Octroi et « retrait » des garanties d’emprunt par les communes

Nos publications 4 avril 2018

Indépendamment des évolutions juridico-institutionnelles, recentrant la compétence « développement économique » par ici, faisant disparaître une grande partie de la capacité de financement public par-là, la technique des garanties d’emprunt octroyées par les collectivités territoriales reste un moyen d’intervention très utilisé, et très apprécié dans ces périodes de raréfaction des ressources financières publiques. En effet, dire que les organismes financiers (on aurait parlé de partenaires il y a encore quelques temps…) sont frileux à financer certains projets publics relève de l’euphémisme. Dans ce contexte, il est utile de revenir, de manière très simple, sur les conditions d’octroi des garanties d’emprunt, mais également sur celles, toujours plus délicates, de leur « retrait ».

Des conditions d’octroi encadrées

Technique qui a pu se révéler risquée, voire réellement problématique pour les collectivités territoriales, les garanties d’emprunt sont encadrées par les dispositions des articles L.2252-1 à L.2252-5 du code général des collectivités territoriales (CGCT), ainsi que, par renvoi, celles des articles D. 1511-30 à D. 1511-35 du même code.

Le triptyque prudentiel

Aux termes de l’article L.2252-1 du CGCT, trois règles prudentielles sont prévues afin de réduire la charge et les risques de l’octroi inconsidéré de garanties d’emprunt. Par principe, une commune ne peut accorder à une personne de droit privé une garantie d’emprunt ou son cautionnement que dans les conditions ainsi fixées.

La garantie du plafonnement par collectivité territoriale. Il ressort de cette première limite que le montant total des annuités, déjà garanties à échoir au cours de l’exercice, d’emprunts contractés par toute personne de droit privé ou de droit public, ne peut excéder 50% des recettes réelles de la section de fonctionnement du budget communal. Il s’agit du montant total des annuités, ainsi défini, majoré du montant de la première annuité entière du nouveau concours garanti, et du montant des annuités de la dette communale.

Aux termes des dispositions de l’article D.1511-30 du CGCT, le montant net des annuités de la dette est égal à la différence entre le montant total des sommes figurant au budget primitif principal pour l’exercice en cours inscrites :

– en dépenses au titre du remboursement du capital d’emprunts et du versement des intérêts ainsi que du règlement des dettes à long ou moyen terme, sans réception de fonds,

– et en recettes au titre du recouvrement des créances à long et moyen terme.

Il est à noter, toutefois, que le montant des provisions spécifiques constituées par la commune pour couvrir les garanties et cautions accordées, affecté d’un coefficient multiplicateur, vient en déduction du montant total ainsi défini. Il ressort de l’article D1511-33 du CGCT que pour l’application de ce dispositif, « le coefficient multiplicateur appliqué aux provisions spécifiques constituées par les communes pour couvrir les garanties ou cautions est fixé à 1 ».

La garantie du plafonnement par structure bénéficiaire. Le deuxième garde-fou conduit à limiter le montant de garanties par bénéficiaire. Ainsi, il ressort de l’article L.2252-1, alinéa 3 du CGCT, que le montant des annuités garanties au profit d’un même débiteur, exigible au titre d’un exercice, ne doit pas dépasser 10% du montant total des annuités susceptibles d’être garanties.

Autrement posé, cette règle interdit qu’un débiteur dispose d’une couverture excédant en termes d’annuités 10 % de la capacité globale à garantir de la collectivité.

La garantie liée au partage des risques. Enfin, il ressort du quatrième alinéa de l’article L.2252-1 du CGCT que « la quotité garantie par une ou plusieurs collectivités territoriales sur un même emprunt ne peut excéder » 50%. Ce qui signifie clairement qu’une commune ne peut, en principe, garantir la totalité d’un emprunt.

Globalement, aucune stipulation ne peut faire obstacle à ce que la mise en jeu des garanties accordées par une commune porte, au choix de celle-ci, soit sur la totalité du concours, soit sur les annuités déterminées par l’échéancier contractuel.

Destinées à limiter les risques financiers pour les collectivités territoriales ayant octroyées de telles garanties, ces trois règles prudentielles connaissent quelques dérogations d’importance.

