Hébergement d’urgence : quelle répartition des compétences ?

Nos publications 23 janvier 2017

La répartition des compétences en matière d’hébergement d’urgence entre l’État et le département est révélatrice des tensions qui existent actuellement dans le domaine de l’action sociale, oscillant entre prise en charge impérative des personnes en grande fragilité et restrictions des marges de manœuvre financières, imposant une dimension gestionnaire dans un secteur qui s’en accommode difficilement. Après une première décision rendue le 30 mars 2016 (n° 382437), le Conseil d’État est de nouveau intervenu pour clarifier une question juridique qui ne doit pas faire oublier sa profonde dimension humaine.

 

Par cinq décisions rendues le 13 juillet 2016 (nos 388317, 399829, 399834, 399836 et 400074), le Conseil d’État a traité l’épineuse question du partage des interventions entre État et département en matière d’hébergement d’urgence. Si la matière semble a priori clarifiée juridiquement, il n’est pas certain que sa mise en œuvre au quotidien soit aussi aisée.

Arsenal juridique complexe

Saisi de la légalité de la décision de refus d’un département de prolonger le versement d’une aide financière mensuelle, destinée à acquitter les frais d’hébergement hôtelier d’une famille, le juge a rappelé, dans sa décision du 30 mars, les fondements juridiques des interventions respectives de l’État et des départements. Pour le premier, c’est l’article L.121-7 du code de l’action sociale et des familles (CASF) qui indique que l’État est compétent pour prendre en charge les mesures d’aide sociale « en matière de logement, d’hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L.345-1 à L.345-3 ». En bénéficient notamment « les familles qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques, familiales, de logement, de santé ou d’insertion, en vue de les aider à accéder ou à recouvrer leur autonomie personnelle et sociale », ainsi que les étrangers s’étant vu reconnaître la qualité de réfugié ou accorder le bénéfice de la protection subsidiaire. Pour les seconds, sont visés les articles du CASF relatifs à l’aide sociale à l’enfance, aux mères isolées avec enfants de moins de trois ans ou les mères enceintes. En particulier, faut-il insister sur les articles L.222-2, indiquant que « l’aide à domicile » est attribuée sur sa demande, ou avec son accord, à la mère, au père ou, à défaut, à la personne qui assume la charge effective de l’enfant, « lorsque la santé de celui-ci, sa sécurité, son entretien ou son éducation l’exigent » et L.222-5 du CASF, prévoyant que les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil à temps complet ou partiel, ainsi que les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de 3 ans qui ont besoin d’un soutien matériel et psychologique, « notamment parce qu’elles sont sans domicile » sont pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) sur décision du président du conseil départemental. C’est avec ces deux articles que la compétence de l’État a posé des difficultés d’articulation.

L’intérêt de l’enfant doit primer

À noter que, quand bien même le département exciperait du fait que la compétence appartient à l’État, il ne saurait se fonder sur ce motif de principe pour retirer ou refuser son aide à des bénéficiaires. Ainsi, lorsqu’un département a pris en charge, en urgence, les frais d’hébergement à l’hôtel d’une famille avec enfants, « il ne peut, alors même qu’il appartient en principe à l’État de pourvoir à l’hébergement de cette famille, décider de cesser le versement de son aide sans avoir examiné la situation particulière de cette famille et s’être assuré que, en l’absence de mise en place, par l’État, de mesures d’hébergement ou de toute autre solution, cette interruption ne placera pas de nouveau les enfants dans une situation susceptible de menacer leur santé, leur sécurité, leur entretien ou leur éducation » (n° 382437). Répartition des compétences, certes, mais l’intérêt de l’enfant doit primer

