Décryptage de la Communication de la Commission européenne n°2020/ C 108/01 du 1er avril 2020 sur l’utilisation des marchés publics dans la situation d’urgence liée à la crise du COVID-19

Textes 7 avril 2020

Les textes parus jusqu’à présent pour faire face à la crise du COVID-19 – et au premier chef l’ordonnance n°2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats de la commande publique – se sont concentrés sur les problématiques d’exécution ou d’adaptation des procédures de passation déjà lancées au moment de la survenance de la crise, tout en restant muets sur celles à lancer pendant cette période. Face à l’urgence, de nombreux pouvoirs adjudicateurs s’interrogeaient pourtant sur la possibilité de déroger aux règles contraignantes de la commande publique. Des questions pouvaient notamment se poser à propos des solutions pouvant être empruntées pour conclure les marchés publics destinés à satisfaire les besoins en fournitures urgentes telles que les masques, gels hydroalcooliques, gants, etc.

La Commission européenne, par la communication n°2020 / C 108 / 01 du 1er avril 2020, apporte des précisions importantes – et attendues par tous les acheteurs publics – sur cette question cruciale du cadre juridique applicable pour tous ces achats urgents. La position de la Commission est dépourvue d’ambigüité : les dispositions de la Directive 2014/24/UE sur la passation des marchés publics continuent de s’appliquer malgré la période de crise sanitaire.La Commission se montre ainsi très stricte sur l’application du cadre européen prévu pour la passation des marchés publics et n’envisage aucune dérogations à celui-ci : pour elle, la crise ne doit pas servir de prétexte aux acheteurs pour contourner les règles de passation des marchés publics.

Selon la Commission, qui ne manque pas d’insister à plusieurs reprises sur « la souplesse » du cadre européen régissant les marchés publics, tous les outils nécessaires pour répondre aux besoins urgents d’acquisition des biens et services de première nécessité figurent déjà dans la Directive.

Durant la période de crise, la Commission invite donc les acheteurs à recourir aux procédures d’urgence prévues par la Directive et rappelle deux mécanismes permettant d’accélérer la passation des marchés :

  • La réduction des délais applicables aux procédures classiques (procédures ouvertes ou restreintes), prévue par les articles 27 et 28 de la directive 2014/24/UE, dite procédure d’urgence ;
  • La procédure négociée sans publication d’un avis de marché prévue à l’article 32, paragraphe 2, point c de la Directive 2014/24/UE, dite procédure d’extrême urgence.

Le raccourcissement des délais pour les appels d’offres

Cette première voie constitue la solution privilégiée par la Commission, préconisée pour répondre aux besoins « à moyen terme ». La Commission invite les acheteurs à recourir autant que possible à cette faculté, qui permet de garantir, même en cas d’urgence, la conformité aux principes d’égalité de traitement et de transparence.

Le délai de présentation des offres peut ainsi être ramené à 15 jours dans le cas d’un appel d’offres ouvert, contre 35 jours en temps normal, tandis que dans le cadre de l’appel d’offres restreint, le délai peut être ramené à 15 jours pour la présentation des candidatures et à 10 jours pour la présentation d’une offre, contre 30 jours pour chaque étape en temps normal. Cette faculté est retranscrite en droit interne respectivement aux articles R. 2161-3, pour les appels d’offres ouverts, et R. 2161-6 et R. 2161-8, pour les appels d’offres restreints, du Code de la commande publique.

 

Le recours à la procédure négociée sans publicité

Cette procédure, retranscrite en droit interne aux articles L. 2122-1 et R. 2122-1du Code de la commande publique,permet aux acheteurs publics d’acquérir des fournitures et des services dans les plus brefs délais. Il s’agit donc d’une procédure applicable aux cas d’extrême urgence ou d’urgence impérieuse : les acheteurs publics peuvent ainsi négocier directement avec le ou les opérateurs économiques potentiels sans publication préalable ni délais minimaux à respecter.

La Commission rappelle cependant que le recours à cette procédure– qui déroge aux principes fondateurs du traité en ce qui concerne la transparence – doit rester exceptionnel : toutes les conditions de mise en œuvre doivent être remplies de manière cumulative, interprétées restrictivement, et précisées dans un rapport écrit pour chaque marché, afin de justifier le recours à cette procédure.

La Commission apporte d’ailleurs une précision essentielle concernant la condition d’imprévisibilité pour le pouvoir adjudicateur. Elle estime en effet que celle-ci est présumée remplie pour les établissements de santé devant faire face à l’augmentation constante des cas de patients atteints du COVID-19. Elle relève ainsi que l’ensemble des besoins spécifiques des hôpitaux et autres établissements de santé en termes de traitements médicamenteux, d’équipements de protection individuels, de respirateurs, et plus globalement les équipements techniques et infrastructures supplémentaires nécessaires pour faire face à la crise sanitaire ne pouvaient « certainement pas être prévus et planifiés à l’avance et constituent donc un événement imprévisible pour les pouvoirs adjudicateurs ».

Les achats visés par la communication concernent donc davantage les infrastructures hospitalières que les collectivités territoriales. Ce n’est que dans l’hypothèse où une collectivité passe un marché de fournitures afin d’acquérir des équipements de protection médicale pour lutter contre la pandémie que la procédure « d’extrême urgence » décrite est susceptible d’être mise en œuvre.

Au demeurant, la Commission insiste sur le fait que la procédure négociée sans publicité doit permettre de négocier avec plusieursopérateurs. L’attribution directe du marché à un opérateur, quant à elle, doit être réservée à l’hypothèse où une seule entreprise est en mesure de respecter les contraintes techniques et de temps imposées par l’urgence impérieuse et qu’il est donc impossible de procéder à une négociation, sans publicité préalable, avec plusieurs opérateurs économiques.

Enfin, le recours à la procédure négociée sans publicité ne doit être envisagé que pour les seuls besoins immédiats, c’est-à-dire ceux ne pouvant être satisfaits par le respect de la procédure accélérée ou classique de passation.

On relèvera pour finir, qu’outre le choix de la procédure, la Commission – de manière surprenante – invite les acheteurs à « collaborer avec le marché » en recourant à l’achat groupé, au sourcinget à l’achat innovant. La Commission relève ainsi que pour accélérer la passation des marchés, les acheteurs publics peuvent également envisager « d’envoyer des représentants directement dans les pays qui disposent des stocks nécessaires et qui peuvent assurer une livraison immédiate », ce que l’on peine à concevoir au regard des mesures de confinement strictes dans lesquelles se trouvent actuellement la majorité des pays européens touchés par le COVID-19…

Juliette Dreyfus-Gelin et Mélanie Roussel

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