Article publié dans la revue AJCT du mois de Janvier 2018
Conseil d’Etat, 19 juillet 2017, Commune d’Ansouis, n° 397944, mentionné aux tables du Recueil Lebon
Solution : Saisi d’un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Marseille qui avait jugé que l’article L. 123-1-5 du Code de l’urbanisme « ne saurait poursuivre comme objectif de régulariser une situation de fait en procédant à l’acquisition d’équipements préexistants, réalisés sur des parcelles n’appartenant pas à la commune » et qui avait, en conséquence, censuré un détournement de procédure, le Conseil d’Etat a estimé que les Juges d’appel avaient commis une erreur de droit dès lors que :
« Considérant que ces dispositions ont pour objet de permettre aux auteurs d’un document d’urbanisme de réserver certains emplacements à des voies et ouvrages publics, à des installations d’intérêt général ou à des espaces verts, le propriétaire concerné bénéficiant en contrepartie de cette servitude d’un droit de délaissement lui permettant d’exiger de la collectivité publique au bénéfice de laquelle le terrain a été réservé qu’elle procède à son acquisition, faute de quoi les limitations au droit à construire et la réserve ne sont plus opposables ; que s’il est généralement recouru à ce dispositif pour fixer la destination future des terrains en cause, aucune disposition ne fait obstacle à ce qu’il soit utilisé pour fixer une destination qui correspond déjà à l’usage actuel du terrain concerné, le propriétaire restant libre de l’utilisation de son terrain sous réserve qu’elle n’ait pas pour effet de rendre ce dernier incompatible avec la destination prévue par la réservation ».
Observations : Très ancienne, la servitude d’emplacement réservé est un outil à disposition des auteurs des plans d’occupation des sols, puis des plans locaux d’urbanisme. La disposition de référence est, en l’état du droit positif, l’article L. 151-41 du Code de l’urbanisme qui prévoit que le règlement du PLU peut délimiter des terrains sur lesquels sont institués des emplacements réservés aux voies et ouvrages publics, aux installations d’intérêt général et aux espaces verts mais aussi, et c’est plus récent (loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement), des programmes de logements. Inscrits dans le PLU, ces emplacements réservés traduisent la volonté de la collectivité concernée d’intervenir, à terme, pour réaliser les équipements et aménagements projetés. La collectivité prend, en quelque sorte, une option sur le terrain.
L’institution d’une telle servitude – sous le contrôle (limité à l’erreur manifeste d’appréciation) du juge administratif (CE, 5 juillet 1995, Chaigne, n° 155636 ; CE, 17 mai 2002, Kergall, n° 155636) – emporte une conséquence radicale. Les terrains situés dans les emplacements réservés « ne doivent être ni bâtis, ni densifiés s’ils le sont déjà ; les constructions à caractère définitif y sont donc interdites » (H. Jacquot et F. Priet, Droit de l’urbanisme, Dalloz, 7ème éd., p. 360, n° 293). Il s’en infère que toute construction autre que celle prévue par l’emplacement réservé doit être refusée par l’autorité administrative saisie. La jurisprudence, aussi ancienne que constante, est très ferme sur ce point (CE, 4 février 1981, Pierre Abramoff, n° 15372 ; CE, 23 avril 1982, Société Sainte-Claude, n° 24047 ; CE, 14 déc. 1984, Consorts Manceau, n° 46512 ; CE, 14 octobre 1991, Association Cadre de vie des résidents de Courbevoie Bécon, n° 92532 ; sur le fait que l’autorité administrative se trouve dans cette hypothèse en situation de compétence liée, voir : CAA Paris, 10 décembre 1998, Mme Madureira, n° 97PA01112 ; CAA Marseille, 29 janvier 2004, Mme Bergier, n° 99MA00526 ; CAA Marseille, 28 juin 2001, Société Civile de Construction Vente Immovir, n° 98MA00514).
Au reste, cette inconstructibilité n’est pas absolue.
Les constructions précaires – à condition que cette précarité ressorte clairement du dossier (CE, 16 mai 2011, Société LGD Développement, n° 324967) – peuvent en effet être autorisées (cf art. L. 433-3 du Code de l’urbanisme). Et, récemment, le Conseil d’Etat a admis qu’ « un permis de construire portant à la fois sur l’opération en vue de laquelle l’emplacement a été réservé et sur un autre projet peut être légalement délivré, dès lors que ce dernier projet est compatible avec la destination assignée à l’emplacement réservé » (CE, 20 juin 2016, Simoneau, n° 386978 ; en l’espèce, le permis autorisait la construction du poste de redressement prévu par le PLU, mais aussi de 20 logements).