Des dérogations limitativement énumérées

Deux séries de dérogations sont prévues. Les unes visent à faire exception à l’ensemble des règles prudentielles organisées par le CGCT ; les autres ne dérogent qu’à la règle du partage des risques.

Dérogations à l’ensemble du triptyque prudentiel. L’article L.2252-2 du CGCT prévoit cinq situations limitativement énumérées concernant des projets ou opérations qui dérogent à l’ensemble des règles prudentielles fixées à l’article L.2252-1 du même code, dont la dernière a été ajoutée par la loi n°2017-1837 du 30 décembre 2017, portant « loi de finances pour 2018 ».

Ainsi, ces règles ne sont pas applicables aux garanties d’emprunts accordés par une commune :

– Pour les opérations de construction, d’acquisition ou d’amélioration de logements réalisées par les organismes d’habitations à loyer modéré ou les sociétés d’économie mixte,

– Pour les opérations de construction, d’acquisition ou d’amélioration de logements bénéficiant d’une subvention de l’État ou réalisées avec le bénéfice de prêts aidés par l’État ou adossés en tout ou partie à des ressources défiscalisées ;

– En application du plan départemental d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées, tel que prévu à l’article 2 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement ;

– Pour les opérations prévues à l’article L. 312-3-1 du code de la construction et de l’habitation. Ces opérations relèvent des articles L.421-3, 8°, L.422-2, 26ème alinéa et L.422-3, 9° du code de l’urbanisme ;

– Pour les opérations d’acquisition réalisées par les organismes de foncier solidaire, issus de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, et désormais figurant à l’article L. 329-1 du code de l’urbanisme.

On constatera aisément la prégnance de la justification issue des besoins du logement social à ces dérogations.

• Dérogations à la garantie liée au partage des risques. Deux types de situations sont ici concernées.

En premier lieu, la règle de la quotité maximale de 50 % n’est pas applicable pour des opérations menées par les organismes d’intérêt général visés à l’article 238 bis du code général des impôts, tels que par exemple :

– des organismes à caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, familial, culturel,

– des associations reconnues d’utilité publique,

– ou encore des établissements d’enseignement supérieur ou d’enseignement artistique publics ou privés, d’intérêt général, à but non lucratif…

En second lieu, les dispositions de l’article L. 2252-1, al. 4 ne sont pas non plus applicables aux garanties d’emprunts accordées par une commune pour des opérations d’aménagement réalisées dans les conditions définies par les articles L. 300-4 à L. 300-5-2 du code de l’urbanisme, à la double condition que ces opérations :

– concernent principalement la construction de logements,

– et qu’elles soient situées dans des communes appartenant à une zone d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants ou dans des communes de plus de 15 000 habitants en forte croissance démographique identifiées en application des dispositions du dernier alinéa du II de l’article L. 302-5 du code de la construction et de l’habitation.

Des conditions de « retrait » toujours restrictives

Les conditions de « retrait » des garanties d’emprunt octroyées appellent des développements plus conséquents. D’abord en ce qu’elles appellent des précisions quant aux notions en jeu, mais aussi parce que ces conditions sont toujours très restrictives, si la commune ne les anticipe pas.

Des notions à maîtriser

Avec le terme « retrait », largement usité (et souvent à tort) dans le langage courant, ce sont en fait trois dimensions qu’il faut appréhender.

Abrogation. Dans ce cas, l’acte ne disparaît que pour l’avenir, et par suite, ne conduit pas à la remise en cause des effets produits alors qu’il était en vigueur. C’est le cas, par exemple, de la commune qui décide de ne plus financer telle ou telle association pour les futurs exercices budgétaires, sans revenir sur ses engagements précédents.

Caducité. Proche de l’abrogation par ses effets, la caducité résulte non pas d’un nouvel acte, distinct du premier, mais de l’acte lui-même. En d’autres termes, la collectivité a introduit par avance, dans le corps même de la décision, le terme extinctif, autrement posé la date à laquelle ou le délai au terme duquel l’acte disparaîtra automatiquement, sauf à édicter une nouvelle délibération. Cette caducité s’exprime, par exemple, lorsqu’un conseil départemental fixe, dans la délibération attribuant une subvention à une commune, l’obligation pour cette dernière de la mobiliser dans un délai déterminé, sous peine de la voir disparaître automatiquement à l’échéance de ce délai.

