Vers un contentieux des autorisations d’urbanisme plus rapide et plus efficace ?

Nos publications 16 avril 2018

Article publié dans Les Cahiers juridiques de La Gazette du mois d’avril 2018.

Christine Maugüé, conseillère d’État, a remis à Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, le 11 janvier, un rapport de propositions pour un traitement du contentieux des autorisations d’urbanisme plus rapide et plus efficace.

Construire plus est une priorité désormais ancienne. Mais elle se heurte, en pratique, à plusieurs freins : le droit de l’urbanisme est l’un d’eux. Le Conseil d’État dans un rapport qui fait encore autorité avait fort bien démontré – en 1992 ! – « la situation excessivement précaire du titulaire d’un droit de construire ». Depuis lors, de nombreuses évolutions sont intervenues pour tenter de trouver un point d’équilibre entre le droit au recours et le principe de sécurité juridique, sans toutefois libérer l’acte de construire ainsi que l’ont successivement relevé le rapport « Pelletier » en 2005, puis le rapport « Labetoulle » en 2013. Il a donc été demandé à Madame Maugüé, conseillère d’État, de constituer un nouveau groupe de travail pour évaluer les dispositions existantes en termes de lutte contre les recours abusifs dans le champ de l’urbanisme. Ce groupe de travail a formulé, le 11 janvier 2018, vingt-trois propositions, articulées autour de quatre objectifs :

– la réduction des délais de jugement des recours contre les autorisations d’urbanisme ;

– la consolidation des autorisations existantes ;

– l’accroissement de la stabilité juridique des constructions achevées ;

– l’amélioration de la sanction des recours abusifs.

Une ambition forte : réduire les délais de jugement.

Le constat est bien connu : un recours en annulation à l’encontre d’une autorisation de construire, s’il n’est pas, en droit, suspensif, conduit, en fait, à interdire la mise en œuvre du projet de construction autorisé le temps du débat contentieux (soit, en moyenne, vingt-trois mois en première instance…). La réduction des délais de jugement est donc une priorité. Pas moins de douze propositions y sont consacrées (dont deux visent à supprimer des dispositions pourtant très récentes dont l’efficacité n’a pas convaincu le groupe de travail). Des clarifications sont d’abord proposées pour une meilleure appréciation de l’intérêt à agir des requérants.

La décision d’urbanisme préciserait désormais la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire qui sert de référence pour apprécier la recevabilité d’une action d’une association et l’intérêt à agir d’un requérant (mesure n° 1). Il est ensuite proposé d’amender l’article L.600-1-2 du code de l’urbanisme qui en l’état s’applique aux seuls permis (de construire, de démolir et d’aménager) pour viser, plus largement, « une décision relative à l’occupation ou l’utilisation du sol », formule déjà utilisée dans le code (mesure n° 3). L’intérêt de la rédaction proposée serait d’inclure bien évidemment les décisions de non-opposition à déclaration préalable, mais aussi les décisions relatives à la « vie » du permis (refus de constater la caducité d’un permis, refusant de retirer un permis…) qui ne relèvent pas de l’énumération des décisions actuellement visées par l’article L.600-1-2.

Au stade de la saisine du juge administratif, il est proposé, pour faciliter le traitement de l’examen des requêtes, d’imposer au requérant de produire, à peine d’irrecevabilité, les documents permettant d’apprécier son intérêt à agir, au regard des critères posés par l’article L.600-1-2 du code de l’urbanisme (mesure n° 4). Cela soulagera, dans un premier temps, le travail des tribunaux administratifs (qui, bien souvent, sollicitent ces pièces complémentaires) ; on peut espérer, dans un second temps, que cela conduise les parties à discuter principalement de la régularité du projet au regard des normes applicables.

Le groupe de travail propose ensuite, mieux que de créer de nouvelles procédures (notamment de référé dit défensif, à l’initiative du pétitionnaire), d’aménager la procédure de référé-suspension prévue à l’article L.521-1 du code de justice administrative qui permet aux bénéficiaires d’autorisation, si toutefois elle est mise en œuvre par les requérants, d’être éclairés sur les éventuelles fragilités du projet. L’article L.600-3 du code de l’urbanisme serait modifié pour préciser que « la condition d’urgence posée à l’article L.521-1 du code de justice administrative est présumée remplie », ainsi que la jurisprudence le prévoit déjà (mesure n° 6) ; pour inciter les requérants à former rapidement un référé suspension, ce dernier serait enserré dans un délai (mesure n° 5).

