Article publié dans la revue « Actualité juridique des collectivités territoriales » du mois de mai 2018.
La participation du public à une procédure d’élaboration d’un document d’urbanisme est souvent redoutée. Plusieurs raisons expliquent cette crainte : l’abondance de plaideurs potentiels, d’abord, chacun se sentant concerné par les mesures d’urbanisme (ou, à tout le moins par la délimitation des zones constructibles !), l’expérience, ensuite, de réunions publiques houleuses, le souvenir, parfois, d’un Commissaire enquêteur pointilleux… De fait, si l’on prend l’exemple du plan local d’urbanisme (PLU), le public est invité à participer à deux reprises au processus décisionnel : en amont, d’abord, en tout début de procédure, dans le cadre d’une concertation ; en aval, ensuite, sur un projet arrêté dans le cadre d’une l’enquête publique. Ces deux temps sont, souvent, des fenêtres de tir contentieuses pour les futurs requérants. Le risque d’annulation, en raison de vices entachant ces phases de participation du public, est bien réel ; ce risque, s’il demeure présent, tend à se dissiper en raison d’un contexte juridique renouvelé, qu’il convient de connaitre pour aborder sereinement une procédure d’élaboration de PLU(i).
La concertation, un cadre souple
La phase de concertation préalable est souvent présentée comme une procédure souple. De fait, l’ambition du législateur était, en 1985, de faire participer le public en amont de la procédure, sans pour autant fragiliser la procédure suivie. En cas de contestation du PLU, la concertation préalable est pourtant souvent critiquée, parfois avec succès. Les exigences légales et jurisprudentielles ne sont pourtant pas insurmontables.
Définir les objectifs de la concertation, une obligation souvent ignorée
En l’état du droit positif, l’élaboration et la révision d’un PLU sont obligatoirement soumise à une procédure de concertation, en application du Code de l’urbanisme. Par principe, la concertation doit intervenir en amont de la procédure, avant que les grandes orientations ne soient arrêtées. C’est donc au stade de la délibération de prescription que le Conseil municipal – seul compétent en la matière4 – doit se prononcer « d’une part, et au moins dans leurs grandes lignes, sur les objectifs poursuivis par la commune en projetant d’élaborer ou de réviser un document d’urbanisme, d’autre part, sur les modalités de la concertation avec les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées ». Pour le Conseil d’Etat, « cette délibération constitue, dans ses deux volets, une formalité substantielle dont la méconnaissance entache d’illégalité le document d’urbanisme approuvé, alors même que la concertation aurait respecté les modalités définies par le conseil municipal ». Cette jurisprudence a permis à des requérants, à l’occasion du recours en annulation formé à l’encontre de la délibération approuvant l’élaboration ou la révision d’un PLU, de critiquer la légalité de la délibération de prescription en raison des objectifs poursuivis (rappeler, par exemple, « les raisons d’être d’un plan local d’urbanisme », « l’opportunité et l’intérêt pour la commune de se doter d’un plan local d’urbanisme » et la nécessité « d’envisager la définition d’un projet communal dans un souci d’aménagement et de développement durable », ce n’est pas suffisant !). De nombreuses annulations sont intervenues en application de la décision Commune de Saint Lunaire, alors même que les délibérations litigieuses étaient intervenues plusieurs années avant que le Conseil d’Etat « dégage », en 2010, les deux obligations précitées.
Récemment, le Conseil d’Etat a amendé sa jurisprudence. Il est certes toujours imposé, au regard des dispositions précitées, de délibérer sur les objectifs poursuivis par la commune. Il convient donc d’être concret et précis dans la présentation des objectifs poursuivis : si, à la lecture de la délibération, l’on peut se dire que les objectifs énoncés pourraient être ceux de la Commune voisine, il faut l’amender ! Ce qui change, ce sont les modalités de contestation de cette délibération de prescription. Désormais, cette délibération devra nécessairement être attaquée dans le délai de droit commun de deux mois à compter de la mise en œuvre des mesures de publicité prévues par le Code de l’urbanisme. Il est donc impératif de procéder soigneusement à l’ensemble des mesures de publicité prévues par l’article R. 153-21 du Code de l’urbanisme : affichage pendant un mois (attesté par un certificat d’affichage), mention de cet affichage dans un journal diffusé dans le département et, le cas échéant, publication au recueil des actes administratifs. L’enjeu est d’importance : si aucun recours n’est formé à l’encontre de cette délibération, « son illégalité ne peut (…) eu égard à son objet et à sa portée, être utilement invoquée contre la délibération approuvant le plan local d’urbanisme ». Les moyens tirés de l’absence ou de l’insuffisance des objectifs poursuivis par les auteurs du PLU sont désormais inopérants s’ils sont soulevés à l’occasion du recours contre la délibération d’approbation. On ajoutera que si un recours est formé (donc dans le délai de deux mois) et qu’il articule des moyens sérieux, il sera encore possible, puisque la procédure vient d’être engagée, d’adopter une nouvelle délibération, purgée des éventuels vices relevés par le requérant, afin de poursuivre sur une base solide.