Compétence étatique de principe

Il ressort de ce dispositif, tel qu’interprété par le Conseil d’État, qu’il revient à l’État de mettre en œuvre le droit à l’hébergement d’urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale (nos 382437, 388317). En cas de carence caractérisée de l’État dans l’accomplissement de sa mission, le juge des référés peut lui ordonner de prendre toutes les mesures nécessaires pour y satisfaire (n° 399829). Toutefois, avant de prononcer de telles mesures, le juge doit apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l’État en tenant compte de ses moyens ainsi que de la situation sociale des personnes à gérer (n° 400474). Dans le cas particulier d’étrangers faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire ou dont la demande d’asile a été définitivement rejetée, une telle carence ne saurait être caractérisée, à l’issue de la période strictement nécessaire à la mise en œuvre de leur départ, « qu’en cas de circonstances exceptionnelles ». Constituerait notamment une telle circonstance le fait qu’une solution appropriée ne pourrait être trouvée dans leur prise en charge hors de leur milieu de vie habituel par le service de l’ASE, l’existence d’un risque grave pour la santé ou la sécurité d’enfants mineurs, dont l’intérêt supérieur doit être une considération primordiale dans les décisions les concernant (n° 399836). Cette position peut donc conduire le juge à enjoindre au préfet d’assurer un hébergement d’urgence, « au regard du très jeune âge de l’enfant » par exemple (n° 399829). En revanche, si « aucune circonstance exceptionnelle » n’est avancée et que l’État a accompli des diligences normales, le juge ne saurait imposer une telle obligation au préfet (n° 400474).

Compétence départementale supplétive

La compétence d’intervention des départements s’articule autour de la présence ou non de mineurs (au sens de l’article L.222-5 du CASF précité) ou de femmes enceintes et de mères isolées. Dans l’hypothèse dans laquelle seraient concernées des femmes enceintes et des mères isolées avec leurs enfants de moins de 3 ans qui auraient besoin, « notamment parce qu’elles sont sans domicile, d’un soutien matériel et psychologique », leur prise en charge incombe au département au titre de l’aide sociale à l’enfance, en vertu de l’article L.222-5 du CASF. En effet, le juge indique qu’il s’agit dans cette occurrence d’une « exception » à la compétence de l’État (n° 382437). Il pourra alors s’agir d’aides financières (CASF, art. L.222-3) ou d’une prise en charge (CASF, art. L.222-5, 1° et 4°). Dans l’hypothèse dans laquelle aucun de ces publics ne serait directement concerné, la compétence de l’État n’exclut pas l’intervention du département par la voie d’aides financières destinées à permettre temporairement l’hébergement des familles lorsque la santé des enfants, leur sécurité, leur entretien ou leur éducation l’exigent, sur le fondement de l’article L.222-3 du CASF. Toutefois, et précisé- ment puisque ne sont en cause ni des mineurs relevant d’une prise en charge par le service de l’ASE, ni des femmes enceintes ou des mères isolées avec leurs enfants de moins de 3 ans, « l’intervention du département ne revêt qu’un caractère supplétif, dans l’hypothèse où l’État n’aurait pas accompli les diligences qui lui reviennent ». Et la Haute Juridiction d’en déduire que cette compétence supplétive ne saurait entraîner une quelconque obligation à la charge du département dans le cadre d’une procédure d’urgence, qui a précisément pour objet de prescrire, à l’autorité principalement compétente, les diligences qui s’avéreraient nécessaires. C’est pour ce motif que les décisions du juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, qui estimaient que le défaut d’intervention du département du Puy-de-Dôme était constitutif « d’une carence caractérisée […] dans la mise en œuvre du droit (des familles) à l’hébergement d’urgence » et lui enjoignaient « de leur accorder une aide financière pour se loger avec leurs enfants mineurs », ont été annulées (nos 399834, 399836). Et logiquement, dès lors que le département aura été conduit à prendre temporairement en charge l’hébergement de familles en difficulté, au titre des mesures d’« aide à domicile » prévues par les articles L.222-2 et L.222-3 du CASF (et non « une aide financière » aux termes de l’article L.222-5 du CASF précité), cette intervention conservera son caractère supplétif et n’imposera pas aux départements de prendre définitivement à leur charge des dépenses qui incombent en droit à l’État (n° 388317).

Samuel DYENS – Avocat associé

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