Retrait. En dernier lieu, la collectivité territoriale peut souhaiter revenir rétroactivement sur un engagement qu’elle a précédemment contracté, et qu’elle a formalisé dans une délibération. Autrement posé, lorsque le retrait est prononcé, l’acte affecté est censé n’avoir jamais existé. Ces effets, radicaux, expliquent pourquoi cette voie est si souvent fermée aux assemblées territoriales, qui sont trop souvent animées par une croyance dans un adage aussi séduisant que fréquemment erroné, selon lequel « ce qu’une assemblée a fait, une autre assemblée peut le défaire ». Et c’est précisément très souvent le cas pour le retrait d’une délibération ayant attribuée une garantie d’emprunt.

Le retrait, une voie souvent fermée

Des conditions strictes. Les décisions attribuant un avantage financier constituent des décisions créatrices de droit. Le Conseil d’État s’est d’ailleurs prononcé en ce sens, en particulier dans une décision de principe « Mme Soulier », aux termes de laquelle « une décision administrative accordant un avantage financier crée des droits au profit de son bénéficiaire alors même que l’administration avait l’obligation de refuser cet avantage »5.

En conséquence, le retrait de ces actes répond aux principes énoncés par l’arrêt « Ternon » selon lequel « sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l’administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de décision »6. Et la même solution s’applique pour l’abrogation des actes attribuant un avantage financier, c’est à dire pour leur remise en cause pour l’avenir seulement.

Ainsi que le résume parfaitement la meilleure doctrine sur le sujet, « pour les actes pécuniaires attributifs, adoptés dans l’exercice d’un pouvoir d’appréciation, les droits qu’ils ont créés ne peuvent pas plus être remis en cause par voie d’abrogation que par voie de retrait. Ces droits sont devenus définitifs et ne peuvent être rapportés ni pour le passé ni pour l’avenir – alors même qu’ils donneraient lieu à une exécution successive ».

Désormais, ce sont les dispositions de l’article L. 242-1 du Code des relations entre le public et l’administration qui régissent ces situations, en précisant que « l’administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d’un tiers que si elle est illégale et si l’abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ».

Une jurisprudence ferme. La jurisprudence fournit des illustrations de l’application de ces principes en matière de d’octroi d’aides financières sous forme de subventions. Décisions créatrices de droit s’il en est, les délibérations octroyant une subvention ne peuvent faire l’objet d’une décision de retrait ou d’abrogation que dans le délai de quatre mois à compter de leur adoption.

Il en est de même s’agissant des garanties d’emprunt accordées par les communes. Ainsi, avant même la lecture de l’arrêt Ternon, le Conseil d’État avait jugé, d’une part, qu’une garantie d’emprunt constituait une « décision créatrice de droits au profit de l’association » bénéficiaire, et d’autre part que son retrait, au-delà du délai prévu, était constitutif d’une illégalité. Plus récemment, appelée à statuer sur la légalité du retrait de deux délibérations par lesquelles une commune avait accepté de garantir à hauteur de 80 % un emprunt contracté par une société d’économie mixte afin de financier l’implantation d’une entreprise, la Cour administrative d’appel de Douai, après avoir constaté que « ce retrait n’était pas motivé par l’illégalité qui aurait entaché les délibérations créatrices de droit (…), mais par la seule circonstance qu’elles seraient devenues inutiles, et que le contrat de prêt garanti n’avait pas été résilié, la Cour a jugé que « le retrait dont s’agit est illégal ».

En conséquence, hormis les hypothèses fixées par la jurisprudence et, désormais, par le code des relations entre le public et l’administration, une délibération ayant attribuée une garantie d’emprunt ne peut faire l’objet d’un retrait ou d’une abrogation, sauf à avoir introduit des dispositions particulières dans la délibération attributive elle-même.

Une anticipation nécessaire

Une conditionnalité admise. La situation est cependant différente lorsque l’octroi de l’aide financière de la commune est soumis à condition suspensive ou à condition résolutoire. Dans une telle occurrence, la décision attributive de l’avantage financier n’est créatrice de droit que dans la mesure où les conditions posées sont respectées.

