Prévenir les conflits d’intérêts en matière d’urbanisme

Nos publications 12 avril 2018

Article publié dans l’hebdomadaire La Gazette des communes du lundi 9 avril 2018.

Conflit d’intérêts : Situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice d’une fonction publique.

Conseiller intéressé : Situation d’un élu local intéressé au vote d’une délibération, qui peut entraîner la nullité de cette dernière si l’élu en question a été en mesure d’exercer une influence sur cette décision.

Prise illégale d’intérêts : Délit sanctionnant une situation de conflit d’intérêts imputable à une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public.

1 – Mesurer la différence entre l’analyse du juge administratif et celle du juge pénal

La présence d’un « conflit d’intérêts » durant le processus d’adoption d’une décision administrative est susceptible d’être appréhendée à deux titres :

1./ devant le juge administratif, annulation de la délibération adoptée en présence d’un ou plusieurs  « conseillers intéressés à l’affaire »

2./ devant le juge pénal, poursuites du chef de prise illégale d’intérêts à l’encontre de l’élu ou de l’agent concerné.

Ces compétences parallèles des juges pourraient s’exercer de manière cohérente. Il n’en est rien. Les démarches des deux juges s’inscrivent en effet dans des logiques assez profondément différentes. Avant d’annuler une délibération, le juge administratif s’attache en effet à examiner d’abord si l’intérêt en cause se confond avec l’intérêt général et ensuite à rechercher quel a été l’impact concret du conflit d’intérêts sur la décision adoptée. En d’autres termes, le juge administratif recherche «  si le conseiller municipal intéressé a été en mesure d’exercer une influence sur la délibération ». Le juge pénal quant à lui est indifférent à l’influence effective de l’élu sur la décision adoptée et au fait que l’intérêt en cause ne soit pas contraire à l’intérêt général. Seul compte le fait que le cumul d’intérêts en présence soit susceptible de faire naître dans l’esprit d’un observateur extérieur « un doute sur l’impartialité et l’objectivité »de la décision. L’approche pénale, on l’aura compris, est infiniment plus menaçante : l’apparence, seule, suffit pour justifier la sanction. Et c’est donc cette approche pénale, synthétisée par le législateur à l’article 2 de la loi du 11 octobre 2013 comme « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction » qui doit être adoptée comme référentiel, sauf à exposer les élus et les agents à un risque de poursuite du chef de prise illégale d’intérêts.

2 – Connaître l’étendue des intérêts en cause

La connaissance du spectre des intérêts susceptibles de constituer le délit de prise illégale d’intérêts est primordiale. « L’intérêt quelconque » mentionné par l’article 432-12 du Code pénal offre en effet au juge pénal un large pouvoir d’interprétation. L’intérêt en cause peut d’abord être privé. A ce titre, l’intérêt financier, ou plus largement matériel, est le plus facile à appréhender. Il faut toutefois être prudent car un intérêt politique, moral ou indirect peut suffire, le délit de prise illégale d’intérêts pouvant notamment être caractérisé lorsque la décision en cause intéresse un proche de l’élu ou de l’agent public.

Or, l’entourage est alors apprécié très largement : jusqu’au cousin du conjointvoire aux amis proches. On le sait moins, mais le spectre d’analyse du juge pénal s’étend en outre aux intérêts d’une autre personne publique ou d’une personne privée chargée d’une mission de service public. Ainsi pourrait-il par exemple en aller d’un Maire ou d’un Président d’établissement public intercommunal (EPCI), par ailleurs président d’un Office public de l’Habitat, délivrant à cet organisme une autorisation de construire.


A noter : Une prévention efficace des conflits d’intérêts exige de se référer à la qualification du juge pénal, nettement plus menaçante que celle retenue par le juge administratif.


3 – Déterminer le niveau d’intérêt suffisant

S’agissant des décision individuelles (autorisation de construire, mise en œuvre du droit de préemption, autorisation de lotir …), le diagnostic est plutôt aisé : le fait de participer à l’élaboration de la décision alors qu’un autre intérêt personnel se trouve concerné par la décision est nécessairement risqué. La solution est en revanche plus nuancée s’agissant de la participation à l’élaboration des décisions réglementaires comme le PLU, principale source de difficultés en matière d’urbanisme. L’exigence par le Code électoral d’un lien personnel entre l’élu et la collectivité territoriale conduit en effet à ce que de nombreux élus soient concernés par le vote d’une délibération révisant ou adoptant le PLU, susceptible de modifier les règles applicables aux parcelles dont ils sont propriétaires ou locataires.

Cela est d’autant plus vrai que la révision du plan local d’urbanisme ne confère en réalité aucun droit acquis aux propriétaires, de sorte que le maintien d’un terrain dans une zone constructible constitue déjà une forme d’avantage. L’examen de la jurisprudence permet toutefois de constater avec soulagement que le juge pénal n’est pour l’instant entré en répression qu’en présence d’élu ayant participé à des processus ayant pour conséquence d’ouvrir à l’urbanisation ou d’accroitre les possibilités de construction de leurs terrains. En pratique, le conseil peut être simplement formulé : si un observateur, même malintentionné, peut grincer des dents en considérant que le PLU « arrange bien » vos intérêts, il faut fuir  l’intégralité du processus conduisant à la délibération. Et le faire savoir.

