Modifier un marché public en cours d’exécution

Dans la Gazette des Communes publiée le 7 janvier 2019, Bastien David, du Pôle Contrats de la commande publique, a publié une fiche méthode sur la modification d’un marché public en cours d’exécution, retranscrite ci-après.

01. Avoir conscience du renforcement du cadre juridique

La définition préalable du besoin auquel répond un marché public est la clé du succès de sa passation et de sa bonne exécution. Il n’est cependant pas rare que des imprévus surviennent postérieurement à la conclusion du contrat, malgré ce travail en amont. C’est pourquoi, sauf à les rendre inefficaces, ces contrats ne peuvent être totalement immuables. Pour autant, ce besoin de souplesse ne saurait mettre à mal les principes de la commande publique.

Dans une logique de conciliation entre ces objectifs, le code des marchés publics de 2006 autorisait les acheteurs à modifier par avenant les contrats dans deux hypothèses : en cas de sujétion technique imprévue ou pour tout autre motif dès lors que la modification ne bouleversait pas l’économie du marché et n’en changeait pas l’objet. La réforme entrée en vigueur le 1er avril 2016 marque une évolution certaine du régime de la modification des marchés publics en cours d’exécution.

Dans sa terminologie, d’abord, puisque la notion d’avenant disparaît de l’ordonnance du 23 juillet 2015 et de son décret d’application. En pratique, la modification du marché pourra toujours être matérialisée par un avenant au contrat ou par une décision unilatérale de l’acheteur, ce que l’ordonnance n° 2018-1074 du 26 novembre 2018 portant partie législative du code de la commande publique rappelle expressément. Dans sa logique, ensuite : toute modification ne doit plus simplement préserver l’objet et l’économie du contrat, mais doit également s’inscrire dans l’une des six hypothèses limitativement prévues à l’article 139 du décret, reprises aux articles R.2194-1 et suivants du décret du 3 décembre 2018.

02. Anticiper les modifications dans une clause

Les marchés publics peuvent d’abord être modifiés en cours d’exécution par le biais d’une clause prévue à cet effet dès le lancement de la consultation. Cette possibilité n’est en réalité pas totalement inédite : les acheteurs l’utilisaient déjà au travers, par exemple, de la clause de révision des prix. La clause de « réexamen » permet néanmoins potentiellement d’en faire plus. Mais cette souplesse ne peut qu’être le fruit d’une anticipation accrue de l’acheteur. En effet, pour être régulière, cette clause doit être prévue dans le contrat dès le lancement de la procédure de passation et ne peut être laconique. Au contraire, elle doit définir avec précision son champ d’application ainsi que la nature des modifications engendrées et les conditions de sa réalisation : extension du périmètre géographique ou technique du contrat, cession à une société dédiée… L’efficacité juridique de la clause sera étroitement liée à sa précision.

Au-delà de ce travail rédactionnel en amont, l’acheteur doit tenir compte des effets de la clause pour déterminer la procédure de consultation adéquate, et ce, même si ladite clause n’a pas nécessairement vocation à être enclenchée en cours d’exécution. Par exemple, si la clause introduit une option qui pourra être levée en cours d’exécution du contrat, l’estimation du prix du marché devra intégrer le coût de cette option.

03. Faire face à un événement imprévu

Le point 2° de l’article 139 permet à l’acheteur de faire réaliser des prestations supplémentaires non prévues au titulaire du marché.

Il devra alors démontrer qu’un changement de titulaire serait purement impossible pour des raisons économiques ou techniques, mais également qu’un tel changement constituerait un inconvénient majeur ou entraînerait une augmentation substantielle des coûts.

Le point 3° de l’article 139 permet de modifier le contrat en raison de circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait prévoir. Cette notion n’est pas sans rappeler les « sujétions techniques imprévues » du code des marchés publics 2006. Et de fait, le juge administratif continuera certainement d’exiger que les difficultés rencontrées, dont la cause doit être extérieure aux parties, présentent un caractère exceptionnel et imprévisible lors de la conclusion du contrat.

Le décret introduit toutefois la notion de diligence, dont les contours devront être précisés par la jurisprudence.

Enfin, alors qu’une sujétion technique imprévue du code des marchés publics de 2006 n’était pas plafonnée dans son montant, la modification en raison d’une circonstance imprévue, à l’instar de celle commandée par des travaux supplémentaires, ne peut dépasser 50 % du montant initial du marché (article 140 du décret de 2016). Dans l’hypothèse de modifications successives dans l’un et l’autre de ces cas, la limite est alors appréciée par modification et non globalement. Il va de soi que ces modifications successives ne peuvent être utilisées pour contourner les obligations de publicité et de mise en concurrence.

