Voici une décision de la Cour de cassation du 17 mars 2021 (C. cass., civile, Chambre commerciale, 17 mars 2021, 19-12.290, Inédit) qui ne manque pas d’intérêt : démarcher des acheteurs publics en invoquant, à tort, une dispense générale de publicité et de mise en concurrence pour se voir ainsi attribuer, de gré à gré des marchés, peut faire l’objet d’une action en concurrence déloyale (article 1240 et 1241 du Code civil) de la part d’un opérateur concurrent.
Il est à noter, dans cette affaire, que la difficulté vient du fait que la dérogation à la mise en concurrence n’est pas générale mais bien subordonnée au non-franchissement d’un seuil (en l’occurrence 25 000 euros HT à l’époque des faits, contre 40 000 euros HT aujourd’hui) et la Cour relève que le juge administratif a déjà eu l’occasion de se prononcer sur des décisions d’attribution directe de contrats à l’opérateur en question. Ce dernier ne pouvait dès lors pas ignorer l’irrégularité des démarches entreprises.
Prudence donc quand on démarche les collectivités pour des produits ou services en apparence « gratuits » (qui reposent le plus souvent sur une logique de contrepartie indolore financièrement pour l’acheteur) qu’il est tentant présenter comme « hors code » ; et, à l’inverse, vigilance sur les pratiques commerciales des concurrents, qu’il est non seulement possible de remettre en cause sur le terrain du pur droit de la commande publique (référé contractuel ou recours en contestation de validité du marché) mais également, et notamment, sur le terrain de la responsabilité civile, en concurrence déloyale.
Ci-dessous un extrait de la décision :
« 6. Après avoir, par motifs adoptés, constaté que plusieurs décisions de juridictions administratives, produites aux débats, ont unanimement considéré que les contrats de recherche d’économie conclus par la société CTR avec des collectivités locales étaient des marchés qui auraient dû être soumis aux règles de mise en concurrence édictées par le code des marchés publics, alors applicable, l’arrêt relève que si des exceptions à la mise en concurrence sont prévues par ce code, ces décisions ont considéré que les marchés relatifs à la TLPE n’en relevaient pas. Il en déduit que la société CTR, qui ne pouvait ignorer ces décisions rendues au sujet de ses propres contrats ni l’effet d’éviction causé par ses pratiques sur ses concurrents, a commis des actes de concurrence déloyale en continuant à démarcher activement les collectivités locales afin de les convaincre de passer de tels marchés sans mise en concurrence.
7. Par ces seuls motifs, la cour d’appel, qui n’a pas jugé que les contrats litigieux devaient toujours être soumis à appel d’offres ni même qu’ils devaient toujours être soumis à un appel à concurrence et qui n’a pas interdit à la société CTR de démarcher des collectivités publiques pour proposer ses services ni de conclure avec celles qui le décideraient, dans les cas prévus par l’article 28 du code des marchés publics, alors applicable, et sous leur responsabilité, des contrats de gré à gré non précédés d’une mise en concurrence, et sans avoir à procéder à la recherche inopérante invoquée par la troisième branche, a pu faire interdiction à cette société de poursuivre le démarchage des collectivités territoriales pour obtenir la conclusion de contrats de conseils en recherche d’économie portant sur la TLPE, sans mise en concurrence, sous astreinte de 5 000 euros par marché conclu illégalement ».