Créée le 24 juillet 1998, la Ligue Nationale de Rugby (LNR) est une association déclarée régie par la loi du 1er juillet 1901 qui gère le secteur professionnel du rugby, par délégation du ministère de la Jeunesse et des Sports et de la Fédération Française de Rugby. A ce titre, elle a nomment pour mission d’organiser, gérer et réglementer les compétitions nationales professionnelles ainsi que d’assurer la défense des intérêts matériels et moraux du rugby professionnel.
Dans ce cadre, la Ligue a, par une délibération en date des 6 et 7 février 2018 de son comité directeur, remanié, à compter de la saison 2018/2019, le dispositif adopté en 2009 régissant la participation des « joueurs issus des filières de formations (« JIFF ») » aux championnats professionnels organisés par la Ligue (TOP 14 et PRO D2), voulu comme un dispositif permettant de protéger l’équipe de France et les jeunes joueurs issus de la formation française.
Si cette délibération supprime l’exigence d’une proportion de 55 % de « JIFF » dans l’effectif professionnel des clubs, elle a en revanche diminué le nombre de joueurs non issus des filières de formation autorisés, par club professionnel, à participer aux championnats de TOP 14 et PRO D2. Elle le fixe à 16 joueurs pour la saison 2018/2019 et prévoit une diminution progressive de ce nombre pour atteindre 13 joueurs pour les saisons 2021/2022 et 2022/2023.
Parallèlement, le comité directeur de la LNR a décidé d’augmenter progressivement la moyenne de joueurs JIFF sur la feuille de match. Ce nombre est de 15 pour la saison 2018/2019 et augmentera progressivement pour atteindre 17 joueurs pour les saisons 2021/2022 et 2022/2023.
Si le respect de cette exigence conditionne pour le club le droit de bénéficier d’incitations financières (fonds JIFF), il permet également aux clubs de ne pas se voir infliger de pénalités sportives.
Afin de rendre d’autant plus efficace le respect du dispositif institué, la Ligue renforce, dans sa délibération des 6 et 7 février 2018, le barème des sanctions à points infligées aux clubs n’ayant pas satisfait, en moyenne sur la saison écoulée, à l’exigence du nombre de JIFF sur les feuilles de match.
Point d’orgue d’un contentieux noué entre Scott Spedding, joueur du Castres Olympique et les instances du rugby français, la décision du Conseil d’Etat rendue le 1er avril 2019 – et promis à la publication au recueil Lebon – met fin, au moins temporairement, à un feuilleton juridico-sportif.
On rappellera que, né en Afrique du Sud en 1986, arrivé en France en 2008 au CA Brive Rugby puis naturalisé français en 2014 avant d’intégrer les « Bleus » la même année, Scott Spedding a souhaité obtenir le statut de « JIFF ». Malgré ses 23 sélections en équipe de France, le joueur ne remplit en effet pas les conditions du dispositif (avoir passé au moins trois saisons dans un centre de formation ou avoir été licencié au moins cinq saisons à la Fédération Française de Rugby à XV avant ses 23 ans).
Son employeur de l’époque, l’ASM Clermont Auvergne, l’informera à l’automne 2017 de son intention de ne pas reconduire son contrat pour la saison 2018-2019 au motif notamment qu’il n’a pas le statut de JIFF.
Scott Spedding tentera alors d’obtenir le bénéfice de ce statut crucial. En vain.
En effet, après que sa demande ait été rejetée par la Ligue et malgré d’ailleurs un avis favorable obtenu devant le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) en mars 2018, le comité directeur de la Fédération Française de Rugby a choisi de ne pas suivre les recommandations du Comité et de ne pas lui accorder le statut de JIFF.
Il introduira alors diverses actions en justice, dont notamment deux recours à l’encontre de la délibération des 6 et 7 février 2018 renforçant le dispositif JIFF.
Estimant que l’absence du bénéfice de ce statut l’empêche de trouver un employeur, voire réduit « à néant » son employabilité, Scott Spedding tentera d’abord d’obtenir, en référé, devant le Conseil d’Etat, la suspension de l’exécution de la délibération.
