Le Cabinet Goutal Alibert & Associés a obtenu du Tribunal administratif de Bordeaux une importante décision dans le contentieux des arrêtés fixant le plafond des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités locales.
Pour rappel, l’article 29 de la loi 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 a institué un dispositif de « contractualisation » entre les collectivités territoriales – notamment les régions, les départements, ainsi que les communes et EPCI ayant des dépenses réelles de fonctionnement supérieures à 60 millions d’euros – et l’État, dont l’objet est d’encadrer l’évolution de leurs dépenses réelles de fonctionnement et, pour certaines d’entre elles, de fixer une trajectoire d’amélioration de leur capacité de désendettement. Schématiquement, un taux d’évolution maximal annuel des dépenses réelles de fonctionnement devait être fixé pour chaque collectivité concernée sur la base d’un taux de référence national de 1,2 %. L’article 29 IV B de la loi de finances prévoyait toutefois la modulation de ce taux national de référence, à la baisse ou à la hausse, en fonction de trois critères dans la limite de 0,15 point chacun. Ces trois critères sont : l’évolution de la population et du nombre de logements de la collectivité entre 2014 et 2016 ; le revenu par habitant ; l’évolution des dépenses réelles de fonctionnement entre 2014 et 2016.
Les contrats avec l’Etat devaient être signés au plus tard le 30 juin 2018. A défaut, il incombait au Préfet de notifier par arrêté aux collectivités inclues dans le périmètre du dispositif, le niveau maximal annuel de leurs dépenses réelles de fonctionnement pour les exercices budgétaires 2018 à 2022. En cas de dépassement du plafond ainsi fixé, la collectivité « mauvais élève » se voit appliquer l’exercice suivant, une pénalité financière égale à 75 % du dépassement constaté dans le cas où elle avait contractualisé avec l’Etat ou à sa totalité dans le cas contraire.
Faute d’accord avec le Préfet de l’époque, le Département de la Gironde s’était vu notifier le 17 septembre 2018 un arrêté fixant le taux d’évolution annuel de ses dépenses réelles de fonctionnement à 1,2 % en excluant d’autorité la majoration de 0,15 point à laquelle le Département était éligible en raison de l’évolution de sa population. Pour justifier ce taux de 1,20 % le Préfet estimait que le débat d’orientation budgétaire du département – qui avait eu lieu au mois de novembre 2017, soit avant l’entrée en vigueur de la loi – prévoyait « une trajectoire d’évolution des dépenses réelles de fonctionnement pour 2018 et 2019 inférieure à l’objectif de 1,35 % résultant de l’application du facteur à la hausse à laquelle le département est éligible« . Ensuite, le Département ayant dépassé l’objectif annuel de dépenses qui lui était ainsi imposé, il s’est vu notifier le 24 octobre 2019 un arrêté de reprise financière d’un montant de près de 13 millions d’euros.
Le Département a contesté ces deux arrêtés devant le Tribunal administratif de Bordeaux et sollicité qu’il soit enjoint à l’Etat de fixer le taux d’évolution de ses dépenses de fonctionnement à 1,35% dans un délai d’un mois. Statuant sur ces deux requête par un même jugement du 24 décembre 2020 – joie de Noël… – le Tribunal a intégralement fait droit à ses demandes.
Pour annuler l’arrêté préfectoral fixant à 1,20 % le taux d’évolution des dépenses réelles de fonctionnement du Département, les magistrats ont d’abord jugé qu’une évolution prévisible des dépenses inférieure à l’objectif de 1,35 % sur les deux premiers des trois exercices ne suffisait pas à justifier un taux de croissance annuel fixé à 1,2 % de 2018 à 2020. Surtout, la juridiction a retenu que les seules prévisions du débat d’orientations budgétaires sur lesquelles le Préfet s’est fondé ne permettaient pas de considérer que l’évolution des dépenses réelles de fonctionnement du Département correspondrait à l’objectif national de 1,2 %, au regard de l’évolution de sa population et ce d’autant qu’à la date de l’arrêté attaqué, le budget primitif pour 2018 avait déjà été voté et que la hausse des dépenses réelles de fonctionnement de 2017 à 2018 excédait sensiblement le taux de 1,2 %. Dans ces conditions et après avoir encore relevé qu’aucun élément ne permettait de considérer que la croissance de la population départementale ne se poursuivrait pas, le Tribunal a jugé que le préfet de la Gironde a commis une erreur manifeste d’appréciation en fixant à 1,2 % le taux de croissance annuel des dépenses réelles de fonctionnement du Département de la Gironde. Ayant censuré pour ce motif l’arrêté préfectoral du 17 septembre 2018, le Tribunal a ensuite annulé par voie de conséquence l’arrêté notifiant au Département le montant de la pénalité financière qui lui était appliquée. Puis, faisant droit aux conclusions qui lui étaient présentées en ce sens, il a enjoint à l’Etat de notifier au Département de la Gironde, dans un délai d’un mois, un niveau maximal annuel de dépenses réelles de fonctionnement sur la base d’un taux de croissance annuel de 1,35 %.
En statuant ainsi, le Tribunal administratif de Bordeaux n’a pas censuré le principe même de l’inapplication d’une modulation à la hausse à laquelle la collectivité est éligible. En revanche il a estimé que pour écarter une telle modulation, l’Etat doit justifier, par des éléments suffisants, que l’évolution de la population de la collectivité est compatible avec le maintien du taux de référence de 1,20%. Le même raisonnement devrait pouvoir être appliqué aux autres critères de modulation (potentiel fiscal et taux d’évolution des dépensées réelles de fonctionnement des années antérieures).
Cette décision ouvre ainsi la voie aux collectivités qui n’auraient pas bénéficié d’une modulation à laquelle elles étaient éligibles pour contester, sinon l’arrêté fixant le taux d’évolution de leurs dépenses réelles de fonctionnement, les arrêtés leur notifiant le montant de la reprise financière appliquée en cas de dépassement.
Tribunal administratif de Bordeaux, 24 décembre 2020, n° 1805138 1906244