Le droit de préemption dit commercial permet à une Commune (qu’elle soit dotée, ou non, d’un document d’urbanisme local) d’acquérir des fonds artisanaux, des fonds de commerce, des baux commerciaux, voire même des terrains portant ou destinés à porter des commerces d’une surface de vente comprise entre 300 et 1 000 mètres carrés, situés à l’intérieur d’un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité, préalablement institué par voie de délibération (cf art. L. 214-1 du Code de l’urbanisme).
Évidemment, la Commune n’a pas vocation à demeurer propriétaire du bien acquis par voie de préemption ; elle doit, dans un délai de deux ans (3 ans en cas de mise en location gérance du fonds de commerce ou du fonds artisanal) rétrocéder le fonds artisanal, le fonds de commerce, le bail commercial ou le terrain à une entreprise immatriculée au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, en vue d’une exploitation destinée à préserver la diversité et à promouvoir le développement de l’activité commerciale et artisanale dans le périmètre concerné.
La question s’est posée de savoir si l’outil institué par la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des PME permettait d’évincer l’acquéreur pressenti d’un fonds (artisanal, ou de commerce) ou d’un bail commercial, sans même disposer, à court terme, d’un projet ?
Majoritairement, la doctrine se prononçait pour l’existence d’un « droit de préemption – éviction » (voir en ce sens : I. SAVARIT-BOURGEOIS, Le cadre juridique du droit de préemption commercial, JCP Adm. et coll. Terr., n° 49, 30 nov. 2009, 2294, § 2) ; dans ce cadre, « la commune apparaît comme un intermédiaire venant empêcher une acquisition pour en faciliter une autre » (C. DEBOUY, Commune et commerce : un intérêt renouvelé, JCP Ed. Adm et collectivités territoriales, n° 48, 23 novembre 2009). Autrement posé, le titulaire du droit de préemption n’a intérêt à préempter que si la cession poursuivie menace la diversité du commerce dans le périmètre considéré (J. P. BLATTER, Le décret d’application du droit de préemption des communes sur les fonds et les baux, AJDI 2008, p. 88).
Une décision du Conseil d’Etat (non publiée au demeurant) semblait toutefois exiger, comme en matière de droit de préemption urbain, la démonstration « de la réalité d’un projet en vue duquel le droit de préemption aurait été exercé » (CE, 16 avril 2013, n° 362949).
Ultérieurement, la Cour administrative d’appel de Paris a pu valider une motivation fondée sur le fait que « l’activité du repreneur déséquilibre l’attractivité de l’offre dans cette zone commerciale » (CAA Paris, 26 juin 2015, Société Shaliso, n° 14PA02167) ; l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Bordeaux, le 12 juillet dernier (mais la décision de non admission du pourvoi formé par les requérants a été rendue le 27 février 2017 par le Conseil d’Etat), confirme que le droit de préemption commercial peut être mis en œuvre pour évincer un repreneur non désiré dans le périmètre de sauvegarde :
« En deuxième lieu, si M. C…et autres soutiennent que les décisions litigieuses sont entachées d’une erreur de droit en ce qu’elles ont pour unique but de s’opposer à l’installation de la banque CIC dans l’immeuble, il ressort des pièces du dossier que l’exercice par la commune de son droit de préemption est motivé par la volonté de faire obstacle à l’implantation d’une agence bancaire sur le boulevard Gambetta, afin de permettre l’accueil dans cette partie du périmètre défini par la commune, d’un commerce de proximité qui ne soit pas affecté à une activité de service. Un tel motif répond aux objectifs de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises ayant instauré un droit de préemption des communes sur les fonds artisanaux, les fonds de commerce et les baux commerciaux, lesquels tendent à la sauvegarde des activités artisanales et commerciales de proximité. Par ailleurs, si M. C… et autres font valoir que la reprise des baux par la banque CIC Sud-Ouest n’a pas pour effet de déséquilibrer l’offre commerciale dans ce secteur du centre ville, puisqu’il s’agit d’un simple transfert d’agence et non de la création d’une nouvelle agence venant s’ajouter à celles existantes, il est constant que l’opération projetée est bien de nature à compromettre la diversité commerciale recherchée au sein du périmètre communal de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité, dès lors que le déménagement de la banque ne permet pas de pallier la suppression des commerces de coiffure et de vente d’articles de sport résultant de la cession litigieuse » (CAA Bordeaux, 12 juillet 20016, Commune de Cahors, n° 14BX03382 ; pour la décision de non admission du pourvoi formé à l’encontre de cet arrêt : CE, 27 février 2017, n° 403511).
Encore relèvera-t-on que la Cour administrative d’appel de Bordeaux a considéré que « la délibération instituant le droit de préemption des communes sur les fonds artisanaux, les fonds de commerce et les baux commerciaux et les terrains faisant l’objet de projets d’aménagement commercial, qui a pour seul effet de rendre applicable dans des zones particulières une réglementation préexistante, est dépourvue de caractère réglementaire et ne forme pas avec les décisions individuelles de préemption prises dans ces zones une opération administrative unique comportant un lien tel que les illégalités qui l’affecteraient pourraient, alors même que la délibération a acquis un caractère définitif, être régulièrement invoquées par la voie de l’exception« . En quoi la Cour a-t-elle fidèlement appliqué la solution dégagée par le Conseil d’Etat dans la décision Chauveau rendue en matière de ZAD ((CE, 26 octobre 2012, Mme Chauveau, n° 346947) et n’a donc pas fait sienne la position – dissidente – de la Cour administrative d’appel de Marseille (CAA Marseille, 29 juin 2015, Soummer, n° 14MA01447).
Philippe PEYNET – avocat associé
Etienne MASCRE – avocat collaborateur