Au sujet de la protection de l’image des domaines nationaux, commentaire de la décision du Conseil d’Etat du 13 avril 2018

Jurisprudence 18 avril 2018

CE Ass. 13 avril 2018, Etablissement public du domaine national de Chambord, n° 397047

Le 13 avril 2018, l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat a été amenée à se prononcer sur le régime applicable à l’image d’un bien appartenant au domaine public, ou le cas échéant aux domaines nationaux, et faisant l’objet d’une utilisation à des fins commerciales.

Il y a près de huit ans, l’établissement public du domaine national de Chambord a émis deux titres exécutoires à l’encontre de la société Les Brasseries Kronenbourg. Le directeur de l’établissement public justifiait l’émission desdits titres par la réalisation de photographies du château de Chambord par la société Les Brasseries Kronenbourg, et ce dans le cadre d’une campagne de publicité pour la bière « 1664 ». Il s’agissait, à ses yeux, d’une utilisation de l’image du château à des fins de publicité commerciale constitutive d’une utilisation privative du domaine public et impliquant le versement d’une contrepartie financière.

La société a demandé au Tribunal administratif d’Orléans d’annuler les titres exécutoires en question. Le Tribunal a répondu favorablement à cette demande par un jugement rendu en mars 2012, lequel a été confirmé par un arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes en décembre 2015.

Confrontée à cette question inédite, le Conseil d’Etat a procédé à un raisonnement en deux étapes : la question posée a d’abord été examinée à l’aune du droit de la domanialité publique (1), avant d’être envisagée à la lumière de dispositions de la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (2).

1. En premier lieu, la Haute juridiction – rejoignant les juges d’appel – énonce que « les personnes publiques ne disposant pas d’un droit exclusif sur l’image des biens leur appartenant, celle-ci n’est pas au nombre des biens et droits mentionnés à l’article L. 1 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) ». Et l’Assemblée du contentieux d’en déduire que « l’image d’un bien du domaine public ne saurait constituer une dépendance de ce domaine ni par elle-même, ni en qualité d’accessoire indissociable de ce bien ». L’affirmation est forte : l’image du château de Chambord n’est pas susceptible d’être qualifiée de dépendance du domaine public : 1°/ ni intrinsèquement 2°/ ni en vertu de la « théorie de l’accessoire » consacrée à l’article L. 2111-2 du CG3P.

En second lieu, la Haute assemblée rappelle les termes des articles L. 2122-1, L. 2125-1 et L. 2125-3 du CG3P et juge qu’ « il résulte de la combinaison de ces dispositions, d’une part, que l’occupation ou l’utilisation du domaine public n’est soumise à la délivrance d’une autorisation que lorsqu’elle constitue un usage privatif de ce domaine public, excédant le droit d’usage appartenant à tous, d’autre part, que lorsqu’une telle autorisation est donnée par la personne publique gestionnaire du domaine public concerné, la redevance d’occupation ou d’utilisation du domaine public constitue la contrepartie du droit d’occupation ou d’utilisation privative ainsi accordé ». Dès lors, le Conseil d’Etat estime ainsi que tant que l’occupation ou l’utilisation du domaine public se réalise dans les limites ne dépassant pas le droit d’usage appartenant à tous, il n’y a pas lieu à la délivrance d’une quelconque autorisation, et « par suite », une redevance ne peut pas plus être exigée. Dans le cas contraire toutefois, la personne publique est bien fondée « à demander à celui qui occupe ou utilise irrégulièrement le domaine public le versement d’une indemnité calculée par référence à la redevance qu’il aurait versée s’il avait été titulaire d’un titre régulier à cet effet ».

Une fois l’approche globale des conditions d’occupation et d’utilisation déclinée, le Conseil d’Etat en vient à examiner spécifiquement la question de la prise de vues d’un bien appartenant au domaine public. Il considère, à cet égard, que si une telle activité photographique est « susceptible d’impliquer, pour les besoins de la réalisation matérielle de cette opération, une occupation ou une utilisation du bien qui excède le droit d’usage appartenant à tous, une telle opération ne caractérise toutefois pas, en elle-même, un usage privatif du domaine public ».

Le Conseil d’Etat poursuit ensuite son raisonnement en spécifiant davantage l’hypothèse contentieuse d’espèce et affirme que « en outre, l’utilisation à des fins commerciales de l’image d’un tel bien ne saurait être assimilée à une utilisation privative du domaine public, au sens des dispositions précitées du CG3P ». Un pas qualitatif est franchi : non seulement la prise de vue en tant que tel n’est pas à même de caractériser un usage privatif du domaine public, mais l’utilisation commerciale des images résultant d’une telle prise de vues n’est pas plus assimilable, en elle-même (voir §7), à une utilisation privative du domaine public.

Au final, les juges du Palais Royal estiment qu’en l’espèce aucun élément ne permettait d’établir qu’une atteinte a été portée au droit d’usage du château appartenant à tous, par la réalisation des prises de vues litigieuses.

2. Dans la seconde partie de sa décision, le Conseil d’Etat quitte le champ de la domanialité publique pour voir dans quelle mesure peuvent être accueillies les prétentions indemnitaires formulées, à titre subsidiaires, par le domaine national de Chambord.

L’Assemblée du contentieux rappelle, à cet égard, dans un premier temps, que « l’autorité administrative ne saurait, en l’absence de disposition législative le prévoyant, soumettre à un régime d’autorisation préalable l’utilisation à des fins commerciales de prises de vues d’un immeuble appartenant au domaine public, un tel régime étant constitutif d’une restriction à la liberté d’entreprendre et à l’exercice du droit de propriété ».

La Haute juridiction revient ensuite sur la création de l’article L. 621-42 du Code du patrimoine par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine , « dans le but de protéger l’image des domaines nationaux et de permettre leur valorisation économique ». Cet article prévoit ainsi « la possibilité pour les gestionnaires des domaines nationaux de soumettre à autorisation préalable l’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent ces domaines, lesquels peuvent relever d’un régime de domanialité publique, et précisé que cette autorisation peut prendre la forme d’un acte unilatéral ou d’un contrat, assorti ou non de conditions financières, la redevance éventuellement mise à la charge du titulaire de l’autorisation tenant compte des avantages de toute nature que celle-ci lui procure ». Rappelons que ces dispositions ont reçu un brevet de constitutionnalité à l’occasion d’une QPC récente (Cons. const., 2 février 2018, 2017-687 QPC, Association Wikimédia France et autre).

Le Conseil d’Etat estime alors, sur le fondement de ces dispositions, que « l’utilisation à des fins commerciales des prises de vues d’un immeuble entrant dans leur champ, sans qu’ait été au préalable obtenue l’autorisation qu’elles prévoient, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’utilisateur à l’égard du propriétaire ou du gestionnaire de l’immeuble, le préjudice subi par celui-ci consistant notamment en l’absence de perception de la redevance dont l’autorisation aurait pu être assortie ». Le Conseil d’Etat admet donc bien la nécessité de la réparation d’un préjudice, lequel résiderait essentiellement dans l’absence de perception de redevance. Et il ajoute que, dans ces conditions, la victime du dommage peut demander la réparation de son préjudice devant le juge administratif, « alors même qu’elle aurait le pouvoir d’émettre un état exécutoire en vue d’obtenir le paiement de la somme qu’elle réclame ».

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