Ce délai serait celui de la cristallisation des moyens devant le juge saisi en premier ressort que le groupe de travail propose par ailleurs de rendre automatique, passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense (nouvel article R.600-5 du code de l’urbanisme ; mesure n° 8). Dans ce cadre, le juge des référés serait nécessairement saisi tôt et au regard des moyens qui seront soumis aux juges du fond. Enfin, il serait exigé du requérant dont la demande de suspension a été rejetée pour défaut de moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée qu’il confirme, dans un délai d’un mois, le maintien de sa requête en annulation. À défaut, il sera réputé s’être désisté (mesure n° 7).

Le groupe de travail propose également d’agir sur les délais de traitement. Outre l’institution d’une cristallisation automatique des moyens, le rapport préconise de fixer, pour les tribunaux et les cours, un délai – certes indicatif – de jugement de dix mois mais pour les seuls permis de construire, d’aménager ou de démolir portant sur un bâtiment d’habitation collectif au sens de l’article R.111-18 du code de la construction et de l’habitation, implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts et son décret d’application (mesure n° 10). L’objectif est de porter l’effort sur la construction de logements dans les zones où ils sont manquants ; cette priorité avait d’ailleurs conduit à supprimer la voie de l’appel pour ces projets (art. 811-1-1 du code de justice administrative, dont le groupe de travail propose d’évaluer l’efficacité ; mesure n° 11).

Enfin, le groupe de travail propose, pour tenir compte des difficultés nées de la mise en œuvre de l’article L.600-1-4 du code de l’urbanisme relatif à la contestation des permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, de préciser, plus largement, que les règles spécifiques du contentieux de l’urbanisme sont applicables aux recours formés contre les permis de construire qui tiennent lieu d’autorisation au titre d’une autre législation, sauf disposition contraire de cette dernière (nouvel article L.600-13 du code de l’urbanisme ; mesure n° 12).

Renforcer la sécurité juridique du titulaire de l’autorisation.

Le groupe de travail estime nécessaire de faire évoluer le droit positif pour « consolider le permis existant ». L’idée est de rassurer le pétitionnaire, à tous les stades. En amont, il est préconisé d’assurer une meilleure information du pétitionnaire. Pour cette raison, l’article R.600-1 du code de l’urbanisme mériterait d’être modifié pour s’appliquer à l’ensemble des décisions relatives à l’occupation ou l’utilisation du sol, dont par exemple les décisions refusant de retirer un permis ou de constater sa caducité (mesure n° 13). Dans le même ordre d’idée, le groupe de travail propose de donner une base légale à la délivrance d’une attestation de non-retrait et de non-recours contre les autorisations d’occupation du sol (mesure n° 14). En pratique, il est fréquent que le pétitionnaire demande (notamment pour justifier du caractère définitif de l’autorisation qu’il a obtenue) des attestations à l’autorité administrative et à la juridiction administrative. Deux nouveaux articles (articles R.424-25 et R.600-7) seraient insérés dans le code de l’urbanisme.

En pratique, cela suppose que les greffes des juridictions administratives disposent des outils adéquats ; or en l’état, il est souvent répondu au pétitionnaire qui se renseigne sur l’existence d’un recours que les « outils de gestion ne sont pas conçus pour attester de l’absence de recours ». Il est par ailleurs proposé d’aller plus loin dans les possibilités de régularisation de l’autorisation de construire, qui sont prévues, sous l’égide du juge, aux articles L.600-5 et L.600-5-1 du code de l’urbanisme (dont l’origine remonte aux rapports Pelletier puis Labetoulle). D’abord, en étendant ces mécanismes aux décisions de non-opposition à déclaration préalable ; ensuite, en obligeant le juge, si les conditions sont naturellement remplies, à prononcer une annulation partielle ou à surseoir à statuer (mesure n° 15).

