunal administratif, lequel a fi nalement rejeté la requête par un jugement du 17 décembre 2015 mettant fi n à l’instance (v. la décision rendue en cassation : CE 19 juin 2017, n° 394677, Syndicat des copropriétaires de la résidence Butte Stendhal, Lebon ; AJDA 2017. 1254 ; AJCT 2 017. 530, obs. Peynet ; RDI 2017. 422, obs. P. Soler-Couteaux). Au reste, les requérants avaient parallèlement saisi le tribunal d’une nouvelle requête, tendant à l’annulation du permis modificatif. Par un jugement en date du 4 février 2016, le tribunal a rejeté cette requête.
Le Conseil d’État, après avoir rappelé que les requérants étaient parties à l’instance ayant donné lieu au jugement avant dire droit du 8 juillet 2015 et avaient été invités par le tribunal à contester la légalité du permis modificatif dans le cadre de cette même instance, considère qu’ils n’étaient pas recevables à présenter une nouvelle requête. Ce nouveau motif, d’ordre public, est donc substitué aux motifs retenus par le jugement attaqué.
Cette solution – fondée sur la spécificité du permis modificatif de régularisation – doit être approuvée. Certes, l’instance relative au permis de construire initial, sur laquelle se greffera la discussion relative au permis modificatif, sera allongée de quelques mois ; mais l’on peut penser que le règlement final du litige interviendra plus tôt que si un nouveau contentieux devait être formé.
Philippe PEYNET – Avocat associé