Par un bail emphytéotique de soixante ans, la commune de Grasse a donné à bail à la société Grasse-Vacances, un terrain d’environ dix-sept hectares, pour l’établissement d’un village de vacances.
Le conseil municipal de Grasse a autorisé le maire à résilier ce contrat, en accord avec l’emphytéote, en contrepartie du versement à la société, d’une somme de 1 700 000 euros à titre d’indemnité.
À la demande de conseillers municipaux d’opposition, le tribunal administratif de Nice a annulé cette délibération. Par l’arrêt contre lequel la société Grasse-Vacances se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté son appel contre le jugement de ce tribunal.
Dans son pourvoi, la société requérante soutenait que, en se fondant uniquement sur le bénéfice que l’emphytéote pouvait raisonnablement escompter de l’exploitation du village de vacances pour la durée du contrat restant à courir, la Cour avait commis une erreur de méthode pour apprécier le montant de l’indemnisation du préjudice causé par la résiliation du bail.
Saisi, le Conseil d’Etat* rappelle d’abord que “les parties à un contrat conclu par une personne publique peuvent déterminer l’étendue et les modalités des droits à indemnité du cocontractant en cas de résiliation amiable du contrat, sous réserve qu’il n’en résulte pas, au détriment de la personne publique, l’allocation au cocontractant d’une indemnisation excédant le montant du préjudice qu’il a subi résultant du gain dont il a été privé ainsi que des dépenses qu’il a normalement exposées et qui n’ont pas été couvertes en raison de la résiliation du contrat”.
Ainsi l’indemnité versée au cocontractant de la personne publique ne doit pas excéder le montant du préjudice subi. En d’autres termes, ce montant ne doit pas être excessif.
Partant, il reste à déterminer ce dont doit tenir compte le juge afin d’évaluer le caractère excessif ou non de l’indemnité accordée.
La Cour administrative d’appel, s’est pour sa part uniquement fondée sur “ le manque à gagner résultant de la résiliation anticipée du contrat”, ce qui pour la Cour correspond “à la perte du bénéfice qui pouvait être escompté de l’exploitation du site pour la durée du contrat restant à courir”.
La juridiction suprême casse cet arrêt.
Elle juge qu’en “refusant de tenir compte, pour déterminer si le montant de l’indemnité accordée par la commune au titre de la résiliation du contrat était excessif au regard du préjudice en résultant pour le cocontractant au titre du gain dont il a été privé, du prix qu’il pouvait tirer de la cession des droits qu’il tenait du bail, afin de retenir le plus élevé des deux montants correspondant soit au bénéfice escompté de l’exploitation du site pour la durée du contrat restant à courir soit à la valeur des droits issus du bail, la cour a commis une erreur de droit”.
Dans ses conclusions, Monsieur le Rapporteur public Thomas PEZ-LAVERGNE expliquait en effet que “le cessionnaire des droits réels conférés par le bail, c’est-à-dire le bénéficiaire de la cession de ces droits, peut consentir un prix de cession plus élevé que celui correspondant au bénéfice escompté par le cédant, c’est-à-dire l’emphytéote.
L’exploitation du bien par le cessionnaire peut être plus efficace que celle du titulaire du bail ; il peut, par exemple, exploiter le site davantage que ne le faisait, pendant seulement deux mois par an, le cédant. Dès lors, l’ “acquéreur” des droits réels peut accepter de payer davantage que le bénéfice escompté par le “vendeur” de sa propre exploitation”.
*Conseil d’Etat, 16 décembre 2022, n° 455186, à publier au recueil Lebon