4 – Avoir conscience du cercle des auteurs potentiels

La problématique des conflits d’intérêts concerne naturellement les élus, au premier rang desquels le Maire. Il ne faut pour autant pas négliger le cas des agents publics qui peuvent participer, de près ou de loin, à l’élaboration des décisions en matière d’urbanisme et peuvent eux aussi être poursuivis du chef de prise illégale d’intérêts. On peut par exemple penser à un agent instructeur examinant une demande de permis de construire concernant sa propriété ou celle de son entourage. La loi dite « Déontologie » est venue formaliser l’obligation d’impartialité pesant sur les agents publics en les obligeant « à faire cesser immédiatement ou à prévenir les situations de conflit d’intérêts dans lesquelles [ils se trouvent ]ou [pourraient]se trouver ».

Concrètement, en présence d’un conflit d’intérêts, l’article 25 bis de la loi du 13 juillet 1983 impose plusieurs réactions aux agents publics : saisine du supérieur hiérarchique qui doit confier le traitement du dossier ou l’élaboration de la décision à un autre agent ; abstention d’user d’une délégation de signature ; suppléance dans l’exercice de compétence en propres par une personne à qui aucune instruction ne doit être adressée … Il faut enfin envisager le cas des prestataires extérieurs concourant à l’élaboration des documents d’urbanisme, comme les bureaux d’études, qui pourraient également être visés par l’article 432-12 du Code pénal.

5 – S’abstenir de toute participation à la préparation comme au vote des délibérations relatives aux documents d’urbanisme

S’agissant de la révision ou de l’adoption d’un PLU, un élu ne peut se contenter de s’abstenir de participer à la délibération d’approbation. Il doit s’écarter du vote de l’ensemble des étapes préalables : délibération arrêtant le projet par exemple, mais aussi commissions municipales, ou tout groupe de travail, même informel. Un élu se trouvant dans une situation de conflit d’intérêts lors du vote d’une délibération doit par ailleurs s’écarter totalement du processus de vote. En plus de s’abstenir de voter, l’élu doit en effet sortir de la salle. Les apparences doivent être soignées en veillant à bien faire inscrire dans le procès-verbal de la séance le respect par l’élu concerné de ces précautions.

Attention : les apparences sont essentielles, mais ne doivent pas être trompeuses… Le fait pour un élu de ne s’écarter du processus que pour la forme et d’agir officieusement pour obtenir de ses pairs une mesure l’avantageant pourra également être sanctionné. Ces derniers pourront d’ailleurs être punis en qualité de complice. Lorsque c’est le maire qui se trouve en situation de conflit d’intérêts, la séance doit être présidée par le premier adjoint pendant l’adoption de la délibération litigieuse. Si ce dernier est également concerné, la présidence de la séance doit alors être confiée aux adjoints pris dans l’ordre du tableau.

6 – Se déporter de l’examen des décisions individuelles

Lorsque le Maire ou le Président d’un EPCI est « intéresséau projet faisant l’objet de la demande de permis ou de la déclaration préalable, soit en son nom personnel, soit comme mandataire », l’article L422-7 du Code de l’urbanisme prévoit un mécanisme spécifique : l’organe délibérant désigne un de ses membres pour statuer sur la décision en lieu et place du Maire ou du Président. Cette disposition n’a toutefois vocation à s’appliquer que dans l’hypothèse où la commune en question est dotée d’un PLU ou d’un POS.

Dans les autres hypothèses de conflits d’intérêts, l’article 6 du décret n°2014-90 du 31 janvier 2014 prévoit désormais que le maire doit prendre un arrêté « mentionnant la teneur des questions pour lesquelles  [il estime]ne pas devoir exercer [ses]compétences et désignant, dans les conditions prévues par la loi, la personne chargée de [le]suppléer ».Lorsque c’est l’adjoint délégué aux questions d’urbanisme qui se trouve en situation de conflit d’intérêts, il doit s’abstenir de faire usage de sa délégation et doit en informer le Maire, de préférence par écrit. Ce dernier doit alors prendre un arrêté déterminant « les questions pour lesquelles la personne intéressée doit s’abstenir d’exercer ses compétences ».  À la suite de ce déport, le maire a le choix entre intervenir lui-même ou déléguer à un autre adjoint.

7 – Se méfier des travaux préparatoires

La prise illégale d’intérêts n’est pas seulement qualifiée à l’occasion de la signature d’une décision individuelle ou du vote d’une délibération. Le déport doit être total et s’appliquer ainsi également aux travaux préparatoires comme la participation aux travaux de la commission urbanisme, à l’instruction des demandes de permis de construire ou à l’émission d’avis comme ceux émanant des EPCI par exemple.

 

Yvon GOUTAL – avocat associé

Julia ROTIVEL – avocat collaborateur

 

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