La Cour de cassation refuse de transposer la jurisprudence dite « Czabaj »

Par Yvon Goutal - Cette jurisprudence a fait l'objet de nombreuses extensions depuis son adoption. Cette évolution reste vraie pour les juridictions administratives, mais la Cour de cassation a, par une décision très nette, refusé de la transposer aux contentieux relevant du juge judiciaire.

Jurisprudence 12 mars 2024

La jurisprudence dite « Czabaj » (Conseil d’Etat, Assemblée, 13 juillet 2016, n°387763, publié au Bulletin) a fait l’objet de nombreuses extensions depuis son adoption.

Cette évolution reste vraie pour les juridictions administratives, mais la Cour de cassation a, par une décision très nette, refusé de la transposer aux contentieux relevant du juge judiciaire.

L’occasion d’une petite synthèse de la jurisprudence récente.

– La position de la Cour de cassation

Par deux arrêts du 8 mars 2024 à publier au Bulletin, la Cour de cassation s’est prononcée sur l’applicabilité de l’arrêt Czabaj devant les juridictions judiciaires (n°21-12.560 et n°21-21.230)

Il était question dans les deux affaires, du recouvrement de titres exécutoires, domaine dans lequel le Conseil d’Etat applique la jurisprudence Czabaj lorsqu’il est compétent.

Dans la première, une commune réclamait le paiement d’une taxe locale : les titres ne présentaient pas la juridiction devant laquelle le recours pour les contester devait être formé. La Cour d’appel a appliqué le « délai raisonnable » d’un an issu de la jurisprudence administrative et a écarté la demande d’annulation comme tardive.

Dans la seconde affaire, la commune réclamait le paiement de factures d’eau. Cette fois-ci les titres de recettes ne mentionnent ni le nom ni la qualité de la personne les ayant émis. La Cour d’appel a refusé d’appliquer la jurisprudence Czabaj et a jugé la requête en annulation recevable.

Les deux pourvois posaient donc la question de savoir si la règle prétorienne issue de la décision du 13 juillet 2016 devrait recevoir application devant les juridictions judiciaires, notamment en matière de délai de recours contre un titre de recettes.

La Cour de cassation refuse explicitement de faire converger les jurisprudences et juge que « si, pour répondre, notamment, aux impératifs de clarté et de prévisibilité du droit, une convergence jurisprudentielle entre les deux ordres de juridiction est recherchée lorsqu’il est statué sur des questions en partage, celle-ci peut ne pas aboutir en présence de principes et règles juridiques différents applicables respectivement dans ces deux ordres. Tel est le cas en l’espèce. »

Elle juge alors « qu’en l’absence de notification régulière des voies et délais de recours, le débiteur n’est pas tenu de saisir le juge civil dans le délai défini par la décision du Conseil d’État du 13 juillet 2016 précitée. »

Motivant sa décision, le juge estime qu’un tel délai n’a pas à être introduit devant les juridictions judiciaires notamment en raison de l’existence de délais de prescription.

La Cour indique par exemple que les « contestations d’un titre exécutoire, formées devant ces juridictions, généralement à l’occasion de l’action en recouvrement, […] interviennent nécessairement dans le délai de prescription de cette action, tel le délai de quatre ans s’agissant des créances d’une collectivité territoriale.

[…] Ainsi, le risque de contestation d’actes ou de décisions sans limite de durée ne se présente pas dans les mêmes termes devant les juridictions judiciaires devant lesquelles les règles de la prescription extinctive suffisent en principe à répondre à l’exigence de sécurité juridique. »

En d’autres termes, pour la Cour de cassation, les mécanismes de prescriptions sont bien suffisants pour assurer la sécurité juridique, et il n’est nul besoin d’ajouter une forme supplémentaire de prescription.

– Une solution à contrecourant

Cette solution présente le mérite d’être claire et de marquer un temps d’arrêt dans la propagation très efficace de la jurisprudence Czabaj ces dernières années.

Certes, par une décision du 9 novembre 2023 (n°72173/17), la CEDH avait jugé que l’application immédiate aux instances en cours de ce nouveau délai de recours contentieux a restreint le droit d’accès des requérants à un tribunal et, partant, violé l’article 6, § 1, de la Conv. EDH. Mais au-delà de la reprobation de l’application immédiate de la règle de délai,la Cour valide dans son principe la création, par voie prétorienne, d’une nouvelle condition de recevabilité qui entre en contradiction avec la lettre des textes.C’était donc plutôt un signal favorable qu’avait émis la CEDH.

Il n’est pas surprenant, dès lors, que le Conseil d’Etatait poursuivi la marche en avant par une décision du 19 juillet 2023 (n°465308, mentionné dans les tables du recueil Lebon), qui rend le délai applicable aux recours en contestation de validité des contrats.

Dans cette dernière décision, le Conseil d’État rappelle d’abord que si « tout concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif est recevable à former devant [le] juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat […] ce recours doit être exercé […] dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées ». Il constate ensuite que ce délai n’était pas opposable en l’espèce en l’absence de publicité suffisante des modalités de consultation du contrat. Mais, sécurité juridique oblige, il considère que le recours est tout de même tardif dès lors qu’il a été introduit au-delà d’un délai d’un an à compter de la publication de l’avis d’attribution du contrat.

Yvon Goutal

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