Le juge administratif contrôle la cohérence du règlement du PLU avec le PADD.

Nos publications 26 mars 2018

Conseil d’Etat, 2 octobre 2017, Montpellier Méditerranée Métropole et Commune de Lattes, n° 398322, mentionné aux tables du Recueil Lebon

Fondement : Code de l’urbanisme, articles L. 151-5 et L. 151-8

Solution : Saisi d’un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Marseille qui avait censuré le refus d’une commune de modifier le zonage d’un terrain, en raison de sa contrariété avec le projet d’aménagement et de développement durable du PLU, le Conseil d’Etat a été amené à se prononcer sur le contrôle de la cohérence du règlement du PLU avec le PADD.

« En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 123-1 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable à la délibération du 12 mars 2009 par laquelle la commune de Lattes a approuvé la révision de son plan d’occupation des sols et sa transformation en plan local d’urbanisme :  » Les plans locaux d’urbanisme (…) comportent un projet d’aménagement et de développement durable qui définit les orientations générales d’aménagement et d’urbanisme retenues pour l’ensemble de la commune. (…) Les plans locaux d’urbanisme comportent un règlement qui fixe, en cohérence avec le projet d’aménagement et de développement durable, les règles générales et les servitudes d’utilisation des sols permettant d’atteindre les objectifs mentionnés à l’article L. 121-1, qui peuvent notamment comporter l’interdiction de construire, délimitent les zones urbaines ou à urbaniser et les zones naturelles ou agricoles et forestières à protéger et définissent, en fonction des circonstances locales, les règles concernant l’implantation des constructions « . Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, ces dispositions ne se bornent pas à prévoir un simple rapport de compatibilité entre le règlement et le projet d’aménagement et de développement durable du plan local d’urbanisme. Par suite, en jugeant que le classement de l’ensemble du secteur litigieux en zone agricole opéré par le règlement était incohérent avec l’orientation n° 16 de ce projet, qui prévoyait dans ce secteur des zones d’extension économique et d’équipement nécessitant, au moins partiellement, une urbanisation, sans qu’aucune autre de ses orientations justifie le parti retenu, la cour, qui n’a pas pour autant exigé la conformité du règlement au projet d’aménagement et de développement durable, n’a pas commis d’erreur de droit ni méconnu son office. Elle n’a pas plus commis d’erreur de droit en jugeant illégal pour ce motif le classement ainsi retenu sans rechercher s’il était au surplus entaché d’une erreur manifeste d’appréciation ».

Observations : Le passage, par l’effet de la loi SRU du 13 décembre 2000, du plan d’occupation des sols (POS) au plan local d’urbanisme (PLU) s’est traduit notamment par l’obligation d’établir un nouveau document, le projet d’aménagement et de développement durable (PADD). A grands traits, cette pièce, présentée comme la « clé de voute du PLU » (Ministère de l’Equipement, Loi Urbanisme et Habitat, Service après vote), est censée exprimer le projet politique des élus. De ce point de vue, il symbolise l’effort du législateur pour encourager une démarche de projet, plus lisible (le POS ne contenant pas de telles pièces, tournées vers l’avenir). Initialement, l’ancien article L. 123-1 du Code de l’urbanisme prévoyait simplement que « les plans locaux d’urbanisme comportent un projet d’aménagement et de développement durable qui définit les orientations générales d’aménagement et d’urbanisme retenues pour l’ensemble de la commune ». Volontairement, le législateur n’avait fixé aucune règle particulière pour la présentation de ce document (notamment pas de plan type), par ailleurs inopposable aux tiers (CE, 1er décembre 2006, Société GFLBI, n° 296543). Cette souplesse perdure, nonobstant les différentes lois ayant retouché le PADD (loi Urbanisme et Habitat, loi ENL, loi ENE…). En revanche, le législateur a, au fond, précisé l’habilitation donnée aux auteurs du PLU. L’objectif était, ce faisant, double : d’une part, éviter que le PADD contienne, comme on le remarque parfois, des dispositions qui dépassent, à l’évidence, le cadre de l’urbanisme et, d’autre part, ancrer le PADD dans une logique de développement durable. Désormais, l’article L. 151-5 du Code de l’urbanisme prévoit que « le projet d’aménagement et de développement durables définit :

1° Les orientations générales des politiques d’aménagement, d’équipement, d’urbanisme, de paysage, de protection des espaces naturels, agricoles et forestiers, et de préservation ou de remise en bon état des continuités écologiques ;

2° Les orientations générales concernant l’habitat, les transports et les déplacements, les réseaux d’énergie, le développement des communications numériques, l’équipement commercial, le développement économique et les loisirs, retenues pour l’ensemble de l’établissement public de coopération intercommunale ou de la commune.