Par ailleurs, pour éviter les recours en cascades de nature à allonger les délais, le groupe de travail propose d’inscrire dans le code de l’urbanisme le principe récemment dégagé par le Conseil d’État en matière de permis de régularisation, suivant lequel « lorsqu’un permis de construire modificatif ou de régularisation est délivré au cours d’une instance portant sur un recours dirigé contre le permis initial et qu’il a été communiqué aux parties à cette instance, la légalité de cet acte ne peut être contestée par les requérants que dans le cadre de cette même instance » (nouvel article L.600-5-2 ; mesure n° 16).

Enfin, et toujours pour consolider le permis existant, le groupe de travail s’est prononcé sur les conséquences à tirer de l’illégalité du document d’urbanisme sur le fondement duquel a été délivrée cette autorisation. D’un point de vue administratif, il est proposé, pour tenir compte du principe du retour au document immédiatement antérieur posé à l’article L.600-12 du code de l’urbanisme en cas d’annulation ou de déclaration d’illégalité et de la jurisprudence « commune de Courbevoie », de couper le lien entre l’illégalité du document d’urbanisme et le permis de construire attaqué, à tout le moins lorsque cette illégalité ne résulte pas de motifs qui affectent le projet autorisé. Ce principe serait posé dans un nouvel article L.600-12-1 et rappelé à l’article L.442-14 du code de l’urbanisme (mesure n° 17).

D’un point de vue pénal, le groupe de travail a constaté qu’au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, le constructeur disposant d’un permis définitif ne peut en principe pas faire l’objet de poursuites pénales pour infractions aux dispositions du PLU applicables à la date des travaux (ce PLU pouvant ne plus être celui applicable à la date de l’autorisation, en raison d’une annulation contentieuse) ; mais cette solution n’est pas absolue. De sorte que le souci de sécurité juridique milite pour amender la disposition de référence, l’article L.610-1 du code de l’urbanisme, et préciser que « sauf fraude, les dispositions du présent article ne sont pas applicables lorsque le bénéficiaire d’une autorisation définitive relative à l’occupation ou l’utilisation du sol régie par le présent code exécute des travaux conformément à cette autorisation » (mesure n° 18).

Améliorer encore le sort des constructions achevées.

Le rapport Pelletier avait mis en lumière, en 2005, les imperfections du droit positif qui permettait de remettre en cause la régularité de constructions achevées depuis plusieurs années, alors même que les autorisations de construire n’avaient pas été attaquées en temps utile, ou d’en interdire l’évolution.

Sur le premier point, l’article L.480-13 du code de l’urbanisme, relatif à la possibilité pour les tiers de solliciter la démolition d’une construction édifiée conformément à un permis de construire, a été modifié en deux temps : d’abord par la loi ENL du 13 juillet 2006 ; puis, plus récemment par la loi du 6 août 2015 dite Macron pour restreindre, conformément à une proposition du rapport Labetoulle, le champ géographique de l’action en démolition aux zones les plus sensibles d’un point de vue environnemental.

Le groupe de travail propose de reconnaître au préfet un droit spécifique pour demander au juge civil la démolition de toute construction édifiée en application d’un permis de construire annulé sur déféré préfectoral, qu’elle soit, ou non, située dans une zone sensible ou protégée (code de l’urbanisme, article L.600-6 ; mesure n° 20). S’agissant du second point, le rapport Pelletier rappelait que « l’irrégularité administrative est, contre toute logique, perpétuelle. Il importe donc d’instaurer par une disposition de nature nécessairement législative, le principe d’une prescription administrative au terme de laquelle, passé un certain délai à compter de son achèvement, toute construction sera réputée régulière avec toutes conséquences de droit » (rapport, § 79 et s.).

La loi ENL a inséré dans le code de l’urbanisme l’article L.111-12 (désormais article L.421-9) qui pose en principe que « lorsqu’une construction est achevée depuis plus de dix ans, le refus de permis de construire ou de déclaration de travaux ne peut être fondé sur l’irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l’urbanisme ». En d’autres termes, le législateur a entendu « paralyser » au bout de dix années les effets de la jurisprudence Thalamy. Mais, de peur de donner une « prime à l’infraction », le législateur a voté un texte de compromis, guère satisfaisant pour les praticiens (professionnels de l’immobilier, services instructeurs). Notamment, aucune prescription ne joue « lorsque la construction a été réalisée sans permis de construire » ; pour le groupe de travail, « ces termes ne visent que les constructions réalisées en l’absence de permis initial, et non celles construites sur le fondement d’un permis annulé par la suite » ; ce point devrait être précisé à l’article L.421-9 du code de l’urbanisme (mesure n° 19).