04. Changer le titulaire du contrat

Le changement de titulaire du marché public constitue une modification autorisée, dans deux hypothèses : le changement a été anticipé dans le cadre d’une clause de réexamen ou en cas de cession du marché en raison d’une opération de restructuration du titulaire. Si l’on peut regretter l’absence de précision de l’article 139 sur la notion d’opération de restructuration, les acheteurs peuvent se reporter aux dispositions de l’article 45 du décret, relatif aux groupements d’opérateurs économiques. Aux termes de celui-ci, une opération de restructuration recouvre, notamment, les hypothèses de rachat, de fusion ou d’acquisition de l’opérateur économique.

Plus largement, la Cour de justice de l’Union européenne considère comme régulière la substitution du titulaire dès lors qu’elle suit une réorganisation administrative de nature purement interne du cocontractant du pouvoir adjudicateur. La substitution du titulaire par une filiale apparaît donc également régulière.

Dans les deux cas, le nouveau titulaire doit satisfaire aux conditions de participation exigées dans le cadre de la procédure de passation initialement mise en œuvre, comme par exemple les capacités économiques et professionnelles. Enfin, le changement de titulaire ne doit pas conduire à d’autres modifications substantielles du marché ni être utilisé pour soustraire le contrat aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

05. Identifier le caractère substantiel de la modification

L’acheteur peut, sans considération de montant, apporter des modifications non substantielles au marché. Perpétuant l’esprit du code des marchés publics de 2006, est ainsi substantielle la modification altérant la nature globale du marché public. Plus précisément, le point 5° de l’article 139 identifie, de manière non exhaustive, quatre cas de modification substantielle : l’introduction d’une condition remettant en cause le choix du titulaire du marché à l’issue de la procédure de passation ; le bouleversement économique du contrat au profit du titulaire du marché ; la modification de l’objet du marché et le changement de titulaire en dehors des cas déjà évoqués. Ces modifications constitueraient en effet un nouveau contrat devant être passé dans le respect des dispositions de l’ordonnance de 2015.

En revanche, dès lors que le montant de la modification du marché est inférieur aux seuils européens et à 10 % du montant du marché initial pour les marchés de services et de fournitures, ou à 15 % pour les marchés de travaux, l’acheteur peut modifier le marché à sa convenance. Prudence cependant, si la modification certes sans incidence financière, par exemple en termes de délais d’exécution, a pour effet de remettre en cause a posteriori l’attribution ou de faire échec à l’application d’une clause de pénalité pour un montant excédant le plafond susvisé. En tout état, à l’inverse des modifications pour des prestations supplémentaires ou imprévues, c’est bien le cumul des modifications successives qui doit être confronté aux deux seuils.

06. Respecter les obligations d’information et de publicité

La modification du marché en cours d’exécution suppose, enfin, de respecter certaines obligations en matière d’information. D’abord, pour les acheteurs soumis aux dispositions de l’article L.1414-4 du code général des collectivités territoriales, si le marché a été passé selon une procédure formalisée, toute modification entraînant une augmentation du montant initial du marché supérieure à 5 % doit être soumise pour avis à la commission d’appel d’offres. De la même manière, selon les délégations de compétences en cours dans la collectivité, l’assemblée délibérante peut être amenée à se prononcer sur la modification envisagée.

Ensuite, toujours dans le cadre des marchés passés selon une procédure formalisée, la publication d’un avis au « Journal officiel de l’Union européenne » est requise pour les prestations supplémentaires non prévues et les modifications rendues nécessaires par des circonstances imprévues, conformément à l’article 140 du décret de 2016.

Enfin, l’article 107 de ce décret impose aux acheteurs, depuis le 1er octobre 2018, de fournir un accès libre et direct aux données essentielles des marchés publics d’un montant supérieur ou égal à 25 000 euros HT. Son point 2° prévoit ainsi qu’au plus tard deux mois à compter de la date de notification d’une modification d’un marché public, l’acheteur est tenu de communiquer dans ce cadre : l’objet de la modification, les incidences de celle-ci sur la durée ou le montant du marché ainsi que la date de notification de la modification. De façon salutaire, la révision du prix résultant d’une clause de variation ne fait plus partie du périmètre de cette obligation depuis la modification de l’arrêté du 14 avril 2017 relatif aux données essentielles dans la commande publique intervenue en juillet 2018.

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