Il fixe des objectifs chiffrés de modération de la consommation de l’espace et de lutte contre l’étalement urbain. Il peut prendre en compte les spécificités des anciennes communes, notamment paysagères, architecturales, patrimoniales et environnementales, lorsqu’il existe une ou plusieurs communes nouvelles ». Cet élargissement progressif, par l’effet des lois se succédant en urbanisme, du champ matériel du PADD n’est pas sans conséquence.

Eu égard à la rédaction de l’article précité (et notamment à l’emploi du présent de l’indicatif), l’on peut soutenir qu’un PADD doit nécessairement aborder tous les thèmes énumérés, sous peine d’irrégularité (voir en ce sens H. JACQUOT et F. PRIET, Droit de l’urbanisme, Ed. Dalloz, 7ème éd., § 275, p. 332 ; voir toutefois en sens contraire : CAA Marseille, 29 octobre 2015, Association collectif pradetan de lutte contre les nuisances, n° 13MA04199). Mais, surtout, les auteurs du PLU ne doivent pas méconnaitre la portée normative du PADD. L’article L. 151-8 du Code de l’urbanisme prévoit en effet que « le règlement fixe, en cohérence avec le projet d’aménagement et de développement durables, les règles générales et les servitudes d’utilisation des sols permettant d’atteindre les objectifs mentionnés aux articles L. 101-1 à L. 101-3 ». Autrement posé, à partir du diagnostic exposé dans le rapport de présentation, les auteurs du PLU doivent arrêter des orientations générales, formalisées dans le PADD, qui seront déclinées ensuite, dans des termes plus précis et prescriptifs, dans le règlement. Ce dernier est donc, clairement, d’un point de vue hiérarchique, un document subalterne.

Reste que le lien normatif retenu par le législateur, la cohérence, interroge. Le droit de l’urbanisme connaît en effet, comme lien hiérarchique, la prise en compte, la compatibilité et la conformité. Comment s’intègre, dans cet ensemble, la cohérence ? Un membre du Conseil d’Etat avait estimé que « l’exigence de cohérence parait aller au delà de la celle de la compatibilité : la compatibilité implique la non-contrariété alors que la cohérence exige le rapprochement, l’union, l’harmonie » (J.C. BONICHOT, Compatibilité, cohérence, prise en compte : jeu de mots ou jeu de rôle ? Mélanges Henri Jacquot, Presses Universitaires d’Orléans, 2006, p. 49).

Jusqu’à la décision commentée, le Conseil d’Etat ne s’était pas explicitement prononcé sur les contours du lien de cohérence. Certes, par deux fois, le Conseil d’Etat a été saisi du moyen tiré de l’incohérence du règlement au regard des orientations du PADD. Mais, dans un cas, il avait écarté le moyen soulevé en se bornant à relever l’absence d’incohérence entre les dispositions réglementaire du PLU de la ville de Paris avec les orientations du PADD (CE, 18 juin 2010, Ville de Paris, n° 326708) ; dans la seconde affaire, il avait validé le raisonnement de la Cour qui avait jugé que l’ouverture à l’urbanisation d’un secteur situé entre plusieurs zones déjà construites, destiné à accueillir 35 lots, n’était pas contradictoire avec les objectifs retenus par le PADD, dès lors que l’une des orientations de ce projet consiste, tout en maîtrisant l’extension de l’urbanisation autour des villages et hameaux, en la construction de 395 logements à échéance de dix ans (CE, 12 octobre 2016, M. A. B., n° 387308). La Haute assemblée n’avait donc pas fourni de grille d’analyse, susceptible d’être déclinée par les Juges du fond.