Des modalités de concertation librement arrêtées
Le législateur a posé un principe mais n’a pas défini avec précision les modalités de sa mise en œuvre. Aucune disposition ne précise donc le contenu minimal à donner à la concertation. Concrètement, la concertation pourra prendre la forme de réunions publiques, d’exposition de plans et de maquettes, d’affichage, d’information du public par les journaux locaux ou par le site internet de la collectivité, d’un registre mis à la disposition du public en mairie… L’important est, pour reprendre les termes de l’article L. 103-4 du Code de l’urbanisme, de permettre « pendant une durée suffisante et selon des moyens adaptés au regard de l’importance et des caractéristiques du projet, au public d’accéder aux informations relatives au projet et aux avis requis par les dispositions législatives ou réglementaires applicables et de formuler des observations et propositions qui sont enregistrées et conservées par l’autorité compétente ».
Attention aux d’ambitions démesurées
La collectivité est donc libre de choisir « ses » modalités de concertation, dans le respect – depuis la loi ALUR – de la finalité légale de la concertation. Mais elle est liée par les modalités minimales qu’elle a préalablement définies. A défaut, la concertation est entachée d’illégalité. C’était, même jusqu’à très récemment, la seule hypothèse d’illégalité dès lors que l’ancien article L. 300-2 du Code de l’urbanisme précisait que les documents d’urbanisme et les opérations soumis à concertation ne sont pas illégaux du seul fait des vices de procédure susceptibles d’entacher la concertation, dès lors que les modalités définies par la collectivité ont été respectées. En d’autres termes, le requérant ne pouvait pas se plaindre de l’insuffisance des modalités de la concertation, mais uniquement de leur absence de réalisation. Si la Collectivité est en mesure de prouver, pièces à l’appui, qu’elle a mis en œuvre les modalités de la concertation qui avaient été arrêtées au stade de la délibération initiale de prescription du PLU, la critique est nécessairement vouée au rejet. Il en résultait que la Collectivité avait tout intérêt à prévoir une concertation modeste qu’elle sait pouvoir assurer plutôt qu’une concertation trop ambitieuse et partiellement menée (prévoir 5 réunions publiques et n’en assurer que 3, en raison par exemple du désintérêt de la population ou de l’hostilité d’un groupe d’habitants), qui fragilisera juridiquement la procédure. Rien n’interdira ensuite, si la collectivité en ressent le besoin, de renforcer la concertation pour répondre aux attentes du public. Dans le cadre de la re-codification du Livre 1er du Code de l’urbanisme, l’immunité contentieuse a toutefois évolué13 : il faut toujours respecter les modalités de concertation annoncées, mais aussi « les modalités définies aux articles L. 103-1 à L. 103-6 » du Code de l’urbanisme. La formule ne manque pas de surprendre ; il faut avant tout la comprendre, selon nous, comme interdisant à une Collectivité d’organiser une concertation indigente, en se prévalant ensuite du respect des modalités annoncées.
Un bilan à tirer
La concertation, qui doit se dérouler « pendant une durée suffisante » (concrètement de la délibération de prescription à la délibération arrêtant le projet de PLU), s’achève par un bilan, tiré par le Conseil municipal à l’occasion de la délibération arrêtant le projet de PLU. Il ne s’agit donc pas, à ce stade, de répondre point par point aux observations du public mais de présenter, sous une forme synthétique, les observations et propositions formulées. La concertation au sens du Code de l’urbanisme diffère donc de la concertation telle qu’elle est entendue au sens commun (préparation en commun, action menée de concert). Loin d’être une procédure de co-décision, la concertation se résume, en fait, à l’organisation d’un débat préalable à la décision, que la personne publique adopte librement. Pour le Juge d’ailleurs, les résultats de la concertation ne constituent qu’un simple avis qui ne lie pas l’autorité compétente pour prendre la décision. Pour caricaturer, la collectivité peut donc arrêter tout à fait légalement adopter un projet de PLU en totale contradiction avec les résultats de la concertation ! Dans une telle hypothèse, la phase d’enquête publique s’annonce délicate, dès lors que le bilan de la concertation devra nécessairement être joint au dossier soumis au public !
L’enquête publique : un cadre strict
A la différence la concertation, l’enquête publique est un outil ancien, dont le déroulement est minutieusement détaillé par le Code de l’environnement, des modalités de désignation du Commissaire enquêteur au contenu du rapport établi par ce dernier. L’enquête se présente donc comme une succession d’actes, dont il sera possible d’invoquer l’illégalité à l’occasion d’un recours formé à l’encontre de la délibération d’approbation du PLU. Concrètement, peuvent être discutés devant le Juge, l’indépendance et l’impartialité du commissaire enquêteur, le contenu de l’arrêté d’ouverture de l’enquête publique (omission de certaines précisions dans l’arrêté, durée de l’enquête trop courte, nombre de permanences trop restreint au regard de l’importance du projet…), les modalités de publicité de l’avis d’ouverture de l’enquête publique (omission d’une publicité, méconnaissance des délais impartis pour procéder à la publicité, publicité dans un journal local à la diffusion trop restreinte…), le contenu même du dossier soumis à enquête (insuffisance de telle ou telle pièce, absence d’une pièce exigée par les textes applicables…) et, bien entendu le contenu et la qualité du rapport établi par le commissaire enquêteur. Le nombre de critiques potentielles est donc très élevé ; pour cette raison, l’enquête publique demeure réellement une phase piégeuse pour la Collectivité concernée qui ne maitrise que très partiellement cette phase (impossibilité, par exemple, de remédier aux insuffisances du commissaire enquêteur…).
