CE, 16 décembre 2016, n° 403738
Saisi dans le cadre de la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil d’État s’est prononcé sur la question de la conciliation entre pouvoir de police spéciale en matière de funérailles et pouvoir de police générale ensuite du refus de la commune de Mantes-la-Jolie (Yvelines) d’inhumer le jihadiste Larossi Abballa, auteur en juin 2016 de l’assassinat d’un policier et de sa compagne, à leur domicile de Magnanville.
Le litige avait d’abord été porté par la famille du jihadiste devant le Tribunal administratif de Versailles après que le maire de Mantes-la-Jolie, commune dans laquelle Larossi Abballa résidait, a refusé d’inhumer l’intéressé sur le territoire communal.
Dans le cadre de cette instance, la Collectivité avait soulevé, en défense, une question prioritaire de constitutionnalité invoquant notamment que l’obligation faite aux maires d’inhumer leurs administrés issue des dispositions des articles L. 2213-9 et L. 2223-3 du Code général des collectivités territoriales restreignait de manière importante le pouvoir de police du maire et portait une atteinte disproportionnée au principe de libre administration des collectivités territoriales garanti par l’article 72 de la Constitution.
On rappellera en effet que les dispositions de l’article L. 2213-9 du Code général des collectivités territoriales qui confient au maire la police des funérailles, lui interdisent d’établir des distinctions ou des prescriptions particulières en fonction, notamment, des circonstances de la mort.
Et l’article L. 2223-3 du même Code fixe les catégories de personnes auxquelles la sépulture est due dans les cimetières de la commune, et notamment « aux personnes domiciliées sur son territoire, alors même qu’elles seraient décédées dans une autre commune ».
Estimant que cette question remplissait les conditions prévues à l’article L. 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, le tribunal administratif de Versailles avait, par un jugement du 22 septembre 2016, décidé de la transmettre au Conseil d’État.
Saisi de cette question le Conseil d’Etat a alors estimé que :
« les pouvoirs de police générale et spéciale que le maire tient des dispositions des articles L. 2212-1, L. 2212-2, L. 2213-8 et L. 2213-9 du code général des collectivités territoriales lui permettent de prendre les mesures nécessaires pour prévenir les troubles à l’ordre public que pourrait susciter l’inhumation dans un cimetière de la commune d’une personne qui a commis des actes d’une particulière gravité ayant affecté cette collectivité ; que la circonstance que ces actes sont à l’origine du décès de l’intéressé est sans incidence sur la possibilité de prendre de telles mesures ; qu’il appartient au maire, lorsqu’il constate un risque de troubles, de fixer des modalités d’inhumation de nature à préserver l’ordre public ; qu’en présence d’un risque de troubles tel que, dans les circonstances de l’espèce, aucune autre mesure ne serait de nature à le prévenir, le maire peut légalement refuser l’autorisation d’inhumation, sans qu’y fassent obstacle les dispositions de l’article L. 2223-3 du code, qui doivent être conciliées avec celles qui confient au maire des pouvoirs de police ; qu’ainsi, contrairement à ce que soutient la commune de Mantes-la-Jolie, le maire n’est pas contraint, quelles que puissent être les circonstances, d’autoriser une inhumation dans un cimetière communal ».
En somme, le Conseil d’Etat considère que le Maire est, au titre de ses pouvoirs de police générale et spéciale, tenu de prendre les mesures qui s’imposent pour préserver un risque de troubles à l’ordre public qui pourrait naître à l’occasion de l’inhumation d’un défunt ayant commis des actes d’une particulière gravité.
La Haute juridiction précise que cette mesure peut, si aucune autre décision n’est de nature à prévenir l’atteinte à l’ordre public, le conduire à refuser l’autorisation d’inhumation, sans que les dispositions fixant les catégories de personnes auxquelles la sépulture est due dans les cimetières de la Commune ne puissent y faire obstacle.
C’est dans ces conditions que, considérant que la question prioritaire de constitutionnalité, qui n’était pas nouvelle, ne présentait pas un caractère sérieux, le Conseil d’Etat a décidé n’y avoir lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
Larossi Abballa aura finalement été inhumé au Maroc.
Cette décision fait écho à une affaire plus ancienne dans laquelle le Conseil d’Etat avait jugé qu’en raison de l’importance des troubles à l’ordre public que risquait de créer l’inhumation de Gilbert Bourdin, mis en examen pour viols et fondateur de l’Association Cultuelle du Vajra Triomphant classée comme secte, à l’intérieur de sa propriété privée, le refus d’autorisation opposé par le Préfet compétent en la matière en application de l’article R. 2213-32 du CGCT était bien fondé (CE, 12 mai 2004, Association du Vajra Triomphant, n°253341).
En tout état, dans de telles hypothèses, la décision de l’autorité administrative sera soumise au contrôle du juge administratif qui, saisi d’un recours, s’assurera de la réalité du risque de trouble invoqué et de l’impossibilité de le prévenir par d’autres moyens.
Léa LAFFOURCADE – Avocat collaborateur