C’est désormais chose faite. Dans la décision du 2 octobre 2017, le Conseil d’Etat était saisi d’un arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille qui avait annulé le refus opposé par un Maire de procéder à la modification de dispositions réglementaires, dont il était soutenu qu’elles n’étaient pas cohérentes avec le PADD du PLU. Concrètement, des propriétaires se plaignaient de ce que leur terrain était classé en zone Agricole alors que le PADD prévoyait uniquement, dans ce secteur, des zones d’extension économique et de développement. En d’autres termes, là ou le PADD prévoyait des constructions, le règlement du PLU les interdisait : il existait bien une incohérence entre ces documents.

Le Conseil d’Etat valide la solution retenue par les Juges d’appel en précisant clairement que les dispositions de l’ancien article L. 123-1 du Code de l’urbanisme recodifié à l’article L. 151-5 « ne se bornent pas à prévoir un simple rapport de compatibilité entre le règlement et le projet d’aménagement et de développement durable du plan local d’urbanisme ». De sorte que « en jugeant que le classement de l’ensemble du secteur litigieux en zone agricole opéré par le règlement était incohérent avec l’orientation n° 16 de ce projet, qui prévoyait dans ce secteur des zones d’extension économique et d’équipement nécessitant, au moins partiellement, une urbanisation, sans qu’aucune autre de ses orientations justifie le parti retenu, la cour, qui n’a pas pour autant exigé la conformité du règlement au projet d’aménagement et de développement durable, n’a pas commis d’erreur de droit ni méconnu son office ». En d’autres termes, le contrôle opéré par le Juge est plus exigeant que le contrôle opéré au titre de la compatibilité, sans pour autant relever du contrôle le plus stricte (conformité). Cette précision se justifie par le fait qu’il était reproché à la Cour d’avoir été au-delà de l’intention du législateur. Mais l’on comprend, à la lecture de la décision, que les orientations du PADD étaient, en l’espèce, très précises sur le devenir du secteur en question, sans prévoir d’alternatives à l’urbanisation. La Cour n’a donc pas erré sur ce point. Le débat aurait été plus ouvert si le souhait des élus avait connu, au moins partiellement, une traduction réglementaire.

Enfin, l’on indiquera que dès lors que la Cour avait décelé une incohérence entre le PADD et le règlement, la violation de la loi (art. L. 123-1 du Code de l’urbanisme, devenu l’article L. 151-5) était avérée. C’est ce motif (qui ne se confond pas, à notre sens, avec une erreur manifeste d’appréciation ; voir toutefois pour des arrêts des juges du fond censurant une contradiction entre le PADD et le règlement pour erreur manifeste d’appréciation : CAA Lyon, 18 novembre 2008, Association Roch’Nature, n° 07LY00802 ; CAA Nantes, 12 décembre 2014, Commune de Saint Didier, n° 13NT01857) qui justifie, à lui seul, l’annulation du PLU (pour une illustration d’une censure pour violation de la loi : CAA Nantes, 27 juillet 2016, Association de défense de la Ria et du vieux Port de Pornic, n° 14NT02815). Peu importe, dans ces conditions, les mérites du zonage litigieux : la Cour n’a donc pas plus commis d’erreur de droit en jugeant illégal pour ce seul motif le classement ainsi retenu sans rechercher s’il était au surplus entaché d’une erreur manifeste d’appréciation.

Rappel pratique : La loi portant engagement national pour l’environnement avait, en 2010, renforcé le lien entre les orientations d’aménagement et de programmation (OAP) et le PADD ; l’ancien article L. 123-1-4 du Code de l’urbanisme exigeait en effet que les OAP soient établies « dans le respect » des orientations définies par le PADD. Mais, depuis le 1er janvier 2016, l’article L. 151-6 du Code de l’urbanisme prévoit désormais un lien de cohérence entre les OAP et le PADD (comme, donc, entre le règlement et le PADD). La décision commentée est, de ce point de vue, d’autant plus intéressante pour les praticiens (services en charge de la planification urbaine, bureaux d’études), en charge de la rédaction des PLU.

Philippe PEYNET – avocat associé

 

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