Pas de recours sans décision préalable… et inutile d’insister !

Un feuilleton judiciaire original sur une décision administrative non encore intervenue. Une requête que le Conseil d'Etat a fini par rejeter.

Jurisprudence 19 janvier 2024

Le Conseil d’Etat a jugé dans un arrêt du 20 décembre 2023, à mentionner aux tables du recueil Lebon (n°463151), que le juge administratif a la faculté de rejeter comme manifestement irrecevable, sans obligation d’inviter le requérant à régulariser, la requête prématurée dirigée contre une décision non encore intervenue en application de l’article 4° de l’article R. 222-1 du Code de Justice Administrative.

En l’espèce, les requérants ont contesté la légalité de l’utilisation du logiciel « Briefcam » par la commune de Moirans, dans l’Isère. Ce faisant, ils ont demandé à la maire de la commune d’abroger la décision autorisant le traitement des données personnelles par le logiciel.

La maire a accusé réception de cette demande, avec indication du délai au terme duquel pourrait intervenir une décision implicite de rejet, et mention des voies et délais de recours.

Toutefois, les requérants ont, sans attendre l’expiration de ce délai, saisi le Tribunal administratif de Grenoble d’une demande d’annulation du refus implicite du maire de faire droit à leur demande d’abrogation. Les requérants avaient conscience du caractère prématuré de leur requête, puisqu’ils contestent la décision « à naître ».

Le Tribunal administratif a donc rejeté la requête comme manifestement irrecevable sur le fondement de l’article R. 222-1 du CJA, au motif qu’elle n’était pas dirigé contre une décision.

Les requérants ont alors saisi la cour administrative d’appel de Lyon qui, par un arrêt du 7 avril 2022,  a rejeté leur appel en jugeant que le tribunal administratif avait fait une correcte application de l’article R. 222-1 du CJA. Ils se sont alors pourvu en cassation.

Le Conseil d’Etat commence par rappeler qu’aux termes de l’article R. 222-1 du Code de justice administrative dispose que « Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, […] les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours […] peuvent, par ordonnance : / […] 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n’est pas tenue d’inviter leur auteur à les régulariser ou qu’elles n’ont pas été régularisées à l’expiration du délai imparti par une demande en ce sens. 

Il ajoute qu’aux termes de l’article R. 421-1 du même code « La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ».

Enfin, la Haute Juridiction rappelle qu’aux termes de l’article R. 612-1 du CJA « Lorsque des conclusions sont entachées d’une irrecevabilité susceptible d’être couverte après l’expiration du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d’office cette irrecevabilité qu’après avoir invité leur auteur à les régulariser. »

Pour le Conseil d’Etat, il résulte de ces dispositions que « lorsqu’un requérant , après avoir présenté une demande à l’administration, saisit le juge administratif avant que celle-ci ne se soit prononcée sur cette demande, ses conclusions, dirigées contre une décision qui n’est pas encore née, sont irrecevables.

Si cette irrecevabilité peut être couverte, en cours d’instance, par l’intervention d’une décision expresse ou implicite, il est loisible au juge, tant qu’aucune décision n’a été prise par l’administration, de rejeter pour ce motif les conclusions dont il est saisi.

Une telle irrecevabilité étant manifeste et le juge ne pouvant inviter le requérant à la régulariser, puisqu’une telle régularisation ne peut résulter que de l’intervention ultérieure d’une décision expresse ou implicite, les conclusions qui en sont entachées peuvent être rejetées par ordonnance sur le fondement du 4° de l’article R. 222-1 du code de justice administrative. »

Dans ses conclusions suivies, M. Laurent DOMINGO, Rapporteur public, évoque le « sentiment que des requêtes sont prématurément introduites, à dessein, alors que la demande est en cours d’examen par l’administration, avec l’objectif de montrer à l’autorité saisie que la démarche est déterminée et que le risque contentieux n’est pas seulement potentiel mais tout à fait réel, parce que déjà réalisé. Ce qui revient à exercer une forme de « pression » sur l’administration. » S’il n’évoque qu’un sentiment et estime qu’il peut se tromper, le Monsieur le Rapporteur public estime que « le juge peut vouloir ne pas cautionner cette manière de faire, et y parer en opposant, en opportunité, une irrecevabilité manifeste dès l’enregistrement de la requête prématurée » et qu’il « n’y a pas de raisons de brider ce choix du juge. »

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