Conseil d’Etat, 5/6, 12 février 2020, Centre Hospitalier de Saint Denis, n° 418299, mentionné dans les tables du recueil Lebon
Chacun le sait, les agents publics sont directement concernés par le principe de neutralité de l’action publique que pose la loi du 9 décembre 1905. Ce qui, de manière récurrente, suscite des contentieux et des évolutions jurisprudentielles délicates à mettre en œuvre. Une très récente décision du Conseil d’Etat en fournit une nouvelle illustration.
Il est fermement établi que les agents conservent une totale liberté de croyance, et est clairement prohibée toute mention de pratique religieuse dans le dossier de l’agent ou encore toute discrimination fondée sur la religion dans l’accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière des agents publics (CE, 3 mai 2000, avis n°217017). Le motif religieux d’un congé ne peut pas plus desservir une demande et l’administration peut autoriser un agent public à s’absenter pour qu’il puisse fréquenter son lieu de culte ou participer à une fête religieuse, sous réserve, classiquement, que les nécessités du fonctionnement normal du service public n’y fassent pas obstacle (CE, 21 septembre 1972, avis n°309354).
Mais cette liberté d’opinion et de religion ne se confond pas avec la liberté d’exprimer sa croyance pendant le service. L’exigence de neutralité du service public justifie que de fortes restrictions soient apportées à la liberté d’expression religieuse des agents chargés d’un service public, qu’ils soient des agents publics ou privés. Ainsi, le Conseil d’Etat juge-t-il que «le principe de laïcité fait obstacle à ce que [les agents publics] disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses». Par conséquent, ils ne peuvent ni exprimer ni manifester leur foi, tout manquement étant susceptible de donner lieu à sanction « notamment sur le plan disciplinaire » (Conseil d’Etat, 3 mai 2000, avis n°217017).
De manière classique, le port de vêtements ou de signes religieux est interdit dans le cadre du service, y compris lorsque son caractère ostentatoire n’est révélé que par le comportement de l’agent. La gravité de la sanction dépend alors de la nature et du degré de la manifestation des convictions religieuses, du niveau hiérarchique de l’agent, des fonctions qui lui étaient confiées, ainsi que des avertissements qui lui auraient déjà été adressés par son supérieur hiérarchique (CAA de Versailles, 6 octobre 2011, req. n°09VE02048).
Une difficulté pratique essentielle réside dans la détermination de ce qui est un symbole religieux. Pour schématiser, tout ou presque est potentiellement symbole ; mais bien peu d’objet sont inévitablement symboles : un fichu, une jupe longue, un bijou, une barbe, un bandana, peuvent, selon ce que l’individu qui les porte revendique, relever du choix fonctionnel, de la mode, ou de la manifestation religieuse… Une récente affaire le rappelle, le Conseil d’Etat ayant jugé qu’un employeur hospitalier ne pouvait, sans autre indice, qualifier de manifestation de conviction religieuse le port d’une barbe, quelle que soit l’ampleur de cette dernière, le refus de l’intéressé de la tailler, et la conscience assumée que son port pouvait être perçu comme un signe d’appartenance religieuse (C.E., 12 février 2020, Centre Hospitalier de Saint Denis, n° 418299, mentionné dans les tables du recueil Lebon). La décision est d’autant plus marquante que la Cour administrative d’appel de Versailles avait, quant à elle, rejeté le recours contre la décision de résiliation de convention de stage du directeur du Centre Hospitalier. La solution des juges du fond avait été critiquée, en son temps, en relevant que la portée du symbole ne pouvait relever du seul regard de l’observateur : est-on nécessairement musulman pratiquant du seul fait qu’on porte une barbe opulente et qu’on refuse de la tailler ? Le Conseil d’Etat vient de trancher : il faudra, pour aboutir à une telle conclusion, d’autres indices. Mais lesquels ?
On relèvera au passage avec un certain étonnement que la décision rendue par le Conseil d’Etat casse l’arrêt rendu par la Cour d’appel, mais ne renvoie à aucun juge et ne règle pas l’affaire au fond. Ce qui laisse un peu perplexe, sans chercher à couper les cheveux en quatre…
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000041569373&fastReqId=415633092&fastPos=1