La formule du Professeur CHAPUS est bien connue : « l’équation « illégalité égale faute » ne signifie pas que la faute que constitue l’illégalité est invariablement de nature à engager la responsabilité » (R. CHAPUS, Droit administratif général, Tome 1, Ed. Montchrestien, 15ème éd., p. 1295, § 1454).
Un vice de procédure ou de forme sanctionné par le Juge administratif peut donc ne pas être source de responsabilité. C’est, par exemple, le cas quand la décision est, au fond, justifiée (CE, Sect., 19 juin 1981, Carliez, rec. p. 274).
Dans cette veine jurisprudentielle, la Haute assemblée a posé en principe, en 2015, que :
« Lorsqu’une personne sollicite le versement d’une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l’illégalité, pour un vice de procédure, de la décision lui infligeant une sanction, il appartient au juge de plein contentieux, saisi de moyens en ce sens, de déterminer, en premier lieu, la nature de cette irrégularité procédurale puis, en second lieu, de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties, si, compte tenu de la nature et de la gravité de cette irrégularité procédurale, la même décision aurait pu être légalement prise, s’agissant tant du principe même de la sanction que de son quantum, dans le cadre d’une procédure régulière » (CE, 18 novembre 2015, M. A.B.,n° 380461).
Dans une décision du 24 juin dernier, publiée au recueil Lebon, le Conseil d’Etat a décliné cette solution, et la méthode à suivre pour déterminer si l’illégalité a causé un préjudice, à l’hypothèse d’une décision administrative entachée d’incompétence (CE, 24 juin 2019, EARL Valette, n° 407059) :
» Lorsqu’une personne sollicite le versement d’une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l’illégalité d’une décision administrative entachée d’incompétence, il appartient au juge administratif de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties, si la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les circonstances de l’espèce, par l’autorité compétente. Dans le cas où il juge qu’une même décision aurait été prise par l’autorité compétente, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme la conséquence directe du vice d’incompétence qui entachait la décision administrative illégale« .
En l’espèce, une société demandait la réparation des préjudices subis du fait d’arrachages d’arbres contaminés par une maladie, illégalement ordonnés par des arrêtés préfectoraux alors que seul le ministre chargé de l’agriculture était compétent.
Dans un premier temps, le Conseil d’Etat a estimé que la Cour administrative d’appel de Lyon n’avait pas commis d’erreur de droit en écartant l’existence d’un lien de causalité direct et certain entre le préjudice subi par la requérante et le vice d’incompétence entachant les arrêtés préfectoraux.
Dans un second temps, le Conseil d’Etat a relevé qu’il ressortait des pièces du dossier soumis aux juges du fond que s’il était préconisé par la plupart des études scientifiques disponibles à l’époque des arrêtés litigieux de procéder à l’arrachage des parcelles dont les arbres étaient affectés par la maladie lorsqu’était atteint un seuil de contamination de 10 %, il n’en allait pas certainement de même pour un seuil de contamination de seulement 5 %, en l’absence de consensus en ce sens et compte tenu des marges d’incertitude dont témoignaient les études alors disponibles. A cet égard, l’arrêté du ministre de l’agriculture et de la pêche du 27 novembre 2008 relatif à la lutte contre ce virus avait retenu un seuil de contamination de 10 %, sans prévoir de possibilités d’abaissement de ce seuil pour la période litigieuse.
Une distinction s’imposait donc.
En jugeant qu’il n’existait pas de lien direct de causalité entre l’incompétence entachant les arrêtés préfectoraux et les préjudices subis par la requérante du fait des arrachages d’arbres ordonnés par les arrêtés préfectoraux retenant un seuil de contamination de 10 %, la cour administrative d’appel n’a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
En revanche, la Haute assemblée a estimé que la société requérante était fondée à soutenir que la cour a inexactement qualifié les faits de l’espèce s’agissant des arrêtés préfectoraux retenant un seuil de contamination de 5 %, dès lors qu’il ne résultait pas de l’instruction que le ministre aurait, aux dates considérées, pris des mesures identiques à celles résultant des décisions incompétemment prises par le préfet.
L’arrêt est donc annulé « en tant que » et l’affaire renvoyée, dans cette mesure devant la Cour.