Encore une décision importante rendue par le Conseil d’Etat en urbanisme (publiée au recueil Lebon), dont les praticiens – à commencer par les services instructeurs des Communes – devront rapidement tenir compte quand une décision de refus de permis de construire fait l’objet de conclusions aux fins d’annulation, assorti – comme c’est souvent le cas – d’une demande d’injonction.
Le Conseil d’Etat était saisi d’une demande d’avis par le Tribunal administratif de Versailles, sur le fondement des dispositions de l’article L. 113-1 du Code de justice administrative. Cette demande s’inscrit dans le cadre de l’instance formée par le Préfet des Yvelines à l’encontre de l’arrêté du 10 mars 2017 par lequel le maire de la commune de Mantes-la-Ville a refusé de délivrer un permis de construire sollicité par l’association des musulmans de Mantes sud en vue de créer le nouveau centre cultuel musulman de la commune. Dans un premier temps, le Tribunal a annulé l’arrêté du 10 mars 2017 et sursis à statuer sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte du déféré préfectoral. Dans un second temps, il a posé les questions suivantes au Conseil d’Etat :
2°) Dans l’hypothèse d’une réponse négative aux questions précédentes, les dispositions de l’article L. 911-1 du code de justice administrative limitant le pouvoir d’injonction du juge à la prescription d’une mesure d’exécution dans un sens déterminé permettent-elles au juge d’enjoindre à l’administration de » ne pas » rejeter la demande de permis de construire, alors qu’une telle injonction laisse ouverte la possibilité pour l’administration de choisir entre autant de décisions qu’existent de possibilités de prescriptions ‘
3°) Dans l’hypothèse d’une réponse négative aux questions précédentes, le juge peut-il, en vertu des dispositions de l’article L. 911-2 du code de justice administrative, prescrire le réexamen de la demande de permis de construire, le cas échéant sous astreinte, en assortissant les motifs de son jugement d’une mention selon laquelle l’autorité administrative ne saurait, sauf circonstances de fait ou de droit nouvelles, rejeter de nouveau la demande sans méconnaitre l’autorité de la chose jugée qui s’attache à la décision d’annulation et aux motifs qui en constituent le soutien nécessaire«
Après avoir rappelé les dispositions des articles L. 911-1, L. 600-2, L. 424-1, L. 424-3 et L. 600-4-1 du Code de l’urbanisme (cf § 1 à 3 de l’avis), le Conseil d’Etat énonce que :
5. Il résulte de ce qui précède que, lorsque le juge annule un refus d’autorisation ou une opposition à une déclaration après avoir censuré l’ensemble des motifs que l’autorité compétente a énoncés dans sa décision conformément aux prescriptions de l’article L. 424-3 du code de l’urbanisme ainsi que, le cas échéant, les motifs qu’elle a pu invoquer en cours d’instance, il doit, s’il est saisi de conclusions à fin d’injonction, ordonner à l’autorité compétente de délivrer l’autorisation ou de prendre une décision de non-opposition. Il n’en va autrement que s’il résulte de l’instruction soit que les dispositions en vigueur à la date de la décision annulée, qui eu égard aux dispositions de l’article L. 600-2 citées au point 2 demeurent.applicables à la demande, interdisent de l’accueillir pour un motif que l’administration n’a pas relevé, ou que, par suite d’un changement de circonstances, la situation de fait existant à la date du jugement y fait obstacle L’autorisation d’occuper ou utiliser le sol délivrée dans ces conditions peut être contestée par les tiers sans qu’ils puissent se voir opposer les termes du jugement ou de l’arrêt.
6. En cas d’annulation, par une nouvelle décision juridictionnelle, du jugement ou de l’arrêt ayant prononcé, dans ces conditions, une injonction de délivrer l’autorisation sollicitée et sous réserve que les motifs de cette décision ne fassent pas par eux-mêmes obstacle à un nouveau refus de cette autorisation, l’autorité compétente peut la retirer dans un délai raisonnable qui ne saurait, eu égard à l’objet et aux caractéristiques des autorisations d’urbanisme, excéder trois mois à compter de la notification à l’administration de la décision juridictionnelle. Elle doit, avant de procéder à ce retrait, inviter le pétitionnaire à présenter ses observations«
Autrement posé :
– le Juge administratif peut enjoindre à l’administration de délivrer l’autorisation sollicitée, lorsque tous les motifs (initialement mentionnés dans la décision de refus, ou invoqués en cours d’instance dans le cadre d’une demande de substitution de motifs) susceptibles de fonder le rejet de la demande énoncés par l’administration ont été censurés ;
– cette injonction n’est en revanche pas possible si les dispositions d’urbanisme cristallisées par l’effet de l’article L. 600-2 du Code de l’urbanisme y font obstacle pour un motif non relevé par l’administration ou en cas de changement de circonstances ;
– le permis délivré sur injonction peut faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir par les tiers ;
– si la décision ayant enjoint à l’administration de délivrer le permis sollicité est annulée, l’administration pourra procéder au retrait de ce permis, après une procédure contradictoire et au plus tard dans un délai de trois à compter de la notification de la décision juridictionnelle.
Telle est, rapidement présentée, la nouvelle grille d’analyse posée par la Haute assemblée s’agissant de l’annulation d’un refus d’autorisation d’urbanisme assorti de conclusions à fin d’injonction.
Philippe PEYNET – avocat associé