Il appartiendra au législateur de décider si cette solution doit être étendue aux travaux sans déclaration préalable (qui, en l’état, peuvent bénéficier de la prescription). Eu égard à la sensibilité du sujet, le groupe de travail ne s’est pas prononcé sur ce point… Pour être complet, on indiquera que le groupe de travail propose de réduire à six mois le délai d’un an prévu à l’article R.600-3 du code de l’urbanisme pour engager, à compter de l’achèvement des travaux, une action en annulation (mesure n° 21).

Contre les recours abusifs : une timide avancée.

La lettre de mission adressée à Madame Maugüé indiquait clairement que « la régulation des recours abusifs doit donc être renforcée dans le respect du droit d’accès au juge et de la facilitation d’opérations de constructions, notamment de production de logements en zones tendues ». Sur ce sujet, qualifié de « délicat » par le groupe de travail, deux propositions ont été formulées. Il ne s’agit, au reste, que de deux pistes d’amélioration du dispositif issu du rapport Labetoulle.

La mesure n° 22 consiste à modifier, à la marge, la rédaction de l’article L.600-7 du code de l’urbanisme. Cet article, d’application immédiate aux instances en cours, quelle que soit la date à laquelle est intervenue la décision administrative contestée, prévoit que « lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts ». Cet article neutralise donc la jurisprudence du Conseil d’État selon laquelle en raison de la nature particulière du recours pour excès de pouvoir (qui constitue un procès fait à un acte, et non à une personne), des conclusions reconventionnelles tendant à ce que le demandeur soit condamné à payer des dommages et intérêts ne peuvent être utilement formulées.

Si la disposition est de plus en plus fréquemment invoquée par les bénéficiaires de permis, force est toutefois de constater que les juridictions administratives demeurent très prudentes dans la mise en œuvre de l’article L.600-7 du code de l’urbanisme, au point d’ailleurs que nombre de constructeurs continuent de saisir le juge judiciaire. De fait, la notion de préjudice excessif paraît trop restrictive. La proposition est donc de procéder à la suppression de cette condition déjà souhaitée par le législateur. Le rapport propose par ailleurs de remplacer la notion de « conditions excédant la défense des intérêts légitimes » par une autre formule, plus large : « dans des conditions qui traduisent un comportement déloyal de la part du requérant ». Cette nouvelle rédaction conduit à une modification du second alinéa de l’article L.600-7 pour prévoir que « toute association de protection de l’environnement agréée en application des dispositions de l’article L.141-1 du code de l’environnement est présumée de pas adopter de comportement déloyal » (mesure n° 22).

Il est enfin proposé de modifier l’article L.600-8 du code de l’urbanisme. Schématiquement, cet article impose d’enregistrer les transactions, conformément à l’article 635 du code général des impôts, sous peine d’ouvrir la possibilité d’une action en répétition des sommes versées. Pour tenter de lutter contre les désistements monnayés, il est proposé d’étendre le champ de l’obligation aux recours gracieux et de préciser que « les transactions conclues avec des associations ne peuvent pas avoir pour contrepartie le versement d’une somme d’argent » (mesure n° 23). Dans l’absolu, ces modifications apparaissent opportunes. Mais elles ne pourront avoir un effet qu’à la marge.

Plus significatif pourrait être, pour les requérants, d’être plus régulièrement condamnés à payer à l’administration et au pétitionnaire une somme au titre des frais de défense exposés par ces derniers. Trop souvent encore, quand bien même un recours en annulation d’une décision d’urbanisme est rejeté, la juridiction administrative estime que, « dans les circonstances de l’espèce », il y a lieu de rejeter les conclusions de la commune, auteur de l’autorisation contestée, présentées au titre des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative. Sur ce point, le rapport du groupe de travail aurait pu adresser un signal aux juridictions administratives.

Philippe PEYNET – avocat associé

Etienne MASCRE – avocat collaborateur

Restons en contact Inscription Newsletter

X

Content for `two`
Content for `three`