Ce principe a été énoncé par le Conseil d’État dans une affaire où deux communes avaient décidé de retirer la subvention qu’elles avaient accordée à la Chambre de Commerce et de l’Industrie de l’Indre en vue de contribuer à une action de recherche d’investisseurs français et étrangers. Appelé à statuer sur la légalité de ce retrait, le Conseil d’État a jugé que « l’attribution d’une subvention par une personne publique crée des droits au profit de son bénéficiaire ; que toutefois, de tels droits ne sont ainsi créés que dans la mesure où le bénéficiaire de la subvention respecte les conditions mises à son octroi, que ces conditions découlent des normes qui la régissent, qu’elles aient été fixées par la personne publique dans sa décision d’octroi, qu’elles aient fait l’objet d’une convention signée avec le bénéficiaire, ou encore qu’elles découlent implicitement mais nécessairement de l’objet même de la subvention ».

Autrement posé, lorsque les conditions ou la réalisation d’un objectif auxquelles était subordonné le versement d’une aide financière n’ont pas été respectées, l’administration est alors autorisée à retirer sa décision (ce qui implique d’ordonner le reversement des sommes concernées) ou de l’abroger pour l’avenir. Tel est le cas, par exemple, lorsque l’affectation des fonds a été modifiée sans autorisation de la personne publique et alors que l’aide financière était affectée à la réalisation d’un objectif prédéterminé. La solution ainsi dégagée en matière de subvention est également applicable en matière de garantie d’emprunt.

Saisi de la légalité d’une décision retirant ou abrogeant une décision créatrice de droits, le juge administratif s’attachera à vérifier que les conditions d’octroi expressément mentionnées dans le corps de la décision d’octroi – ou de la convention qui l’accompagne – ont bien été respectées, sachant que celles-ci peuvent être valablement implicites. Le Conseil d’État a ainsi considéré que le retrait d’une aide subordonnée à la création d’emplois était justifié lorsque les recrutements effectués ont rapidement été suivis de licenciements, et ce même en l’absence de toute stipulation expresse relative au maintien, pendant un délai suffisant, des effectifs recrutés.

Enfin, il faut y insister, les décisions obtenues par la fraude ne créent pas de droit au profit de leur bénéficiaire et peuvent par conséquent être retirées à tout moment.

En contrepartie, l’illégalité entachant la décision de retrait d’une garantie d’emprunt est de nature à engager la responsabilité de la commune, ainsi que, plus globalement dans l’hypothèse de la méconnaissance de ses engagements, par exemple en cas de défaillance lors de la mise en œuvre d’une garantie d’emprunt.

Des conditions diverses. Dans l’hypothèse dans laquelle la commune souhaiterait recourir à un dispositif conditionnel, une ou plusieurs conditions suspensives peuvent être envisagées.

Ainsi, le conseil municipal pourrait décider de subordonner l’aide financière de la Commune à des conditions telles que :

– la réalisation des travaux garantis dans un délai déterminé,

– le respect de certaines contraintes architecturales ou environnementales,

– la mobilisation de certaines modalités de financement spécifiques des projets,

– dans le cas du transfert de l’emprunt garanti à une nouvelle entité, subordonner le maintien de la garantie au respect par le nouvel organisme des mêmes conditions d’éligibilité définies pour le primo-bénéficiaire.

Par ailleurs, une condition suspensive apparaît régulièrement dans les délibérations des collectivités territoriales décidant d’octroyer une garantie d’emprunt au bénéfice d’associations. C’est celle consistant à exiger du bénéficiaire de la garantie la constitution, à ses frais, au profit du garant, d’une hypothèque de premier rang sur tel bien immobilier appartenant au bénéficiaire ou faisant l’objet de la garantie. Pour mémoire, le « rang » est l’ordre d’ancienneté dans lequel une inscription d’hypothèque a été enregistrée sur un bien immobilier en garantie de remboursements de prêts toujours en cours.

Samuel DYENS – avocat associé

Juliette VIELH – avocat collaborateur

 

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