Être mis en cause est, en toutes circonstances, une épreuve extrêmement désagréable. Mais cela l’est plus encore lorsqu’on l’aborde sans disposer d’une assistance juridique adaptée, qui vous permet au minimum de comprendre ce qui se passe et d’éviter de créer les malentendus. Longtemps, élus et agents mis en cause pouvaient compter sur la prise en charge de cette défense par leur collectivité, lorsque les faits, même poursuivis pénalement, relevaient d’erreurs, de maladresses, ne répondaient pas à un mobile privé, et ne présentaient pas une particulière gravité. La jurisprudence récente de la Cour de cassation semble bien remettre en cause cette solution et créer une nouvelle menace : accorder la protection fonctionnelle lorsque l’élu est poursuivi pour favoritisme ou prise illégale d’intérêt c’est prendre le risque d’être condamné pour détournement de fonds publics[1].
Cette solution est choquante.
Historiquement, le principe a été posé selon lequel les agents publics (dont les élus) ont droit à la protection fonctionnelle, hors cas de « faute personnelle », c’est-à-dire d’une particulière gravité ou relevant d’une motivation personnelle. Contre la jurisprudence (déjà…) de la Cour de cassation[2], le Tribunal des conflits a jugé dès 1935 que « la circonstance que ce fait … (pourrait être) puni par application … du Code pénal, ne saurait impliquer que la faute est personnelle[3]. La solution est de portée générale et n’a jamais été exclue pour certaines infractions[4]. La loi n’exclut pas plus d’infraction spécifique, alors que le législateur a su organiser un mécanisme d’inéligibilité propre à certaines infractions. La solution est explicitement reprise par le Conseil d’Etat, qui a fixé une grille d’analyse du caractère personnel de la faute, en excluant clairement une automaticité entre la qualification pénale retenue et la perte du droit à la protection fonctionnelle[5].
C’est cette solution unanime que la Cour de cassation a contredite par deux fois. Commentateurs et praticiens espéraient que la première décision rendue en 2012 soit isolée et non significative. Il n’en est rien, dès lors que sa rédaction, très radicale, est reprise en 2023 à propos de l’infraction de prise illégale d’intérêt : les infractions de favoritisme (et de prise illégale d’intérêts) sont – par elles-mêmes- détachables des mandats et fonctions publics exercés par leurs auteurs. Et accorder cependant la protection fonctionnelle a un élu poursuivi à ce titre, c’est commettre un délit autonome, de détournement de fonds publics.
La solution est incompréhensible quand on mesure ce que la même Cour de cassation a fait des délits de favoritisme et de prise illégale d’intérêt, qui peuvent parfaitement être retenus dans des hypothèses d’erreur matérielle, sans contradiction avec l’intérêt général, ou même sans volonté de favoriser qui que ce soit[6].
Au minimum, des éclaircissements méritent d’être demandés au Gouvernement sur la portée qu’il convient de donner à ces solutions et sur l’opportunité d’une éventuelle évolution des textes.
Yvon GOUTAL
Avocat au barreau de PARIS
Professeur des universités associé en droit public (PAST REIMS)
[1] Cass. Crim, 22 février 2012, n° 11-81. 476 ; Cass. Crim. 8 mars 2023, n°22.82-229
[2] Cass. Crim, 28 mars 1930 D. 1930.1.161
[3] TC 14 janvier 1935, Thépaz, n°00820, publié
[4] voir, pour un faux, TC 19 octobre 1998, n° 03131, mentionné aux tables
[5] voir notamment CE, 30 décembre 2015, n°391800
[6] voir notamment Cass. Crim. 3 avril 2019, 18-83.599 ; 14 décembre 2011 – n° 11-82.854 ; 14 janvier 2004, 03-83.396Article initialement publié à la revue Le Trombinoscope de juin 2023, page 38, dans un dossier spécial consacré à la responsabilité pénale des élus.