Mais un contrôle du Juge pragmatique
En droit, les irrégularités affectant le déroulement de l’enquête publique constituent un vice de procédure. Le respect du principe de légalité justifierait de censurer toute méconnaissance des dispositions applicables à cette phase. Mais tel n’est pas le sens de la jurisprudence, plutôt pragmatique en la matière (avant même d’ailleurs l’intervention de la célèbre jurisprudence Danthony) : le principe est donc que « l’irrégularité de l’enquête publique n’est de nature à vicier la procédure et à entacher d’illégalité la décision prise à l’issue de l’enquête publique que si elle a pu avoir pour effet de nuire à l’information du public ou si elle a été de nature à exercer une influence sur cette décision ». De sorte qu’une publicité insuffisante, une pièce qui manquerait dans le dossier ou une permanence non tenue du Commissaire enquêteur peuvent, selon les circonstances, ne pas être dirimantes. Bien entendu, plus tôt l’erreur ou l’omission sera réparée, plus facile sera la défense en cas de contentieux.
Savoir composer avec le Commissaire enquêteur
L’enquête publique est conduite par un Commissaire enquêteur (plus ou moins expérimenté, plus ou plus rompu aux subtilités contentieuses). Il n’est évidemment pas question de s’immiscer dans sa mission, mais, pour autant, la Collectivité ne doit pas se désintéresser, pendant le mois de l’enquête, de son projet ! Les services peuvent utilement transmettre au Commissaire enquêteur les preuves de l’accomplissement des mesures de publicité prévues par le Code de l’environnement : intégrées au rapport d’enquête, et vérifiées par le Commissaire enquêteur, elles permettront d’éviter toute discussion, ultérieurement, en cas de recours contentieux. Un recensement exhaustif de toutes les pièces composant le dossier d’enquête pourra également être transmis au Commissaire enquêteur, dans l’hypothèse où ce dernier n’y aura pas spontanément procédé. En cours d’enquête, les services doivent encore régulièrement s’assurer de ce que certaines pièces du dossier n’ont pas disparu. Si c’est le cas – ce qui arrive, malheureusement, assez régulièrement – il sera parfois encore temps de compléter le dossier, quitte à évoquer avec le Commissaire enquêteur une prolongation de la durée de l’enquête si l’importance de la pièce le justifie. Après la clôture de l’enquête, le Commissaire enquêteur doit émettre son avis. Le droit positif est très clair : la motivation doit être personnelle et circonstanciée. Les conclusions du commissaire enquêteur doivent donc « faire apparaître de façon suffisamment précise les raisons qui ont déterminé le sens de [son] avis ». A défaut, les conclusions sont irrégulières et donc susceptibles de vicier la procédure, dès lors que cette formalité constitue une garantie pour le public. Longtemps, la Collectivité était démunie en cas de conclusions insuffisantes. Désormais, l’article R. 123-20 du Code de l’environnement prévoit un mécanisme de contrôle par le Président du Tribunal administratif d’une éventuelle insuffisance de motivation des conclusions du commissaire enquêteur, soit d’office, soit à la demande de l’autorité compétente pour organiser l’enquête. Dans le doute, la Commune a tout intérêt à solliciter, dans le délai de 15 jours imparti, l’avis du Président du Tribunal, qui pourra le cas échéant demander au Commissaire enquêteur de compléter la motivation de son avis.
Quelles suites réserver à l’enquête ?
Il est constant que le projet de PLU peut être modifié postérieurement à l’enquête publique ; une telle possibilité est toutefois strictement encadrée. D’une part, les modifications doivent résulter des avis qui ont été joints au dossier, des observations du public et du rapport du commissaire enquêteur ; d’autre part, les modifications ne peuvent remettre en cause l’économie générale du PLU. Autrement posé, la voie ouverte par la jurisprudence et le Code de l’urbanisme n’est donc pas une solution de rattrapage, permettant de réparer un oubli ou d’affiner un règlement que la Commune considèrerait, après réflexion, comme imparfait. Par ailleurs, même pour tenir compte d’une observation du public ou du Commissaire enquêteur, il n’est pas possible de modifier substantiellement le parti d’urbanisme au stade de l’approbation du PLU. Il sera indispensable de s’interroger, à ce stade, sur les effets des évolutions envisagées. Une modification, même limitée, peut porter atteinte à l’économie générale du plan dès lors qu’elle traduit un parti d’aménagement nouveau, de même qu’une accumulation de modifications, pourtant mineures prises isolément. Au total, et non sans paradoxe, adopter des modifications est donc souvent plus dangereux, procéduralement, que de ne tenir aucun compte des observations du public !
Philippe PEYNET – avocat associé