Pratiquer le « sourcing » dans les marchés publics

Nos publications 14 mars 2018

Article publié dans l’hebdomadaire La Gazette des communes du 12 mars 2018.

Sourcing : Le sourcing au sens de la commande publique est une pratique d’assistance la préparation du lancement d’une procédure de marché public.

Transparence : L’acheteur doit faire état de l’ensemble des mesures de mise en œuvre du sourcing dans le rapport de présentation du marché.

Egalité de traitement : La pratique du sourcing ne doit pas conduire à procurer un avantage aux opérateurs sondés.

1 – Utiliser le sourcing pour préciser le besoin

Si la définition avec précision de la nature et de l’étendue du besoin objet du marché public à conclure est une obligation, prévue à l’article 30 de l’ordonnance du 25 juillet 2015 relative aux marchés publics, la description des spécifications techniques du marché n’est pas toujours aisée pour les acheteurs, surtout concernant des sujets évolutifs ou techniquement complexes. Or, une politique d’achat efficace passe nécessairement par bonne définition du besoin.

A cette fin, et pour éviter les procédures infructueuses, la réforme officialise la possibilité de recourir aux consultations préalables correspondant au moins en partie au « sourcing » ou « sourçage ». Sous l’empire du Code des marchés publics de 2006, la pratique n’était certes pas évoquée. Pour autant, rien ne l’interdisait.

Au contraire, les juridictions européennes (CJUE, 3 mars 2005, Fabricom, Aff.C-21/03 et C-34/03) et nationales (CE, 14 novembre 2011, SMEAG, req. n°373156) ont pu l’autoriser dès lors qu’aucune rupture de l’égalité de traitement entre les candidats n’en résultait. La nouveauté introduite à l’article 4 du décret du 25 mars 2016 sous l’appellation « Etudes et échanges préalables avec les opérateurs économiques » est donc surtout l’officialisation de la pratique.

Son objectif est de permettre aux acheteurs d’utiliser les informations collectées afin d’affiner leur besoin, retranscrit dans les documents de la consultation, mais également d’accroître la qualité et le nombre de réponses à une consultation avec des solutions innovantes et/ou performantes d’un point de vue économique.


A noter : Les opérateurs ne disposent pas d’un droit à être consultés, l’acheteur étant par ailleurs garant du respect des principes de la commande publique.


2 – Solliciter directement ou indirectement les opérateurs économiques

Le décret du 25 mars 2016 ne dresse pas une liste exhaustive des pratiques autorisées. L’article 4 dispose seulement que les acheteurs peuvent « effectuer des consultations ou réaliser des études de marché, solliciter des avis ou informer les opérateurs économiques de son projet et de ses exigences ». Ils sont donc libres de définir les modalités de ces consultations préalables.

Concrètement, les pratiques antérieures à la réforme peuvent toujours être exercées : consultation de sites internet, catalogues ou magasins des entreprises, prise d’information à l’occasion de salons professionnels … ces démarches s’inscrivent dans le cadre d’une collecte d’informations préalablement au lancement de la procédure de passation du marché.

En revanche, la possibilité de solliciter directement les opérateurs économiques avant le lancement de la procédure ne fait plus de doute : l’acheteur peut les inviter, les questionner, ou faire réaliser, sous la forme d’un marché, une étude afin d’identifier les opérateurs en capacité d’apporter des solutions.

Le sourcing peut être pratiqué de manière « globale », par exemple, en communicant sur les projets d’achats dans un ou plusieurs secteurs économiques pour permettre aux opérateurs de proposer des services et produits nouveaux. Cette pratique, qui pourrait être mis en œuvre par une rubrique dédiée sur le site internet de l’acheteur, permet à la fois d’identifier une nouvelle manière de répondre à ces besoins mais également d’en identifier de nouveaux.

Le sourcing peut également être utilisé en vue d’obtenir des solutions en vue de réaliser un projet précis. L’acheteur pourrait alors, préalablement à l’engagement de la procédure de mise en concurrence, et sauf à s’engager dans un dialogue compétitif qui ne correspond pas à la pratique du sourcing, se rapprocher de plusieurs opérateurs préalablement identifiés, afin d’obtenir leur position sur les réponses techniques, juridiques et/ou financières disponibles. En pratique, un questionnaire pourrait leur être transmis, suivi d’une rencontre afin de recueillir les avis sur les solutions et leurs délais de réalisation.

3 – Rétablir l’égalité de traitement entre les candidats

La réglementation fait peser sur l’acheteur la responsabilité de concilier la mise en œuvre d’une consultation préalable avec le respect des principes fondamentaux de la commande publique, et notamment la liberté d’accès à la commande publique et le principe d’égalité de traitement des candidats. En ce sens, l’article 5 du décret du 25 mars 2016 impose à l’acheteur de prendre des mesures pour garantir l’égalité de traitement entre les opérateurs consultés avant le lancement de la procédure de passation et les autres candidats.

