Une requête formée au-delà du délai raisonnable peut être rejetée par voie d’ordonnance (sur le fondement de l’article R. 222-1-4° du CJA)

Jurisprudence 13 février 2020

La décision n°429343 rendue par le Conseil d’Etat le 10 février dernier, qui sera mentionnée aux Tables du recueil Lebon, alimentera, à n’en pas douter, la discussion – déjà nourrie en doctrine – sur les conséquences de la déclinaison de la jurisprudence Czabaj, fondée sur le principe de sécurité juridique.

L’on sait qu’aux termes de l’article R. 222-1 du Code de justice administrative :  » Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris et les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours peuvent, par ordonnance : / (…) 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n’est pas tenue d’inviter leur auteur à les régulariser ou qu’elles n’ont pas été régularisées à l’expiration du délai imparti par une demande en ce sens (…) « .

Sur ce fondement, une requête tardivement introduite, au-delà du délai de deux mois prévu par l’article R. 421-1 du Code de justice administrative, devant le Tribunal peut être rejetée par voie d’ordonnance (ordonnance dite de tri).

Encore faut-il que le délai de recours contentieux ait commencé à courir : à cet égard, on rappellera que ce délai n’est opposable qu’à la condition d’avoir été mentionné, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision.

Depuis la décision Czabaj, le Conseil d’Etat considère toutefois que « le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance ».

La question se posait donc de savoir s’il était possible de rejeter, par voie d’ordonnance (sur le fondement de l’article R. 222-1 précité du Code de justice administrative), une requête formée au-delà du délai raisonnable d’un an ?

La Présidente de la 5ème chambre du Tribunal administratif de Lille s’était engagée dans cette voie, en relevant que le requérant avait eu connaissance des arrêtés contestés, au plus tard, respectivement les 15 mars et 15 septembre 2011 et que, par suite, alors même que les voies et délais de recours ne lui auraient pas été notifiés, il n’avait pas exercé son recours juridictionnel dans un délai raisonnable en ne saisissant le tribunal que le 18 juin 2014.

La Cour administrative d’appel de Douai a rejeté l’appel formé à l’encontre de cette ordonnance.

A juste titre a considéré le Conseil d’Etat. Selon la Haute assemblée,

« Lorsque, dans l’hypothèse où l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours n’a pas été respectée, ou en l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, le requérant entend contester devant le juge une décision administrative individuelle dont il a eu connaissance depuis plus d’un an, il lui appartient de faire valoir, le cas échéant, que, dans les circonstances de l’espèce, le délai raisonnable dont il disposait pour la contester devait être regardé comme supérieur à un an. En l’absence de tels éléments, et lorsqu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges que le requérant a eu connaissance de la décision depuis plus d’un an, la requête peut être rejetée par ordonnance comme manifestement irrecevable, sur le fondement de l’article R. 222-1 du code de justice administrative, sans que le requérant soit invité à justifier de sa recevabilité ».

Encore le Conseil d’Etat précise-t-il que si l’article R. 611-7 du Code de justice administrative impose, à son premier alinéa, d’informer les parties lorsque la décision paraît susceptible d’être fondée sur un moyen relevé d’office (« moper« ), le second alinéa précise que cette obligation n’est pas applicable lorsque le juge rejette une demande par ordonnance sur le fondement de l’article R. 222-1 du même code, sans réserver le cas où cette ordonnance interviendrait alors que l’instruction a été ouverte.

De sorte qu’en l’espèce le tribunal administratif pouvait, alors même que l’instruction avait été ouverte (par la communication de la requête aux parties défenderesses), rejeter par ordonnance la demande du requérant sans informer celui-ci qu’il entendait se fonder sur la circonstance que sa demande n’avait pas été présentée dans un délai raisonnable.

La solution est assurément sévère, notamment pour les requérants non assistés d’un Conseil, qui ignorent bien souvent tout des subtilités de la jurisprudence sur le délai raisonnable. Elles n’auront pas nécessairement le réflexe de faire état de circonstances particulières susceptibles de justifier le délai s’étant écoulé entre la notification (imparfaite, car ne comprenant pas la mention des voies et délais de recours) de la décision attaquée et la saisine du Tribunal administratif…

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