La CJUE précise la portée du principe de protection des informations confidentielles dans les procédures de passation des marchés publics

Retour sur un arrêt du 17 novembre dernier, où la Cour s'est prononcée sur la compatibilité et l'articulation de la protection des informations confidentielles, avec les principes directeurs des marchés publics.

Jurisprudence 24 novembre 2022

Dans un arrêt du 17 novembre 2022*, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la portée des principes d’égalité de traitement, de non-discrimination, de transparence et de droit à une protection juridictionnelle effective dans le cadre des marchés publics.

Plus précisément, quant à la compatibilité et à l’articulation de ces principes avec celui de protection des informations confidentielles. 

 

En l’espèce, l’Autorité nationale de gestion des eaux de Pologne (la Państwowe Gospodarstwo Wody Polskie), avait lancé un appel d’offres aux fins de développement de projets portant sur la gestion environnementale de certains districts hydrographiques en Pologne. 

La société Antea Polska a vu son offre rejetée malgré qu’elle ait été la moins élevée des quatre offres déposées, et le marché a été attribué à la société CDM Smith qui a obtenu de meilleures notes sur les critères techniques. 

A l’issue de la procédure, la société Antea Polska a saisi la Chambre nationale de recours de Pologne (Krajowa Izba Odwoławcza), juridiction de renvoi, afin d’obtenir l’annulation de la décision d’attribution du marché, un nouvel examen des offres et la divulgation de certaines informations.

Cette juridiction de renvoi interroge alors la Cour de justice quant à la portée de l’interdiction faite aux pouvoirs adjudicateurs de divulguer les informations que les candidats et soumissionnaires leur communique dans le cadre des procédures de passation des marchés publics. 

 

  • Sur l’applicabilité du principe de protection des informations confidentielles 

Dans un premier temps, la Cour devait de prononcer sur les contours et l’applicabilité de l’interdiction pour le pouvoir adjudicateur de divulguer les renseignements que les opérateurs économiques lui ont communiqués à titre confidentiel.

Cette interdition résulte de l’article 21, paragraphe 1, de la directive 2014/24 sur la passation des marchés publics. 

La Cour de justice de l’Union a jugé que cet article 21 ne s’oppose pas à l’emploi, par le législateur d’un État membre, de la notion de “secret des affaires”, tel que défini par le droit de l’Union, afin de délimiter la portée de la directive. 

En revanche, la protection assurée par cette directive ne peut être circonscrite à la notion de “secret des affaires”.

En effet selon la Cour :

“la protection de la confidentialité énoncée par la directive 2014/24 est plus large que celle d’une protection s’étendant aux seules secrets d’affaires”

Ainsi, la directive s’oppose à ce que le législateur d’un État membre établisse un régime ne permettant pas au pouvoir adjudicateur de refuser exceptionnellement la divulgation d’informations qui, tout en ne relevant pas du secret des affaires, doivent demeurer inaccessibles. 

L’article 21, paragraphe 1, de la directive précitée précise que l’interdiction de divulgation des renseignements communiqués à titre confidentiel s’applique sauf “dispositions contraires […] des règles de droit national auxquelles le pouvoir adjudicateur est soumis”. 

Pour la Cour cette précision implique qu’il appartient à chaque Etat membre d’opérer une conciliation entre la confidentialité visée par la directive et les règles de droit national poursuivant d’autres intérêts légitimes tel que l’accès à l’information et le soucis d’assurer la plus grande transparence des procédures de passation des marchés publics. 

Toutefois les Etats membres doivent s’abstenir de mettre en place des régimes qui :

  • ne permettent pas de garantir une concurrence non faussée,
  • ne laissent pas la place à la conciliation entre l’interdiction de divulgation des informations confidentielles et le principe général de bonne administration qui doit garantir le droit à un recours effectif des soumissionnaires évincés,
  • ou qui altèrent le régime en matière de publicité concernant les marchés attribués ainsi que les règles relatives à l’information des candidats et des soumissionnaires. 

 

Pour la Cour de justice, le droit de l’Union s’oppose donc à ce

“qu’une législation nationale en matière de passation des marchés publics […] exige que, à la seule exception du secret d’affaires, les informations transmises par les soumissionnaires aux pouvoirs adjudicateurs soient intégralement publiées ou communiquées aux autres soumissionnaires”

puisqu’une telle législation est susceptible d’empêcher le pouvoir adjudicateur de décider de ne pas divulguer certains renseignements dès lors qu’ils ne relèveraient pas du la notion de “secret des affaires”.

Cependant il s’oppose aussi “à une pratique des pouvoirs adjudicateurs qui consiste à accepter systématiquement les demandes de traitement confidentiel”.