Or, par principe, les opérateurs ayant participé au sourcing peuvent se porter candidat à la procédure de passation du marché qui s’en suit. En effet, la participation au sourcing ne figure pas dans la liste des interdictions automatiques prévues à l’article 46 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 et les articles 4 et 5 du décret n’excluent pas plus la participation de ces opérateurs à la consultation.

En fait, l’exclusion d’un candidat ayant pris part au sourcing ne peut être mise en œuvre, conformément à l’article 5 du décret du 25 mars 2016 et aux dispositions point 3 de l’article 48 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relatives aux exclusions facultatives des candidats, que lorsque l’acheteur ne dispose pas d’autre solution pour rétablir l’égalité entre les candidats. En définitive, la participation des opérateurs consultés est donc le principe et leur exclusion l’exception.

En pratique, il mettra à disposition les informations collectées pour définir son besoin, dans le respect du secret en matière industrielle et commerciale. Une attention particulière devra être accordée à la rédaction des documents de la consultation afin de permettre à l’ensemble des candidats de disposer de connaissances identiques : l’acheteur ne doit pas laisser des informations importantes ignorées de certains candidats. Dans le même ordre d’idées, l’acheteur devra veiller à laisser un délai de réponse suffisant à l’ensemble des candidats, de sorte que les opérateurs sondés ne soient pas avantagés par leur connaissance préalable de certaines attentes de l’acheteur.

4 – Assurer la transparence de la pratique du sourcing

L’acheteur est également tenu d’assurer la transparence de son activité de consultation préalable marché par marché. Pour les marchés d’un montant égal ou supérieur aux seuils européens, le respect de cette obligation implique notamment la description dans le rapport de présentation du marché « des mesures appropriées prises par le pouvoir adjudicateur pour s’assurer que la concurrence n’a pas été faussée par des études et échanges préalables avec des opérateurs économiques ou par la participation d’un opérateur économique à la préparation du marché public », conformément à l’article 105 du décret du 25 mars 2016.

Les consultations préalables doivent donc s’accompagner d’un effort significatif de traçabilité à plusieurs niveaux. Compte tenu des contraintes afférentes, il est d’abord important de cibler les besoins pour lesquels les actions de sourcing seraient susceptibles d’apporter une véritable plus value. L’acheteur sera ainsi en mesure d’expliquer l’origine de la consultation.

L’acheteur doit également être en capacité de justifier les mesures en œuvre : les échanges intervenus et leurs procédés doivent être consignés. Si le sourcing conduit à des rencontres entre les opérateurs et l’acheteur, il convient, comme en négociation, d’éviter les rencontres en tête à tête, une équipe d’au minimum deux agents doit être affectée à cette mission.

En fonction de l’ampleur et des enjeux afférent aux consultations préalable, un rapport de synthèse pourrait être établi afin d’orienter le traitement des informations collectées et préparer leur utilisation dans le cadre de la future procédure de consultation.

5 – Anticiper et évaluer le risque contentieux lié à la pratique du sourcing

Dès lors que la participation des opérateurs sondée est le principe et leur exclusion l’exception, le recours au sourcing doit être réfléchi et préparé afin de limiter un risque contentieux qui pourrait s’avérer multiple.

D’abord, un candidat sondé et exclu de la procédure pour ce seul motif pourrait contester cette mesure sur le fondement du principe de libre accès à la commande publique. Cette exclusion crée également un aléa économique, l’acheteur se privant potentiellement d’une offre compétitive.

Par ailleurs, si des informations obtenues lors de la phase de sourcing devaient être divulguées aux autres opérateurs sans l’autorisation du candidat intéressé, ce dernier pourrait rechercher la

responsabilité de l’acheteur en raison de la violation du secret industriel et commercial. Lors de la phase de sourcing, afin d’éviter tout débat, l’acheteur peut demander, conformément à l’article 44 de l’ordonnance du 23 juillet 2015, que les opérateurs consultés consentent à ce que certaines informations confidentielles fournies et précisément désignées soient divulguées dans le cadre de la procédure de passation.

Ensuite, si un opérateur sondé devait être désigné attributaire du marché au terme de la procédure de passation, les opérateurs évincés pourraient contester ce choix en soulevant une rupture d’égalité entre les candidats. L’acheteur devra alors être en mesure d’établir que l’attributaire, bien qu’ayant participé à la préparation du marché, n’a pas bénéficié d’informations supplémentaires lors de la procédure de passation.

Enfin, au-delà de ces risques administratifs susceptibles de conduire à l’annulation de la procédure de passation ou du contrat, dans l’hypothèse où l’attributaire est un candidat ayant participé à l’élaboration du marché, la rupture d’égalité entre les candidats pourrait conduire à une sanction pénale fondée sur le délit d’octroi d’avantage injustifié (délit de favoritisme) prévu à l’article 432-14 du Code pénal.

Bastien DAVID – avocat collaborateur

 

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