Sans se prononcer sur la condition d’urgence, le Conseil d’Etat avait à l’époque estimé que « le recrutement des joueurs dans les clubs de rugby professionnel, s’il doit s’opérer dans le respect des règles fixées par la Ligue nationale de rugby, obéit également à d’autres considérations, tenant en particulier aux postes à pourvoir dans l’équipe, au fonctionnement interne du club, à l’âge du joueur, à ses performances sportives et à ses prétentions salariales. Par conséquent, le statut de JIFF n’est qu’un des critères pris en compte par les clubs pour décider un recrutement ou, à l’inverse, mettre un terme à un contrat de joueur. Il ressort d’ailleurs des termes mêmes de l’attestation du 10 novembre 2017 du directeur administratif de l’ASM Clermont Auvergne, produite par M.B…, que la circonstance qu’il ne possède pas le statut de JIFF n’a été que » l’un des critères de décision dans le choix de non prolongation de son contrat « . Au demeurant, le dispositif JIFF a été mis en place peu de temps après l’arrivée en France de M.B…, sans que cela l’empêche de mener sa carrière à un haut niveau dans les clubs professionnels français. Enfin, si le requérant soutient que les décisions contestées, en modifiant les règles du dispositif litigieux dans le sens d’une plus grande présence des JIFF au sein des clubs professionnels, compliquent sa recherche d’un nouvel employeur, ces décisions ne renforcent qu’à la marge et de façon très progressive, sur quatre saisons, les obligations qui pèsent sur ces clubs. Au surplus, ainsi que l’établit la Ligue nationale de rugby, la plupart des clubs évoluant en » Top 14 » et en » Pro D2 » n’ont pas épuisé, à l’heure actuelle, les possibilités que leur ouvre la réglementation de recruter dans leurs rangs des joueurs n’ayant pas le statut de JIFF » (CE, Ord. de référé, 3 mai 2018, n° 419624).
C’est dans ce contexte qu’est intervenue, le 1er avril dernier, la décision du Conseil d’Etat rendue sur le recours pour excès de pouvoir introduit, en parallèle, par le joueur à l’encontre de la décision de la Ligue.
Le Conseil d’Etat confirme le bien fondé du dispositif et se prononce sur sa compatibilité avec les dispositions du traité dur le fonctionnement de l’Union européenne consacrant la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union et l’abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité entre les travailleurs des Etats membres en matière d’emploi.
Après avoir rappelé que les dispositions relatives aux « JIFF » étaient applicables quelque soit la nationalité des joueurs et que, partant, elles n’introduisaient aucune discrimination qui serait directement fondée sur la nationalité, le Conseil d’Etat a considéré que les conditions du dispositif, qui peuvent être plus aisément remplies par des joueurs de nationalité française que par des joueurs d’autres nationalités, sont susceptibles de porter atteinte à la liberté de circulation au sein de l’Union européenne.
La Haute juridiction relève néanmoins aussitôt que le dispositif « JIFF » tel que remanié par la Ligue en 2018 est adapté aux spécificités du rugby ainsi qu’aux objectifs de formation permettant « d’améliorer leurs chances de recrutement dans les clubs professionnels » et de promotion des jeunes joueurs en vue notamment d’assurer la création « d’un vivier de joueurs pour une équipe nationale compétitive », qui constituent des « raisons impérieuse d’intérêt général »
Estimant qu’il n’y a pas lieu saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle, le Conseil d’Etat écarte donc le moyen principal présenté par Scott Spedding (CE, 1er avril 2019, n° 419623).
Le Conseil d’Etat renvoie donc le joueur « dans ses 22 » mais cette décision ne « marque » pas le « coup de sifflet final » de la partie. En effet, si la fin de ce volet judiciaire national se fait à l’avantage de la Ligue Nationale de Rugby, le débat juridique n’est pas clos puisque l’ancien international français aurait également saisi la commission européenne afin d’obtenir la limitation du nombre de JIFF dans le rugby français…
Quoi de plus normal, au reste, pour un arrière de relancer !
Nota Bene Toulousain : A la 19ème journée de TOP 14, le Stade Toulousain, (solide) leader du TOP 14, comptabilisait une moyenne générale de plus de 17 JIFF sur la feuille de match, bien au delà donc du minimum fixé par la LNR .