Ainsi, sans que ne puisse être pratiqué un traitement confidentiel systématique des informations transmises dans le cadre des procédures d’attribution des marchés publics, le droit de l’Union permet la protection de données qui sont susceptibles d’être dommageables pour les opérateurs, même si elles n’appartiennent pas au secret des affaires. 

 

  • Sur les motifs pouvant justifier un refus de communication des informations fournies par les soumissionnaires

Dans un deuxième temps, la Cour s’est prononcée sur la possibilité, ou au contraire l’impossibilité, de fournir à la demande d’un soumissionnaire les “informations que les autres soumissionnaires ont soumises à propos de leur expérience pertinente et des références relative à celle-ci, à propose de l’identité et des qualifications professionnelles des personnes proposées pour exécuter le marché ou des sous-traitants, et à propos de la conception des projets dont la réalisation est envisagée dans le cadre du marché et des modalités d’exécution de celui-ci”

Pour la Cour de justice, il revient au pouvoir adjudicateur d’apprécier “si ces informations ont une valeur commerciale qui ne se limite pas au marché public concerné, leur divulgation étant susceptible de porter atteinte à des intérêts commerciaux légitimes ou à la concurrence loyale” ou si cette divulgation serait de nature à faire obstacle à l’application des lois ou serait contraire à un intérêt public. 

Dans l’hypothèse d’un refus opposé par le pouvoir adjudicateur, celui-ci doit “octroyer au […] soumissionnaire un accès au contenu essentiel de ces mêmes informations, de manière à ce que le respect du droit à un recours effectif soit assuré”. 

 

  • Sur les critères d’attribution du marché pouvant être utilisés par le pouvoir adjudicateur 

Dans un troisième temps, la Cour de justice s’est prononcée sur la possibilité de recourir à des critères tels que “la conception du développement des projets” dont la réalisation est envisagée dans le cadre du marché public en cause et la “description des modalités d’exécution” de ce marché. 

La Cour revient brièvement sur l’obligation pour le pouvoir adjudicateur de respecter les principes de transparence et d’égalité de traitement, qui permettent de garantir des conditions de concurrence effective. 

Découle de cette obligation, l’impératif de définir des “critères d’attribution [qui] ne confèrent pas au pouvoir adjudicateur une liberté de choix inconditionnée ». 

Partant, lorsque le pouvoir adjudicateur entend se servir de critères pour mesurer la qualité des offres, ils ne peuvent se limiter à renvoyer à la conception des projets dont la réalisation est envisagée dans le cadre du marché public en cause ou aux modalités d’exécution de ce marché par le soumissionnaire.

De tels critères doivent être accompagnés de précisions qui permettent une évaluation comparative suffisamment concrète du niveau de prestation offert. 

Ainsi, le droit de l’Union “ne s’oppose pas à ce que soient incluses, parmi les critères d’attributions du marché, la “conception du développement des projets”  dont la réalisation est envisagée dans le cadre du marché public en cause et la “description des modalités d’exécution” de ce marché, pourvu que ces critères soient assortis de précisions qui permettent au pouvoir adjudicateur d’évaluer d’une manière concrète et objective les offres soumises”.

 

  • Sur la possibilité d’introduire un nouveau recours en cas de constatation d’une obligation pour le pouvoir adjudicateur de divulguer au requérant des informations traitées à tort comme confidentielles 

Enfin, la Cour de justice de l’Union s’est prononcée sur la possibilité d’introduire un nouveau recours en cas de constatation d’une obligation pour le pouvoir adjudicateur de divulguer au requérant des informations traitées à tort comme confidentielles. 

Dès lors qu’une juridiction nationale est saisie d’une demande aux fins d’annulation de la décision d’attribution du marché au motif, notamment, que certaines informations ont à tort été qualifiées de confidentielles, il appartient à la juridiction saisie d’examiner si ces informations auraient en effet dû être divulguées et, dans l’affirmative, d’apprécier si leur non divulgation a privé le requérant de la possibilité d’introduire un recours effectif contre cette décision. 

Si face à une telle situation le droit procédural national ne permet pas à la juridiction saisie de prendre, en cours d’instance, des mesures qui rétablissent le respect du droit à un recours effectif, cette juridiction doit :

-soit annuler la décision d’attribution du marché,

-soit considérer que le requérant peut introduire un nouveau recours contre la décision d’attribution déjà prise.

 

Dans ce dernier cas, le délai pour l’introduction du recours ne court qu’à partir du moment où le requérant a accès à l’ensemble des informations qui avaient été à tort qualifiées de confidentielles. 

 

*CJUE – 17 novembre 2022 – C-54/21 – Antea Polska c/ Państwowe Gospodarstwo Wody Polskie 

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