Volontarisme : La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du siècle accorde aux modes alternatifs de règlement des différends une place sensiblement plus importante. Simplification : La loi fusionne, sous le terme de médiation, différents dispositifs qui existaient déjà, tout en étendant les domaines dans lesquels elle peut intervenir. Nouvelles pratiques : Les collectivités territoriales pourront choisir plus aisément la voie de la médiation que par le passé et doivent se préparer à faire face à une demande accrue.
01 – Prendre conscience de l’intérêt de la médiation
Dans un procès classique, aucun des acteurs n’a pour mission de trouver une solution commune et partagée. Chacune des parties défend ses intérêts et il est nettement préférable qu’il en aille de même de leurs avocats respectifs… Et même si elle admet, en interne, que la partie adverse peut être légitime sur certains une partie se gardera bien de le reconnaitre publiquement de peur d’affaiblir sa position. Le juge lui-même n’est pas là pour trouver une solution partagée mais bien pour déterminer la solution commandée par le droit et parfois la procédure (requête mal dirigée par exemple). Le médiateur est au fond le seul acteur qui a pour mission de rechercher un terrain d’entente, une solution partagée à laquelle chacune des parties peut adhérer. L’apport est essentiel : à la fin d’une médiation réussie, chaque partie doit pouvoir considérer que la solution est, au fond, assez « juste ». Pas de perdant amer ni de gagnant triomphant : simplement deux acteurs juridiques qui sont par venus à rééquilibrer leurs relations. Cette absence de ressentiment est essentielle. notamment lorsque les parties ont vocation à continuer de travailler ensemble, au lendemain de la médiation.
A NOTER – La médiation à l’initiative des parties, organisée en dehors de toute procédure juridictionnelle, offre le plus d’opportunités aux collectivités, qui devraient accepter d’en maitriser les règles et d’en expérimenter la pratique pour en faire un outil efficace et sécurisé.
02 – Bien appréhender la «nouvelle » médiation
La loi du 18 novembre 2016 de modernisa-tion de la justice du XXIe siècle (loi « J21») vise à développer les modes alternatifs de règlcmcnt des litiges (art. 5). La démarche devrait contribuer au désengorgement des juridictions et à l’accélération du règlement des contentieux. Cette loi volontariste, y compris dans la sphère publique, rompt avec une longue tradition d’indifférence, voire de défiance, qui s’est traduite par un développement quantitativement très limité, et qualitativement très désordonné. La volonté initiale du législateur était, d’une part, de ne pas remettre en cause la transaction administrative, rare dispositif utilisé par les collectivités publiques, notamment territoriales, et d’autre part, de maintenir la dichotomie figurant au code de justice administrative (CJA) entre conciliation et médiation, tout en en étendant le champ d’application et en les articulant davantage. Au final, l’article 5 de la « loi J21» abroge ICS articles L.211-4 et L.771-3 et suivants du CJA et définit désormais la seule médiation comme le «processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par la juridiction». Autrement posé, tout dispositif visant à la résolution amiable d’un différend, avec l’intervention d’une tierce personne, relève de la médiation (art L.213-1 et suivants du CJA). Le procédé est ouvert devant toutes les juridictions administratives avec la même particularité : il repose toujours sur l’accord des parties qui ne peuvent se voir imposer une médiation. Le CJA organise par ailleurs un cadre dans lequel s’exerce la mission du média-en fixant. une déontologie protectrice des intérêts des parties fondée sur le respect de quelques principes. L’impartialité, la compétence et la diligence constituent un premier bloc. L’exigence parait aller d’elle-même, mais selon l’adage, cela ira bien mieux en le disant… La confidentialité constitue un auLre pilier du régime de la médiation (art. L. 213-2, du C.IA), plus ori-ginal, notamment par rapport à la mission juridictionnelle, qui ne s’exerce bien qu’en pleine lumière, par des audiences publiques. La médiation procède d’une logique différente que l’audience, et la confidentialité en est le pivot: comment espérer aboutir à un accord si une partie peut craindre que ses offres de concessions lui soient ultérieurement opposées devant le juge en cas d’échec ? Il faut que chacune des parties se sente libre d’explorer des pistes de solution, le cas échéant impliquant des concessions de sa part, sans aucun risque d’en subir les conséquences. Par ailleurs, afin de donner pleine force exécutoire à l’accord issu de la médiation, et répondre à l’une des critiques qui étaient opposées aux dispositifs antérieurs, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, peul l’homologuer (art. L.211-4 du CJA). On voit alors se dessiner un ensemble cohérent: les parties disposent avec la médiation d’un cadre pour rechercher un accord, peu suspect de « magouille» car placé sous l’égide du juge, et disposent in fine de la faculté d’utiliser la transaction, outil doté de l’autorité de la chose jugée, éventuellement parée de l’onction du juge lui-même.