Enfin, et surtout, un emplacement réservé n’a pas pour effet d’affecter l’usage que le propriétaire du terrain concerné peut en faire. Ce terrain peut, par exemple, être cédé à un tiers (à condition, bien sûr, d’informer les acquéreurs de l’existence de la servitude d’urbanisme), loué ou encore clôturé (CE, 31 juillet 1996, Mme Antoinette X, n° 129058).
La décision commentée tend à rappeler les limites des effets d’un emplacement réservé.
A grands traits, une Commune avait grevé d’une servitude d’emplacement réservé un terrain destiné à recevoir une voie d’accès à une école ainsi que des places de stationnement ; or cette voie et les places de stationnement existaient déjà. Saisi par le propriétaire du terrain concerné, la Cour a jugé que « la création d’emplacements réservés a pour objet de fixer de tels emplacements en prévision de la réalisation de voies et ouvrages publics, d’installations d’intérêt général ou d’espaces verts mais ne saurait poursuivre comme objectif de régulariser une situation de fait en procédant à l’acquisition d’équipements préexistants, réalisés sur des parcelles n’appartenant pas à la commune » (CAA Marseille, 15 janvier 2016, n° 14MA03478). Autrement posé, la Cour a censuré le détournement de procédure commis, selon elle, par la commune qui a mis « en œuvre une procédure dans un but autre que celui en vue duquel elle est instituée » (R. Chapus, Droit administratif général, Ed. Montchrestien, 15ème éd., § 1245-3°, p. 1054).
Le Conseil d’Etat censure cette analyse, en se fondant, d’une part, sur un argument de texte et, d’autre part, sur les effets d’un emplacement réservé.
Certes, selon la Haute assemblée, « il est généralement recouru à ce dispositif pour fixer la destination future des terrains en cause ». Mais, en droit, force est de constater que le Code de l’urbanisme ne limite pas les possibilités de création d’emplacements réservés à la situation où des travaux seraient ultérieurement nécessaires ou encore à un changement de destination du terrain. De sorte que, pour la Haute assemblée, « aucune disposition ne fait obstacle à ce qu’il soit utilisé pour fixer une destination qui correspond déjà à l’usage actuel du terrain concerné ». En d’autres termes, il n’est pas illégal de prévoir dans un PLU un emplacement réservé destiné à un usage qui est déjà le sien. La commune n’a donc pas commis d’erreur en voulant pérenniser l’usage actuel du terrain concerné, qui supporte déjà une voie et des places de stationnement. Cette solution se justifie, par ailleurs, par les effets de l’emplacement réservé, qui ne limitent que les possibilités de construire, mais non l’utilisation même du terrain. La réservation du terrain n’affecte pas le droit qu’a le propriétaire d’user de son bien comme il le souhaite, à condition toutefois que cette utilisation n’ait pas pour effet de rendre le terrain incompatible avec la destination prévue par la réservation.
En conclusion, la décision du Conseil d’Etat, loin d’ouvrir la voie à une quelconque régularisation de situations irrégulières, tend, au contraire à préserver les droits des propriétaires concernés et à rappeler aux auteurs des PLU les limites juridiques des effets des emplacements réservés.
Philippe PEYNET – avocat associé
Rappel pratique : Les conséquences de l’institution d’un emplacement réservé sont parfois perdues de vue par les auteurs des PLU. Il faut sur le fait que la collectivité au bénéfice duquel le terrain a été réservé peut être mise en demeure d’acquérir le bien par le propriétaire en application des dispositions de l’article L. 230-1 et suivants du Code de l’urbanisme. C’est, en quelque sorte, une « expropriation anticipée dont le propriétaire prend l’initiative » (F. BOUYSSOU, Une garantie méconnue de la propriété : le droit de délaissement en matière d urbanisme et d’expropriation, La Semaine juridique, Edition générale, n°2925). Si, finalement, la Collectivité n’a plus besoin du bien considéré, elle doit le supprimer, ou le faire supprimer, avant que le Juge de l’expropriation, qui peut être saisi un an après la mise en demeure, ne se prononce (C. Cass. 3ème civ., 14 juin 1989, M. Delaine, n° 88-70030 ; C. Cass. 3ème civ., 5 décembre 1990, Mme X, n° 89-70294 ; C. Cass. 3ème civ, 4 décembre 1996, M. Jean X., n° 95-70185). A défaut, elle sera tenue d’acquérir le bien au prix judiciairement fixé (sauf si le propriétaire préfère que la réserve ne soit plus opposable en application de l’article L. 230-4 du Code de l’urbanisme ; voir en ce sens : CAA Bordeaux, 6 octobre 2009, SARL C.H. Immobilier, n°07BX02455).