L’on se rappelle que dans le cadre de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, le législateur a décidé d’introduire un mécanisme (très controversé) dit de « caducité des requêtes » en contentieux de l’urbanisme.
Intégré au – nouvel – article L. 600-13 du Code de l’urbanisme, ce mécanisme prévoyait alors que :
« La requête introductive d’instance est caduque lorsque, sans motif légitime, le demandeur ne produit pas les pièces nécessaires au jugement de l’affaire dans un délai de trois mois à compter du dépôt de la requête ou dans le délai qui lui a été imparti par le juge.
La déclaration de caducité peut être rapportée si le demandeur fait connaître au greffe, dans un délai de quinze jours, le motif légitime qu’il n’a pas été en mesure d’invoquer en temps utile« .
En raison de son caractère à la fois peu lisible et peu praticable (c’est peu de le dire), le dispositif a toutefois été vivement critiqué tant par la doctrine que par les praticiens. A tel point que le groupe de travail présidé par Christine Maugüé a, dans son rapport remis au début de l’année 2018 au Ministre de la Cohésion des Territoires (« propositions pour un contentieux des autorisations d’urbanisme plus rapide et plus efficace », accessible via ce lien), proposé d’abroger purement et simplement cette disposition (il s’agissait de la mesure n° 9 du rapport).
Moins d’un an plus tard, la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi « Elan ») procèdera à l’abrogation de cette disposition. Mais saisi d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) transmise par le Conseil d’Etat (par une décision n° 424146 en date du 8 février 2019 ; voir l’arrêt), le Conseil Constitutionnel a été invité, à l’occasion d’un litige, à se prononcer sur la constitutionnalité de cet article (qui n’avait pas été posée au stade du contrôle a priori). Plus précisément, le Conseil constitutionnel devait se prononcer sur la question de savoir si cet article méconnaissait l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui garantit le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif.
Sans réelle surprise, les « Sages » ont considéré, dans leur décision n° 2019-777 QPC du 19 avril 2019 (accessible via ce lien), que la méconnaissance de ce droit à un recours juridictionnel effectif était bien avérée.
Pour ce faire, le Conseil Constitutionnel, qui dans un premier temps a souligné que l’objectif poursuivi par le législateur (à savoir « limiter les recours dilatoires ») était bien « d’intérêt général » (cf .4 de la décision), a relevé que « la caducité, qui a pour effet d’éteindre l’instance, est susceptible de porter atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif » (cf .5). Poursuivant, le Conseil constitutionnel a considéré :
« 6. Or, en premier lieu, d’une part, la notion de « pièces nécessaires au jugement d’une affaire » est insuffisamment précise pour permettre à l’auteur d’une requête de déterminer lui-même les pièces qu’il doit produire. D’autre part, le juge administratif peut, sur le fondement des dispositions contestées, prononcer la caducité de la requête sans être tenu, préalablement, ni d’indiquer au requérant les pièces jugées manquantes ni même de lui préciser celles qu’il considère comme nécessaires au jugement de l’affaire.
7. En second lieu, d’une part, si la déclaration de caducité peut être rapportée lorsque le demandeur fait connaître, dans un délai de quinze jours, un motif légitime justifiant qu’il n’a pas produit les pièces nécessaires au jugement de l’affaire dans le délai imparti, elle ne peut en revanche être rapportée par la seule production des pièces jugées manquantes. D’autre part, dès lors que la caducité a été régulièrement prononcée, le requérant ne peut obtenir l’examen de sa requête par une juridiction ; il ne peut introduire une nouvelle instance que si le délai de recours n’est pas expiré« .
Ainsi, à ses yeux, « les dispositions contestées portent au droit à un recours juridictionnel effectif une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi. Par suite, elles méconnaissent les exigences résultant de l’article 16 de la Déclaration de 1789 » (cf .8).
Précisant enfin les effets de sa déclaration d’inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel a, après avoir rappelé que « les dispositions contestées ont été abrogées par la loi du 23 novembre 2018 mentionnée ci-dessus« , jugé que « la déclaration d’inconstitutionnalité est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de la publication de la présente décision » (cf .11 et 12).