La médiation est désormais théorique-ment envisageable dans toutes les branches du droit des collectivités publiques, même si, en pratique, certains domaines seront plus adaptés que d’autres. Ainsi, comme le fait ressortir très justement l’étude d’impact, il apparaît que si les litiges portant sur des dommages de travaux publics: sur le droit des prestations sociales ou des contrats publies sont des terrains propices au développement de la médiation administrative, d’autres semblent rétifs à de telles pratiques, tels les mesures de police administrative ou le contentieux électoral. On avouera un peu de perplexité, voire de réserve, s’agissant des autorisations individuelles d’urbanisme, citées en exemple de secteur propice à la médiation par l’étude d’impact, alors que la matière, très marquée par l’activité de police administrative, semble assez étrangère à la négociation. La matière n’est au demeurant pas au nombre de celles visées par l’expérimentation organisée l’article 5-1V de la loi «J21» qui devrait faire l’objet d’une médiation préalable obligatoire. Sont Visés les recours contentieux formés par certains agents publics à l’encontre d’actes relatifs à leur situation personnelle et les requêtes relatives aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi.
03 – Accueillir la médiation d’initiative juridictionnelle
La médiation peut d’abord être ordonnée à l’initiative du juge, sous réserve de l’accord des parties (art. L.213-7 du CJA). Il revient alors au président de tout régler : l’identité de la personne chargée de la médiation, sa rémunération le cas échéant, le montant de la provision à consigner, et la répartition de la charge entre les parties, à défaut d’accord entre elles. A défaut de consignation de la provision, la désignation du médiateur devient caduque, et l’instance reprend sous une forme «classique». Pour éviter de créer du contentieux alors que le dispositif vise précisément, à l’éviter, les décisions prises par le juge pour ordonner la médiation et celles relatives à Ia rémunération du médiateur sont insusceptibles de recours (art. L.213-10 du C.JA).
04 – Favoriser la médiation avant la procédure juridictionnelle
Autrement appelée «médiation à l’initiative des parties», cette deuxième modalité permet aux collectivités territoriales, en dehors de toute procédure juridictionnelle, d’organiser une mission de médiation, le cas échéant en s’appuyant partiellement sur le juge. En premier lieu, les parties peuvent organiser elles-mêmes la médiation, et désigner la ou les personnes qui en seront chargées. Une grande latitude est ici laissée aux collectivités, dans le respect des principes encadrant la médiation (voir le point 2). En second lieu, les parties peuvent organiser elles-mêmes la médiation, mais demander au président du tribunal administratif ou de la cour administrative d’appel compétent (ou au magistral délégué par le président) de désigner le ou les médiateurs. En troisième lieu, les parties peuvent demander au juge, tout à la fois, d’organiser la médiation et d’en désigner les acteurs. Dans cette dernière situation, et si le juge choisit de confier la médiation à une personne extérieure à la juridiction, il détermine s’il y a lieu la rémunération et en fixe le montant. En revanche, si la médiation constitue un préalable obligatoire au recours contentieux, par l’effet d’un texte spécial, elle sera par principe gratuite pour les parties (art. du CJA). Par ailleurs, afin de préserver les droits de chacun et de favoriser indirectement le recours à la médiation, les délais de recours contentieux sont interrompus et les prescriptions suspendues à compter du jour où les parties auront convenu de recourir à la médiation ou, défaut d’écrit, compter du jour de la première réunion de médiation, ces délais et prescriptions ne recommenceront à courir qu’à compter de la date à laquelle soit l’une des parties ou les deux, soit le médiateur déclareront que la médiation est terminée. En toute hypothèse, les délais de prescription recommenceront à courir pour une durée qui ne pourra être inférieure à six mois.
05 – Connaitre le périmètre d’application de la médiation
Les dispositions relatives à la médiation sont d’ores et déjà applicables. La loi par ailleurs prévu une application immédiate de ces règles aux (rares) situations en cours (art.5-V1). Par ailleurs, ce même régime est applicable aux juridictions administratives spécialisées, relevant du Conseil d’Etat, mais qui sont régies par d’autres dispositions que celles du CJA. On pense par exemple aux comités consultatifs de règlement amiable des litiges relatifs aux marchés publics (CCRA) ou aux commissions de médiation pour le droit au logement oppo-sable. C’est à la lumière de cette disposition qu’il faut analyser les conclusions du rap-porteur publie, présentées devant le Conseil d’Etat le 6 mars dernier, et tendant à l’annulation de l’alinéa 4 de l’article 142 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics. Cet alinéa prévoit que seule la saisine du médiateur des entreprises ou d’un CCRA conduit à interrompre les différentes prescriptions et délais de recours contentieux. Or, cela semble restreindre le champ d’application de l’article L 213-6 du CJA qui, on l’a vu, produit ces effets dès lors qu’une médiation est engagée, de manière générale, et non pour les seules saisines du médiateur des entreprises ou du CCRA. Si telle devait être la décision du Conseil d’Etat, ce serait un témoignage supplémentaire de la nécessité de désormais prendre la médiation «au sérieux».
Yvon GOUTAL – Avocat associé
Samuel DYENS – Avocat associé
Article paru dans « La Gazette des communes » du 27 mars 2017.